Chapitre 12.1

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La discussion entre les trois Drægans cessa subitement.

Le conflit persistait, mais l’un d’entre eux venait de trouver une solution pour y mettre fin. Celui qui comptait mener la négociation lâcha quelques mots secs au marchand d’esclaves qui le regarda avec ses yeux ronds de batracien.

Le négociateur à face de troll interrogea Baal du regard.

Celui-ci inclina brièvement la tête. Son visage restait impassible, mais son regard semblait plus orageux, plus sombre.

Le marchand recula en courbant l’échine, un peu trop bas, en signe d’assentiment en direction des trois Drægans.

Baal revint vers MacAsgaill et elle.

Il était visiblement mécontent de la tournure que prenaient les événements.

Le regard qu’il posa brièvement sur eux était glacial. L’une des veines de son cou palpitait méchamment, et ses mâchoires étaient contractées. Son attitude était inquiétante. Craignait-il de perdre ?

Elle devina que le trio drægan avait choisi un mode d’enchère particulier qui lui déplaisait. À moins que son air revêche ne soit une feinte destinée à les tromper.

Qu'est-ce qui n'allait pas ?

Elle l’ignorait. Le savoir ne lui permettait pas forcément de comprendre, et aller le découvrir dans l’esprit de Baal était plus que risqué.

Le négociateur, avec ses grosses mains velues, tendit une plaque de schiste et un morceau de craie que Baal saisit sans dire un mot. Il ne laissait plus rien paraître de ses sentiments.

Une plaque identique fut donnée au négociateur du trio.

Alors que Baal inscrivait déjà une série de signes sur son ardoise, les membres du trio se concertèrent à nouveau.

Esmelia se demanda combien de temps cela allait prendre avant qu’ils se mettent d’accord.

— Qui sont ces trois-là ? demanda-t-elle à son voisin.

— Aucune idée, répondit MacAsgaill. Excepté que ce sont probablement des…

Baal le fit taire d’un regard.

MacAsgaill avait eu l’impression d’être un gamin pris la main dans le pot de confiture. Il regarda Esmelia, perdu.

Elle lui rendit son regard et parvint à esquisser un vague sourire.

Baal claqua des doigts sous leur nez comme s’ils avaient vraiment autre chose à faire que partager ce bref moment de connivence.

Drôle de manière d’attirer leur attention, songea Esmelia.

— Celui qui tient la nagan se nomme Susanoo, déclara-t-il d’une voix basse dans laquelle perçait une dureté intentionnelle. Il est connu pour semer le chaos partout où il passe. L’autre, c’est Omoïkané. Ne vous fiez pas à son air idiot. Et elle, c’est Ame-No-Uzume.

Esmelia devina que la nagan était la tuile brune qui leur servait d’ardoise.

— Des amis à vous ? ironisa MacAsgaill qui le regretta sans doute aussitôt.

Baal eut un regard noir en guise de réponse.

Visiblement non.

Esmelia observa la jeune asiatique. Elle avait quelque chose d’ensorceleur, d’insidieusement dangereux. Un bref instant, elle sentit comme un gouffre sous ses pieds.

Elle ne s’était pas évanouie. Elle se sentait juste… absente, prise dans un étrange brouillard. Et pourtant, c’était ses propres mots qui sortaient de sa bouche et résonnaient dans ses oreilles sans qu'elle puisse les arrêter :

— La femme est la plus dangereuse des trois. Ce qu’elle veut, ils le veulent, et, ensemble, ils le détruisent. Ils font semblant de ne pas s’entendre pour mieux leurrer leurs adversaires, et les déstabiliser. Ils retournent alors la situation à leur avantage. Mais aujourd’hui, ça ne fonctionnera pas.

Esmelia revint à la réalité.

Baal et MacAsgaill l’observaient.

Le premier en arriva à une conclusion sans aucun doute très différente du second.

— Quoi ? demanda-t-elle étonnée par la façon dont ils la regardaient.

Le scientifique se rendit compte qu’il avait gardé la bouche ouverte. Il s’empressa de lui répondre :

— Vous venez de dire que…

— Surprenante, le coupa Baal. Vous pourriez m’être utile. Peut-être plus qu’une ijà'kô.

Elle jeta un coup d’œil interrogatif à MacAsgaill.

— Je crois qu’une… ijà'kô est une servante ou un animal de compagnie, ou peut-être une plante décorative, tenta-t-il d’expliquer.

Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? s’inquiéta intérieurement Esmelia.

Elle s’abstint néanmoins de poser la question à voix haute.

— Une plante… fit Baal avec un sourire mi-figue, mi-raisin comme s’il se délectait de l’image avant d’exprimer le fond de sa pensée.

Elle n’attendit pas longtemps.

— Et si elle devient trop envahissante, je lui coupe la tête, à moins que quelqu’un d’autre la lui ôte avant. J’ai des ennemis très imaginatifs.

Il avait parlé d’une voix posée, bien trop douce comparée à la lueur menaçante qui brillait au fond de son regard sombre.

Will MacAsgaill eut un hoquet, persuadé que la remarque de Baal n’avait rien trait d’humour. Il se souvint aussi, dans le même temps, que le terme désignait plus précisément une dame de compagnie dont le rôle était aussi celui de garde du corps et de maître d’armes, voire d’espionne à l'usage exclusif d'un seul et unique maître. Il n'était cependant pas certain de la signification de la dernière partie.

Elle sentit qu’il mourrait d’envie d’en demander la confirmation au Drægan, mais il n’osa pas.

Baal avait déjà reporté son attention sur les membres du trio.

Il les observait comme s’il craignait un mauvais coup de la part de l’un d’entre eux. Ce qui n’aurait étonné personne.

Omoïkané tourna la tête vers lui comme s’il avait perçu son regard.

Les deux adversaires s’affrontèrent du regard un court instant.

L’asiatique fut finalement le premier à le détourner.

Satisfait, Baal ne put réprimer un sourire narquois.

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