Chapitre V. Errance

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Mardi 29/11/22, 22h00 dans l'appartement d'Etienne

Etienne proposa à Reeve de rester pour manger un morceau. Il jeta un coup d’œil rapide dans le frigo qu’il referma honteux. C’était le vide absolu, il était parti faire les courses quand il avait croisé Sarah et avait dû revoir ses plans. Il fouilla dans le placard où il entassait des boites de conserves pour les jours où il n’avait pas envie de préparer à manger. La cuisine préparée par Etienne sentait bon les aromates, le poivron et les tomates, celle qu’il aimait partager avec ses amis sur une terrasse au soleil. Mais depuis qu'il était à Paris, passer derrière les fourneaux devenait une corvée. Il gardait le souvenir de l’huile d’olive qui enrobait ses papilles et revoyait ces courbes derrière son tablier fleuri de lavande. Depuis, il avait perdu le goût de se mettre à table ! Il songea avec amertume à ces moments de partage dont ils se sont privés tous les deux. Son regard errait du frigo aux étagères, son air soucieux le rendait attachant. Reeve s'approcha et ne put s’empêcher de venir caresser du bout des doigts la paume de sa main.

Un cri s’échappa de la chambre, Reeve se précipita suivi de près par Etienne. L’inconnue du Pont Neuf allongée sous les couvertures s'agitait dans tous les sens, les yeux grands ouverts, elle se débattait prononçant des mots qu’ils ne comprenaient pas.

  • Attrape des glaçons si tu en as et mets les dans un torchon.

Etienne s’exécuta ne cherchant pas à en savoir plus, la jeune femme l’impressionnait, elle faisait preuve de tant de sang-froid. Sa voix mélodieuse le transportait. Il en était à se demander si elle n’allait pas s’évaporer tel un ange. Il ouvrit le congélateur, et se trouva fort dépourvu, en ne découvrant qu’un modeste sachet de choux de Bruxelles. Cela devait faire belle lurette qu’il était dans le tiroir. Pourquoi les avait-il achetés ? Il les détestait, Catherine les dévorait. Encore un souvenir de leur histoire d’amour qu’il avait voulu conserver. Il n’était qu’un pauvre mec songea-t-il. Franchement il espérait quoi, qu’elle serait apparue un soir pour partager son repas ?

Était-il fou ? Insensé ? Toujours amoureux ? Ça faisait un an qu’il luttait. Ce matin, il était prêt à tourner la page, se reconstruire et apprendre à aimer à nouveau. Jusqu’à ce soir, où il découvrit avec horreur son fantôme dansant sur le parapet une valse macabre. Ça tournait dans sa caboche, une barre au-dessus de ses yeux se dessinait. Ces satanées migraines revenaient inlassablement, l’angoisse le submergeait, il revoyait son corps démantibulé au bord de la falaise et les images de ce soir venaient à nouveau l’oppresser.

Figé devant la porte du frigo, le corps d’Etienne frissonna. Son regard balaya la pièce s’arrêtant sur le porte-bouteilles qui gisait dans un coin. Encore une fois, il voulait boire pour oublier la réalité.

  • Etienne, les glaçons s’il te plait. Ce n’est pas le moment de te servir un verre.

Comment pouvait-elle savoir ? Machinalement, il avait attrapé la seule bouteille de rosé, tout en gardant le sac de légumes dans l’autre main. Il avait perdu toute notion du temps et n’avait pas perçu le froid qui engourdissait ses doigts. Quel abruti, il faisait. Reeve avait besoin du sac. Il aurait été un piètre infirmier. À mille lieues de l’appartement, il se débattait avec ses démons, les mêmes qui hantaient ses nuits. Les insomnies étaient devenues ses compagnes. Il n’en pouvait plus, il avait besoin de passer à autre chose.

En voyant son reflet dans la fenêtre, il se fit peur. Comment Reeve pourrait-elle envisager plus ? Comment avait-elle pu accepter ce moment d’égarement qu’ils avaient partagé ce matin. De son côté, il ne regrettait rien. La caresser, déposer ses lèvres sur le bout des seins de la belle Reeve, paresser sur sa peau si douce, réveiller son appétit, raviver ses sens, tous ces ingrédients qui pouvaient pimenter une vie fade. Pour l’heure, il devait se concentrer sur la désespérée qui squattait son lit, la soigner et la remettre sur pied. En découvrant Reeve assise à côté de l’inconnue, il songea au plaisir de pouvoir la prendre dans ses bras, sentir son doux parfum. Il se demandait encore comment une si belle femme voudrait d’un raté, il était temps qu’ils se ressaisissent.

– Tu en as mis du temps. Elle fait une nouvelle poussée de fièvre. Je ne sais pas si nous ne devrions pas l'emmener aux urgences.

  • Elle nous a supplié de la garder ici, enfin je ne comprends pas pourquoi.
  • Mais si c’était plus grave, je ne suis ni infirmière, ni médecin.

Reeve scrutait Etienne, elle avait conscience qu’il était moins à l’aise que ce matin. Il avait perdu cette étincelle qui avait enflammé son regard quand ses doigts avaient effleuré ses cheveux, son cou, son visage et que ces mains s’étaient faufilées pour paresser sur sa poitrine. Elle réalisa qu’il devait se faire du souci pour cette femme, son geste était admirable, il lui avait sauvé la vie. En voyant ses yeux se troubler, elle craqua et ne put résister à lui offrir un baiser sur la joue et le serrer dans ses bras. Cette journée était des plus étranges. Reeve s’était levée ce matin, réveillée en sursaut par un bouquet de tulipes, et s’était abandonnée dans les bras du bel emmerdeur du parking. Elle l’avait détesté lorsqu’il s’était pointé avec Sarah.

Reeve déposa le paquet emballé dans un torchon sur le front de l’inconnue du Pont, sa respiration devenait moins heurtée. Elle s'assit au bord du lit, remonta le drap sur son corps fluet. Dans son cou, sous ses longues boucles brunes se dissimulaient une cicatrice qui la fit frissonner. La jeune femme reconnut la marque des filles perdues. La lune enveloppait la pièce d'une douce lumière qui accentuait son teint de porcelaine. Après s'être assurée que son corps retrouverait une forme de sérénité, elle s'éclipsa sur la pointe des pieds pour retrouver son Etienne dans le salon. Assis dans le canapé, il s'affairait, se battant avec une pile de papiers. Deux verres et la bouteille de vin étaient posés sur la table. En relevant la tête, il la déshabilla du regard. Il appréciait les courbes de Reeve qui étaient mises en valeur par cette jolie robe bleue. Comment était-il être passé à côté ce matin ?

  • Tout va bien, elle dort paisiblement, dit Reeve se blottissant dans les bras de son charmant voisin.
  • À part un verre, je n'ai rien d'autre à te proposer, fit Etienne du bout des lèvres.
  • Je ne sais pas si ce serait raisonnable. Un verre et je suis pompette.
  • Alors laisse toi tenter.

Reeve posa ses lèvres sur le bord du verre et des petites gouttes vinrent tapisser son palais de notes fleuries, subtils aromes de cet élixir du var, un rosé de La Londe les Maures. Elle ferma les yeux, rêvant d'une balade dans les vignes au coucher du soleil. Perdue dans ses pensées, elle soupira pour relâcher la pression. Etienne l'observait ne voulant pas rompre le charme, il patientait. Il mourait d'envie de l'embrasser, la serrer et à nouveau la faire vibrer. Le silence les accompagna, ils ne voulurent pas le rompre. Dans cette bulle d'oxygène, ils se blottirent. Reeve but une seconde gorgée puis reposa la coupe. Ses joues rosirent, une douce chaleur se diffusait dans chaque particule de son corps. Elle déposa sa tête sur l'épaule de son homme au bouquet de fleur, celui qui avait illuminé sa journée et la jeune princesse d’autrefois s'endormit.

*A.R*

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