Chapitre IV. Sarah

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Mardi 29/11/2022, 21h00 sur le Pont Neuf

Les jambes bien campées sur le sol, il la retenait prisonnière, comme un oiseau fragile. Il avait peur qu’elle s’envole à nouveau et ne se blesse. Des milliers de questions saturaient son cerveau, que faisait Catherine sur ce pont ici et maintenant, qui était cette femme qui reposait dans le caveau familial des Marceau à Maouparade les Palliéres, pourquoi son amour d’enfance, la seule qui eut jamais compté pour lui était-elle revenue le jour où il avait décidé de lui dire adieux à tout jamais ! Alors qu’il la tenait fermement, qu’il la serrait à l’étouffer, il cria, hors de lui !

  • Mais, tu vas me laisser tranquille maintenant Catherine !

La fille pleurait doucement, elle était contente de ne pas être morte finalement, si pour cet homme elle devait s’appeler Catherine, peu importe, elle s’appellerait Catherine. Elle lui devait bien ça ! Elle s’abandonna complètement dans les bras de son sauveur, son ange gardien ne l’avait pas oubliée. Elle avait eu peur, elle avait eu froid, elle avait eu mal au ventre sur ce parapet. Alors que ses pieds nus quittaient la margelle de béton et qu’elle s’apprêtait à plonger dans l’eau noire de la Seine en contrebas, elle s’était sentie retenue, comme ce jour où dans les temps anciens elle avait sauté à l’élastique du haut du pont de Ponsonas. Elle était si heureuse en ces temps-là, comment le bonheur avait puis la fuir à ce point ?

  • Catherine, reste avec moi !

Elle pouvait se laisser aller maintenant, elle était sauvée. Elle savait qu’elle pouvait faire confiance à cet homme, elle en était persuadée. De toute façon elle n’avait pas le choix c’était ça ou l’abyme noir des enfers !

La fille, Catherine… s’était évanouie, la tension avait sans doute été trop forte. Elle n’était pas lourde à porter, elle pesait autant qu’un oiseau blessé qui venait de tomber d’un nid. La malheureuse d’une maigreur maladive ne devait pas manger à sa faim. Depuis combien de temps trainait-elle dans la rue ? Que faisait-elle à Paris ? Comment l’avait-elle retrouvé ? Pourquoi voulait-elle mourir à nouveau ? Le corps mou dodelinait de la tête, la fille, Catherine, râlait doucement. Il courrait presque sur les pavés humides de cette fin de novembre ! Il ne savait pas ou aller ! à l’hôpital ? Il n’en connaissait pas le chemin, chez un docteur ? Il n’en fréquentait aucun !

Ses pas l’emmenèrent devant son immeuble. Alors qu’il projetait de l’installer dans son appartement… il eut une autre idée, elle serait bien mieux avec la fée du quatrième chez la gentille Reeve. Il n’en doutait pas un instant, elle saurait faire, elle l’aidera à soigner Catherine. Il regardait ce visage qu’il avait tant aimé jusqu’à penser se foutre en l’air quand il l’avait crue morte, elle était toujours aussi mignonne, il connaissait par cœur tous les contours de cette jolie frimousse, mais il n’était plus du tout certain de l’aimer encore maintenant !

Arrivé au quatrième étage, il posa son fardeau au sol. Catherine se réveilla, elle lui sourit, lui passa la main dans les cheveux et s’accrochant à lui de toutes ces forces elle lui susurrât :

  • Mon Sauveur, ma belle âme, je savais que mon ange gardien ne m’avait pas abandonnée, sans toi, sans lui, je reposerais à cette heure dans l’eau noire de ce fleuve putride, merci de m’avoir sauvé, je t’en serais éternellement reconnaissante !

Il se retourna vers elle, lui sourit et actionna la sonnette de Reeve !

Il entendit les petits pas rapides et impatients de celle qu’il venait de quitter quelques heures auparavant, imagina ce corps souple et félin qui glissait sur le lino gris et mauve…

la porte s’ouvrit à la volée, un cri de colère qu’il ne comprit pas en sortit, la porte claqua à nouveau !

Il restait là, abasourdi, son bras libre bâillant… Catherine, elle, s’était endormie sur son épaule.

Il sonna à nouveau longuement, ça ne pouvait pas se terminer comme cela, il fallait qu’elle comprenne, elle allait comprendre, elle devait comprendre, elle allait…

Elle ouvrit à contrecœur, ce n’était plus la Reeve qu’il avait connue ce matin, elle avait les cheveux dans les yeux et pleurait. Son ton était agressif :

  • Que veux-tu! ôte ce pied de là et pars avec ta pouffe ou j’appelle la police !
  • Mais laisse-moi t’expliquer !
  • Il n’y a rien à expliquer ! la situation est limpide, tu es un salaud, je suis abonné aux salauds, je pensais que tu étais différent des autres, mais tu es le pire ! Un salaud à la belle gueule qui sait parler aux femmes et qui sait faire mal ! va-t’en, va-t’en ! je ne veux plus te voir, je ne veux pas entendre tes salades, salaud, salaud!

Catherine se réveillât et dit :

  • J’ai faim mon amour, je suis fatigué, j’ai froid, rentrons chez nous, que fais-tu chez cette femme, elle crie trop fort, elle me fait peur !

À ce moment précis un homme corpulent entre deux âges, chauve et ventripotent sortit de l’ascenseur, bouscula le couple qui stationnait sur le palier de la jolie Reeve et aboya :

  • Ils vous importunent, mademoiselle, vous voulez que je les chasse, que j’appelle les flics !

Triste, penaud, il tourna les talons, la suicidée soudée à son épaule qui délirait maintenant, il entendit dans le lointain alors qu’il s’engouffrait dans l’escalier !

  • Quel salaud, quel mufle, venir parader ainsi avec sa poule , il n’a peur de rien !

Puis une seconde après:

  • Merci monsieur, heureusement qu’il y a des gentlemans dans ce bas monde, je ne sais ce que j’aurais fait sans vous…

Le reste il ne l’entendit pas, cela ne l’intéressait plus. Il descendit comme il put, en se tenant à la rambarde, ses jambes flageolaient, pour la première fois de la soirée il douta, il aurait sans doute dû laisser Catherine sombrer dans la Seine, il haïssait cette femme qu’il avait tant aimée. Il la regarda enfin vraiment, cette fille qu’il avait sauvée de la noyade n’était pas Catherine, elle lui ressemblait énormément, mais ce n’était pas elle. Elle était dans un état épouvantable, il l’installa dans son salon, trouva de la place sur le canapé, poussa les affaires qui y traînait à terre et l’installa confortablement. Il posa sa veste sur son corps décharné ; mon Dieu qu’elle était maigre ! Elle semblait fiévreuse de surcroit… et plus inquiétant, son pouls était presque inexistant !

Il lui fallait des soins de toute urgence c’était une évidence !

Il abandonna la suicidaire sur le divan, et grimpa quatre à quatre les deux étages qui le séparaient de Reeve.

Il sonna à nouveau comme un fou et alors qu’on lui ouvrit, que deux têtes furibardes le regardèrent de travers, il parla à toute vitesse pour ne pas être interrompu :

  • Je l’ai trouvée debout sur le pont neuf, je ne la connais ni d’Adam ni d’Eve, cette fille voulait se jeter dans la Seine, je l’ai rattrapée in extremis, elle est au bout du rouleau, elle a faim, elle est sans doute fiévreuse, son pouls est très faible, elle a besoin de soin de manière urgente, aidez-moi, je l’ai installée chez moi !
  • J’arrive ! dit Reeve .
  • Je vais appeler mon docteur! dit le gentleman .

****

Alors que la porte se refermait enfin, que Reeve entrait dans l’appartement avec lui, l’inconnue du pont neuf, roula des yeux hagards et la bave aux lèvres râla :

  • Je ne veux pas mourir, je n’ai jamais voulu mourir, aidez-moi ! N’appelez pas la police, je retournerais en prison, je ne veux pas retourner en prison, j’y mourrais !
    Elle sombra alors dans un sommeil sans fond.

E.Y

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