Chapitre 4 Le Pont de la création
Pour se rendre à l'école, Axel devait passer sur le Pont de la Création, ainsi nommé parce qu'il avait été le premier à être construit sur Quies et avait, de ce fait, grandement contribué à la création de la ville. Tout de pierres construit, il semblait naturellement sorti d'une rive pour atteindre l'autre. Axel, comme tous les enfants de son âge, avait un temps cru qu'il s'agissait du pont par lequel les toutes premières créatures avaient gagné l'Univers Visible, en sortant des cavités naturelles situées sous celui-ci. A Quies, personne n'aurait jamais soutenu le contraire. Pour deux raisons. La première, tout n'était que légendes à Quies. L'origine de la cité, le vent froid de l'hiver, les ombres de la nuit, tout trouvait sa raison d'être dans les histoires que l'on se racontait pendant les longues soirées d'hiver. Pour les habitants de Quies et les Triverains en général, chaque animal, chaque phénomène, quel qu'il soit, chaque insecte, chaque forme et même chaque mot avait sa raison d'être.
Les histoires traduisaient cette raison d'être et l'importance de chaque élément au monde. Rien n'existait au monde qui ne trouvait sa place et son origine dans une histoire. C'était à tous et, en premier lieu, aux membres de la confrérie des Conteurs qu'il incombait de transmettre cette culture de légendes.
Il existait une seconde raison pour laquelle personne n'aurait jamais objecté quoi que ce soit aux fantaisistes légendes enfantines concernant les origines fabuleuses du Pont de la Création. Et cette raison révélait un autre aspect de la société des Triverains. Ceux-ci considéraient, en effet, qu'il importait que chaque individu découvre sa propre vérité. Au mieux pouvait-on laisser çà et là des indices. Tout au plus. Les enfants étaient les premiers protégés par ce droit à l'erreur. Leurs histoires presque sacrées. C'est ce qui rendait les Triverains si enclins à la suggestion, si attentifs aux langages, langage humain, langage animal et langage de toutes sortes. D'ailleurs, le mot triverain pour langage signifiait aussi choix et accomplissement.
Une confrérie incarnait cet aspect de la société des Trois Rivières : celle des Dicteurs. Convaincus du lien secret inaliénable entre les mots et la création du Monde, les membres de cette confrérie vouaient leur existence à comprendre leur langue depuis les origines, cherchant dans les liens étroits du langage les profondes connexions qui régissent les lois de la Nature. Les Dicteurs formaient une des Confréries les plus secrètes, ces membres étaient quelque chose entre linguistes et sorciers. On leur prêtait, en outre, des talents de puissants guérisseurs. On les disait aussi capables de donner des maux de tête insoutenables. Certains, rapportait la tradition populaire, possédaient cette faculté terrible de déclencher cancers et autres maladies incurables chez ceux dont ils voulaient se débarrasser.
Cette passion pour le langage avait rendu les Triverains naturellement aptes à maîtriser celui des autres peuples. Passion salvatrice car, ainsi donnait à l'entendre l'enseignement scolaire, le Monde des Trois Rivières ne disposait d'aucune défense naturelle. La capacité à entendre et utiliser la langue des autres peuples associée à la riche industrie de l'ensemble des confréries avait permis aux Triverains de survivre dans un univers hostile, essentiellement tourné vers la guerre, et même d'y prospérer.
C'est donc sur la rive nord du Pont de la Création qu'Axel attendait ses amis.
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