Chapitre 12.2
Les deux autres Drægans ne se rendirent compte de rien, ou ils ne le montrèrent pas.
Après une discussion interne, ils se mirent enfin mis d’accord sur la somme à proposer pour gagner l'enchère.
Susanoo la grava sur la nagan et tendit celle-ci à Ame-No-Uzume.
Elle regarda à peine les inscriptions et grimaça avant de rendre négligemment la plaque de schiste noir au négociateur.
Celui-ci la remit au marchand d’esclaves et alla ensuite réclamer la tablette qu’il avait remise à Baal.
Le batracien et le troll à moitié humanoïde comparèrent les symboles inscrits sur chacune des nagans. Leurs regards se croisèrent. Leur appréhension était palpable.
Puis ils autorisèrent les deux parties à s’approcher.
D’où elle se trouvait, Esmelia ne pouvait pas voir les tuiles brunes. Elle reporta alors son attention sur l’attitude des trois jeunes Drægans.
Baal revint vers MacAsgaill et elle, le visage fermé, le regard sombre.
Esmelia sentit sa tête tourner.
Elle s’accrocha à une seule pensée pour ne pas sombrer : ne plus le perdre... Elle avait mis tellement d’années à le trouver. Combien de temps mettrait-elle encore si elle devait le rechercher à nouveau ?
Il n’en était pas question, pas maintenant. Du temps, elle savait qu’elle n’en avait plus.
Elle ferma les yeux, le cœur au bord des lèvres.
Elle se sentait totalement vidée, affaiblie, sans vie. Elle avait eu quelques absences depuis qu’elle était arrivée sur cette planète. Celles-ci n’avaient rien à voir avec l’acclimatation à un lieu étranger. C’était autre chose qui lui brûlait la poitrine, les poumons, le cœur et même l’âme.
À son retour sur la Terre, elle devrait sérieusement penser à voir un médecin. Peut-être un autre médecin que celui qui l'avait toujours suivie depuis le jour où son père l'avait emmenée pour se faire vacciner ou pour soigner une maladie infantile. Elle ne se souvenait plus.
Elle se concentra à nouveau sur le trio drægan.
Curieusement, ils n’affichaient pas la joie des vainqueurs.
Le marchand d’esclaves montra les deux ardoises à la foule et annonça sentencieusement que Baal avait gagné l’enchère.
De longs rubans de « Oh », « Hein », « Gloups », « Grrr » de différentes longueurs se déroulèrent à travers la foule et se perdirent dans une salve d’applaudissements.
Le négociant, avec son large sourire en damier qui transparaissait derrière les longs poils, se tourna vers le Drægan pour le féliciter tacitement.
Le marchand, lui, luttait pour garder son sang-froid.
Le trésorier, la mante religieuse, n’affichait aucune expression particulière en dehors du fait que seule sa tête dodelinait de haut en bas, ou de droite à gauche, mais jamais en coordination avec ses globes oculaires.
— Affaire réglée, lâcha Baal à mi-voix en revenant vers eux.
Il se planta devant elle, croisa les bras en la regardant avec un sourire dont elle ne parvint pas à déterminer la signification.
Était-il finalement satisfait de son acquisition ? Ou bien était-il tout simplement content d’avoir remporté l’enchère face ses adversaires ?
Esmelia se demanda aussi combien elle lui avait coûté exactement.
Un humanoïde, bâti comme un lutteur, surgit devant l’estrade.
Baal se retourna et lui fit un discret signe de tête. Moins d’une minute plus tard, un autre, du même modèle, grimpa les marches de l’estrade avec un petit coffre en bois sous le bras.
Des labirés…
Le mot lui était venu à l’esprit dès l’apparition du premier.
Ils étaient plus athlétiques et un peu plus grands que des êtres humains, du moins si ces deux-là n’étaient pas des exceptions. Leur peau était cuivrée. S’ils étaient des serviteurs fidèles, ils étaient surtout reconnus comme étant de redoutables guerriers.
Comment le savait-elle ? Comment pouvait-elle en avoir la certitude ?
C’était sans doute une information qu'elle avait dû entendre à l’AMSEVE et elle traînait dans son cerveau sans qu’elle en ait eu conscience jusqu’ici.
— On dit que les labirés sont des guerriers redoutables, lui confirma Will sans le savoir. Ils donneraient leur vie pour leur maître.
Elle n’en douta pas.
— Que savez-vous d’autre à leur sujet, Will ?
— Qu’ils sont élevés, hommes comme femmes, depuis l’enfance dans le culte de la mort. Ils ne la craignent pas contrairement au déshonneur.
— Ils ne servent que les Drægans ou Baal en particulier ?
— Tous les Drægans ont leurs labirés. Chaque famille a ses couleurs… et ses armées, il me semble.
Elle remarqua qu'effectivement, il portaient tous les deux un gilet et pantalon gris-bleu,comme leur maître sous sa cape. À la différence qu'il pourtait une tunique brodée de fils d'argent sous une veste longue d'un gris plus sombre.
Le labiré posa le coffre sur la table du trésorier qui parut déconcerté. Il se ressaisit rapidement.
Baal s’approcha à son tour. Une grosse clé métallique apparut dans sa main droite.
Ces gens-là ont des vaisseaux spatiaux et ils ne connaissent pas les serrures magnétiques, ou un truc drægan qui aurait pu être plus évolué qu’une simple clé ? songea Esmelia.
Baal se contenta de placer la clé dans la serrure, avant de les rejoindre William et elle, laissant au vendeur le soin de la tourner lui-même pour l’ouvrir.
Esmelia se mordit la lèvre inférieure.
Les objets piégés étaient l’une des méthodes préférées des bandits et des terroristes de tous bords, et sûrement de toutes les galaxies. Une méthode qui pouvait parfaitement convenir à un Drægan rebelle.
MacAsgaill avait lui aussi un instinct de conservation fort développé.
— On devrait peut-être reculer…
Il aurait sûrement tenté une énième fois de prendre la tangente si Baal ne l’avait pas obligé à rester à côté de lui, une main ferme posée sur son épaule au moment où il amorçait son recul.
Esmelia s'était levée de son siège de fortune mais n'avait pas osé bouger. Elle ravala sa salive et se rassura en pensant que l’ancien dieu n’allait pas commettre un attentat à visage découvert, et, surtout, risquer d’être blessé, voire pire en restant sur place. Il fallait être totalement fou.
Cela dit, sous les angles que lui avait dépeints MacAsgaill, les Drægans ne lui apparaissaient pas très sains d’esprit.
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