Chapitre 08.3
Les sens en alerte, elle n’eut aucun besoin de lire son identifiant sur la poche gauche, au niveau de la poitrine. Il s’agissait de William MacAsgaill, l’homme que ses collègues, et elle, étaient venus chercher. C’était bien lui.
Elle avait encore en tête la Tri-D qu’on leur avait montrée à tous au cours de la préparation de la mission pour les aider à visualiser leur cible. Sur le haut de sa manche droite, il portait deux écussons, chacun aux couleurs d’un drapeau. Une petite particularité du scientifique dont elle se souvenait bien.
Elle devina qu’il était venu trouver refuge au cœur de l’endroit le plus fréquenté de cette ville. Au milieu de la foule, il pensait sans doute avoir moins à craindre. Et c’était elle qui l’avait trouvé. La chance continuait à la servir. Plutôt bien.
Le gaillard était écossais, par sa mère et la plupart de ses ancêtres, mais aussi féroïen. Ses grands-parents paternels étaient venus d’Écosse pour s’installer dans les îles. Son père y était né et y avait vécu une grande partie de sa jeunesse avant de s'installer en Écosse. William MacAsgaill gardait toujours des attaches familiales avec les îles… D’où le bélier sur l’un des deux écussons.
Savait-il que ses anciens collègues étaient à sa recherche ? Était-ce eux qu’il craignait ? Les avait-il vu arriver quelques jours plus tôt ?
Impossible. Cela ne pouvait pas être eux qu’il cherchait à fuir, car ils étaient rentrés à l’AMSEVE depuis au moins deux jours.
Au moins, elle, elle savait pourquoi elle était là. Sa bonne étoile l’avait conduite exactement là où elle devait être. Elle pourrait peut-être faire équipe avec lui. S’il avait survécu en toute liberté jusqu’à présent, cela signifiait qu’il avait une bonne connaissance du terrain. Cela lui serait utile.
Il avait cinq voyages interstellaires derrière lui. Cela semblait peu, mais c’était la personne la plus expérimentée qu’elle pouvait espérer trouver. De plus, il était humain et terrien. Restait à trouver le moyen de se faire remarquer par le déserteur…
Elle l’observa encore. Elle avait besoin d’en savoir plus sur lui.
Il ne portait pas d’arme visible. Comment avait-il survécu sur cette planète sans quelque chose de sérieux pour se défendre ?
En plus de cela, il n’avait ni la tête, ni l’allure du type qu’on préfère éviter si on veut conserver toutes ses dents et ses os intacts. Cachait-il quelques autres talents ? Après tout, il avait su tromper ses collègues et amis.
À l’AMSEVE, personne n’avait vu le coup venir. Lors de la préparation de la mission, un instructeur leur avait expliqué qu’il excellait au poker. Avec sa bonne tête et sa gentillesse légendaire, il avait effectivement su tromper son monde.
« Toujours se méfier de l’eau qui dort », dit le proverbe…
L’AMSEVE tenait tellement à MacAsgaill qu’une seconde mission avait été mise en place pour le récupérer. Alors pourquoi pas une troisième ?
C’était peu probable. Comme elle se l’était déjà dit, le général Doherty ne s’y risquerait sûrement pas après une nouvelle perte humaine. Mais elle ne pouvait en être certaine. Elle ne le connaissait pas suffisamment. Il n’était peut-être pas du genre à lâcher l’affaire facilement, et il était possible que MacAsgaill soit plus qu’un simple troufion aux yeux de Doherty ou pour l’AMSEVE.
L’idée lui vint que les frères Belles Gueules n’étaient peut-être pas les seuls à observer, à surveiller ce qui se passait sur la place du marché… Un pressentiment auquel elle se fiait plus que jamais.
Du regard, elle fit un nouveau tour d’horizon. Elle s’intéressa aux toits des habitations et à tous les endroits où des individus, en particulier des Humains en uniforme de l’AMSEVE, étaient susceptibles de se cacher. Elle ne vit personne. Elle remarqua cependant que les oiseaux évitaient certains bâtiments.
Qui d’autre en dehors des secours envoyés par l’AMSEVE ou des bandits qui attendaient le bon moment pour faire les poches du trio de vendeurs d’esclaves ?
Ni les uns, ni les autres n’interviendraient tant qu’il y aurait du monde sur la place. Ils étaient en terrain étranger. Ils ne prendraient pas le risque de perdre l’un des leurs.
Par contre, dès que MacAsgaill se retrouverait seul, hors de vue des autochtones, les hommes de l’AMSEVE l’enlèveraient et il disparaîtrait avec eux.
Personne dans ce monde ne remarquerait leur présence, encore moins la disparition du scientifique. Sauf elle. Elle perdrait alors toutes ses chances de s’en faire un allié… À moins de retourner sur la Terre et de le sortir du trou dans lequel il serait enterré.
Elle remarqua que l’écossais essayait de quitter le premier rang pour disparaître dans la foule.
Avait-il remarqué quelque chose d’anormal ?
Il ne devait pas être stupide au point de s’isoler volontairement.
Que comptait-il faire vraiment ? Quelle que soit la manœuvre tentée, il ne parvenait pas à s’extraire de sa position. Il était toujours renvoyé à sa place à chacune de ses tentatives.
Un individu se pencha vers MacAsgaill et lui chuchota quelque chose à l'oreille. Elle ne parvint pas à voir de quelle espèce était cet inconnu. Il pouvait aussi bien être humanoïde qu’autre chose sous sa cape gris anthracite. Un large capuche lui recouvrait entièrement la tête et cachait sa figure.
Elle sentit la peur de MacAsgaill en même temps qu’elle le vit pâlit à vue d’œil comme si La Mort en personne venait de lui parler.
Il ouvrit la bouche pour répondre, avant de la refermer sans rien dire.
Esmelia ressentit non seulement la peur glaciale, mais encore la colère vibrante de son étrange interlocuteur.
Il y avait quelque chose entre eux. Ce n’était pas l’entente cordiale de toute évidence. En quelques semaines, le scientifique déserteur avait réussi à se mettre un autochtone à dos. Un autochtone ou un propriétaire qu’il avait tenté de fuir…
Peut-être que le fuyard s’était fait capturer comme elle et qu’il avait été vendu à cet individu... Peut-être qu’il s’était échappé et que son maître venait de le retrouver… Peut-être… Peut-être… Mais elle n’en savait rien.
MacAsgaill ne cessait de jeter des coups d’œil affolés autour de lui.
Son sombre voisin posa une main qui aurait pu paraître rassurante sur son épaule, mais il n’en était rien.
Elle constata que cette main était parfaitement humaine. Mais d’Homme, il ne devait en avoir que l’enveloppe, car elle sentait qu’il n’avait rien d’autre d’humain. Son code génétique était différent.
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