Chapitre 13.3
— Nous sommes probablement les deux seuls Êtres humains de la planète à avoir traversé une dizaine de galaxies successives en quelques semaines...
— Alors que l’AMSEVE met plusieurs mois à préparer une seule expédition, ajouta Esmelia en suivant son raisonnement.
— C’est certain… Mes anciens collègues ne vont pas être les seuls à vouloir nous poser des questions.
— Peut-être que les Drægans ne sont pas si nombreux à utiliser les portails, suggéra-t-elle. Peut-être est-ce réservé à une élite… Et Baal en fait partie. Ou bien, il est parvenu à mettre un système au point. Après tout, c’est un « scientifique » qui touche à beaucoup de domaines.
— Il a aussi côtoyé de nombreux anciens dieux. Il est possible qu'il ait obtenu son secret de l’un d’entre eux, ou bien qu'il l'ait volé.
— Et ?
— Cela pourrait expliquer qu’il soit en délicatesse avec ses congénères, en déduisit Will. Il se peut effectivement que seuls quelques dieux très anciens possèdent, ou possédaient, cette technologie. Bref, nous ne pouvons pas exclure que d’autres Drægans, peut-être même des membres de civilisations suffisamment avancées d’un point de vue technologique, connaissent les bouches et leurs réseaux. Ils sont peut-être capables de nous suivre jusque sur la Terre, ou de nous précéder.
— Ce qui fait que nous ne sommes peut-être pas les seuls à avoir utilisé les tunnels subspatiaux pour revenir sur la Terre.
— Tunnels subspatiaux ? Je pense qu'on peux aussi les appeler comme ça, approuva-t-il. Il y en aurait combien à ton avis ?
— Je l’ignore. L’univers est vaste. La Voie Lactée elle-même n’a sûrement pas livré tous ses secrets, même à ses civilisations les plus évoluées. Peut-être que tes cartes pourraient répondre à cette question… si nous savions les lire.
— Pas seulement mes cartes. Baal y a ajouté les siennes. Pour l’instant, il n’y a que lui qui soit capable de les déchiffrer. Et encore, je n’en suis pas certain. D’après leur support, cette espèce de toile qui semble résister à tout, notamment au feu, à l’eau… et aux parasites, elles ne viendraient pas de notre galaxie.
— Elles ont autre chose de particulier ?
— À part d’avoir été fabriquées avec des matériaux qui n’existent pas dans notre galaxie ? Et en dehors du fait qu’elles sont, soit codées, soit… je ne sais quoi ?
Il sembla réfléchir avant de répondre.
— Elles sont peut-être aussi anciennes que les Bouches, et probablement uniques. Ce que j’ignore, c’est si ces cartes ont été créées pour être utilisées comme des relevés détaillés des voies spatiales… ou si c’est ces dernières qui ont été installées d’après leur plan.
— Cela a une importance ?
— Je l’ignore. Avec le temps, il est possible... probable... que certaines choses aient changé. Les positions de certaines bouches, de planètes ou d'étoiles ne sont sûrement plus les mêmes. Des tunnels se sont peut-être effondrés au moment d'une collision entre deux objets célestes, où lorsqu'une étoile s'est consumée. Mais Baal tient à ces cartes. Il a dit qu’il m’étriperait si j’en perdais ne serait-ce qu’une seule.
— Il voulait juste vous effrayer, comme vous l’auriez fait avec un enfant. Ce que nous sommes à ses yeux.
— Je le crois suffisamment tordu pour mettre sa menace à exécution.
Esmelia remarqua qu'il n'y croyait pas une seconde, mais elle n'en dit rien. Will avait passé pas mal de temps avec l'ancien dieu. Ils semblaient même assez bien s'entendre tous les deux. Avec elle, Baal avait fait preuve d'indifférence. À l'exception d'un soir, au début de leur voyage, où il s'était laissé aller à quelques confidences nécessaires aux travaux qu'il venait de lui confier.
— Et si ces choses n’étaient pas le plan des réseaux de Bouches, ou même des cartes spatiales, mais tout autre chose.
Will ne lui demanda pas ce qu’elle avait en tête. Elle n’aurait d’ailleurs pas su répondre puisqu’elle n’en avait aucune idée.
— Lorsque nous le retrouverons, il pourra peut-être nous en dire plus sur le sujet, répondit-il simplement.
— Rien ne dit qu’il répondra, soupira-t-elle.
Elle se souvint d’un triDéogramme que Baal lui avait fait archiver, et qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de regarder.
Il y montrait un sanctuaire, situé sur une planète nommée Yorque. Il y avait de nombreuses statues géantes comme elle n’en avait jamais vues dans des musées ou dans les collections privées. Toutes représentaient des dieux qui avaient été décapités par des individus visiblement en colère contre eux.
Lorsqu’elle avait demandé à Baal ce qui était arrivé, il lui avait seulement répondu que c’était sans intérêt. Aujourd’hui encore, elle en doutait.
— Si vous tenez à le lui demander… Mais à votre place, Will, j’attendrais un peu. Une fois sorti de sa prison, le diable risque d’être d’une humeur de chien.
Il lui adressa un léger sourire avant de récupérer ses jumelles et de reprendre la surveillance des bâtiments.
— Peut-être nous méprenons-nous sur nos poursuivants, dit-il après un moment de silence.
... comme sur le prisonnier qui se trouve ici... songea-t-il.
Cette pensée fut si claire qu'elle s'en trouva sidérée. Elle le cacha de son mieux. Malgré ses doutes, il l'avait pourtant suivie.
Il prit le temps d’avaler deux bouchées de son sandwich avant de continuer.
— Je pense que nous pouvons déjà éliminer le CENKT. Je doute qu’ils pratiquent le voyage interstellaire. Si c’était le cas, ils s’y concentreraient totalement et ne courraient pas après les extraterrestres présents sur la Terre. Nous pouvons aussi émettre l’hypothèse qu’il ne s’agit ni de Drægans, ni de chasseurs de primes… Peut-être que Baal fuit devant un tout autre ennemi. Peut-être qu’il n’en sait pas suffisamment sur cet ennemi pour oser l’attaquer de front
Quelque chose dans l’hypothèse de Will ne lui plaisait pas. Elle ne lui semblait pas dénuée de sens, au contraire. C’était peut-être justement cela qui la dérangeait depuis leur fuite du vaisseau.
— Alors pourquoi nous a-t-il entrainés avec lui ? le contra-t-elle. Si C’est le cas, c’est son ennemi, pas le nôtre.
Il ne se démonta pas pour autant :
— Il est possible que nous ayons autant à craindre cet ennemi que lui, ou qu’il ait besoin de nous pour le contrer. En dehors des rumeurs qui courent sur lui, je ne connais pas Baal que depuis quelques mois, mais je suis certain d'au moins deux choses le concernant : il ne fait rien sans en mesurer toutes les conséquences, et il ne s’encombre jamais d’un surplus de bagages.
— C’est nous le surplus de bagages ?
Will hésita à répondre à sa question. Puis il se décida :
— Au début, oui. Je pense que c'était le cas. Avec tout ce qui s’est passé, je pense… J’espère qu’il nous considère autrement.
Elle eut un bref sourire :
— Je ne crois pas que tu aies à t'en faire sur ce point, Will, le rassura-t-elle.
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