Chapitre 19.3
Ses pairs lui avait fait endosser un crime sans le moindre début de preuve. Être destitué fut un moindre mal étant donnée la nature de l’accusation dont il avait fait l’objet. Même les geôles de Cottos lui avaient semblé plus douces que la première fois. Une fois libéré, il avait néanmoins préféré disparaître en se faisant passer pour mort…
Connaissant la réponse, même si elle devinaitt qu'il ne lui disait pas tout concernant sa condamnation et les conditions de sa libération, elle lui avait tout de même demandé quel crime il était supposé avoir commis. Sans marquer la moindre émotion, encore moins d’hésitation, il avait répondu : un double planéticide.
En général, les mots en « cide » ne laissaient aucun doute sur la nature de l’acte qu’ils désignaient. Elle n’osa pas lui demander s’il avait vraiment commis ce crime tant il paraissait impossible.
Une technologie extraterrestre permettait-elle la destruction d’une planète ? Quel genre d’être pouvait vouloir en détruire une, et même deux ?
Un frisson monta en elle. Étrangement, elle se sentit à la fois affamée, presque désireuse à l'idée de cette monstruosité, et effrayée jusqu’à l’écœurement.
Encore une fois, cette chose au fond d’elle se réveillait… Et ce sentiment d’urgence…
Elle se raccrocha à la réalité, à SA réalité.
Elle calma sa respiration. Les battements de son cœur reprirent un rythme normal. Elle se focalisa à nouveau sur le Drægan. Peut-être lui dirait-il s’il l’avait fait ou non, et si oui, pour quelle raison.
L’aveu de Baal était surprenant en lui-même. Il l’avait fait avec une telle facilité comme si ce n’était qu’une banale formalité. Pourtant, la destitution d’un dieu, ce n’était pas rien.
Et connaissant un peu le personnage, il n’avait pas dû apprécier sa mise à l’écart. Pourtant, cela ne semblait pas revêtir une grande importance pour lui. Ou il jouait fort bien la comédie qu’il soit coupable ou non.
Il ne lui donna pas davantage d’informations sur son bannissement du Conseil drægan, à son grand regret.
Elle aurait aimé savoir si son crime en était le réel motif. Les Drægans se fichaient de détruire des planètes, pour ce qu'elle en savait.
À en juger par sa réputation et par ce qu’elle savait vraiment de lui, il avait de nombreux adversaires et encore plus d’ennemis prêts l’éliminer une bonne fois pour toutes. Cette invitation pouvait être un piège destiné, soit à le capturer et à le livrer au plus offrant, soit à l’assassiner. Elle l'était sûrement...
Il ne lui cacha pas que c’était une possibilité, mais ce genre d’événement était trop rare pour être transformé en guet-apens. Si piège il y avait, ce serait avant ou après le Conseil. Puisqu’il y était invité, il ne le manquerait pour rien au monde. Même si cela s’avèrerait comme d’habitude d’un profond ennui, ou terriblement dangereux.
Elle n’en doutait pas. La présence de Baal quelque part était rarement synonyme de calme ou de paix. Quoi qu’il en soit, c’était là qu’elle trouverait l’occasion de lui parler de L’Occulteur de Mondes.
Sans trop savoir pourquoi, cette idée lui était venue à l’esprit. Elle avait pourtant tellement d’autres questions à lui poser.
Pourquoi l’ancien souverain et ses labirés cachaient-ils tant bien que mal leur inquiétude depuis que Will et elle étaient à bord du vaisseau ? Pourquoi Baal tenait-il tellement à les garder près de lui ?
Il aurait pu leur extorquer n’importe quelle connaissance technologique, n’importe quelle information sur l’AMSEVE et son programme d’exploration spatiale, d’une manière ou d’une autre, et les abandonner sur une planète déserte ou se débarrasser définitivement d’eux.
Pour Will, elle supposait que cela avait un rapport soit avec les cartes qu’il avait découvertes, soit avec ses origines terriennes et ses accointances avec l’AMSEVE.
En ce qui la concernait, cela pouvait avoir un rapport avec la manière dont elle était arrivée sur Féloniacoupia. Savait-il seulement qu’elle avait fait partie de l’AMSEVE durant quelques semaines et que c’était ce qui lui avait permis de quitter la Terre ?
Le passage que Baal ouvrit, et dans lequel s’enfonça sa frégate, devait déboucher dans la galaxie de Tur’in. Là où se trouvait Lahassa, la planète servant de lieu de rendez-vous aux anciens dieux drægans. Elle se souvenait qu'une vingtaine de vaisseaux orbitaient autour de celle-ci, mais elle n'en était pas certaine.
Si c'était bien le cas, alors ils n’étaient pas si nombreux à participer aux différentes réunions, et au conseil des Chanceliers. Il était surprenant qu’il n’y ait pas au moins autant de navires drægans que de dieux ayant existé sur la Terre. À l’échelle de l’univers, ils auraient dû être quelques milliers...
Lors de ses différentes visites avec Baal, sur les autres vaisseaux ou sur Lahassa, elle ne se rappelait pas avoir bu ou mangé quoi que ce soit. Sa mémoire lui donnait l'impression d'avoir été filtrée, amputée de plusieurs heures. Toutefois, elle avait le vague souvenir d’un Drægan nommé Rhadamanthe, chez lequel Baal et elle avaient passé quelques heures... Une nuit, peut-être.
Curieusement, elle se souvenait dans le détail, comme s’ils avaient été réels, de deux rêves qu’elle avait faits.
Plus elle y pensait, plus elle se demandait s’il s’agissait vraiment de rêves. Pourtant, elle ne pouvait avoir été physiquement dans l'un d'eux. C'était tout bonnement impossible. Sauf si son esprit avait décidé de faire cavalier seul, sans son enveloppe physique, dans le temps et dans l'espace. Ou bien s'agissait-il d'une sorte transe interdimensionnel ? Etait-ce un effet secondaire de son passage à l’intérieur d’une bouche ?
Ces deux rêves n’avaient aucun rapport entre eux, excepté donc que, dans l’un comme dans l’autre, elle n’avait pas forme humaine, ni la moindre tangibilité. Pourtant, elle avait eu l’impression de se sentir plus entière, plus vivante et plus libre qu’elle ne l’avait été depuis très longtemps. Elle était là, simplement, existante.
Dans le premier rêve, elle s’était sentie de retour chez elle.
Pas le "chez elle" de son enfance humaine, mais quelque chose de plus lointain, de plus fort… Elle en avait éprouvé une profonde nostalgie et un sentiment de perte.
Elle avait aussi senti d’autres présences, comme elle, inhumaines, immatérielles et fortes, et tellement plus sombres, plus lourdes. Elle ne savait comment les définir autrement que comme des fantômes, et mieux encore comme les membres d'un puissant esprit collectif. Cette force était là, face à elle, autour d’elle et en elle. Elle lui avait tellement manqué.
Les êtres dont elle ressentait LA présence ne se parlaient pas et, pourtant, ILS communiquaient à LEUR manière. Elle ressentait sa propre force oppressante, noyée dans LEUR présence qui n'était ni bienveillante ni malveillante. Cela ne l’inquiétait pas. Il lui suffisait de rompre le contact. Elle sentait qu'elle pouvait le faire à tout moment. Pas en le coupant brutalement, mais en donnant l’impression qu’elle se fondait parmi CEUX qui l'entouraient.
Esmelia trouvait cela étrange, déstabilisant. Mead’, elle, ressentit un profond sentiment de plénitude.
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