Vendredi 02/12/22 dans la matinée

Je suis un corbeau, je suis Étienne le freux, je vole par-dessus les toits, les péniches, les bateaux-mouches et leur lot de touristes nippons. Un coup d’aile, je rase le pont des Arts, je me pose sur le Saule pleureur du bout de l’ile de la Cité, c’est un arbre encore trop jeune, il n’est pas assez haut. Avant lui trônait un autre babylon willow qui laissait trainer dans l’eau noire ses branches basses. Mais les hommes l’on coupés. Je saute sur l’if, le ginko biloba, le catalpa, c’était du vieux saule qu’on voyait le mieux.

Je me déplace, je chasse de la tête de ce bon vieux Henri, celui qui disait que Paris valait bien une messe, une paire de pigeons. Ils se posent sur le cheval blanc en râlant de dépit. Posé sur la tête du vert galant, j’ai une vision parfaite du pont neuf. Je contemple les passants, les passantes plutôt ! qu’ont-elles toutes à agir de la sorte? Elles ont de drôles de mœurs. C’est la seconde aujourd’hui.... Elle s’accoude à la margelle, se penche pour voir son reflet dans l’eau et bascule dans le fleuve. Je m’approche, dans cette eau noire des centaines de corps flottent. Des femmes, dont les cheveux, tel du varech, ondulent … Des escarpins, vidés de leurs pieds, par centaines sont posés à même le pavé, quel drôle de spectacle !

J’entends du bruit, ce doit être une bagarre de clochards les chiens aboient des femmes crient… les mortes de la Seine se lèvent et crient mon nom

• Étienne, Étienne, Étienne...!

Je me réveille soudain, je transpire… quelqu’un a dormi à côté de moi cette nuit, je n’en ai aucun souvenir… Seul le rêve fuit, des bribes s’accrochent encore à mon esprit brumeux.

• Salope ! tiens prend ça dans la gueule !
• Étienne, Étienne, Étienne !

Les cris viennent du couloir, je m’habille rapidement d’un peignoir et me retrouve plongé dans la mêlée. Je les reconnais, les mortes de mon cauchemar se battent comme des furies. La blonde semble avoir le dessus, elle griffe et crache comme un chat sauvage, la brune n’est pas en reste, plus grande, plus maigre elle a le regard mauvais, d’une poche elle a sorti un couteau, un long cran d’arrêt qui brille dans la lumière tamisée du palier. Je plonge sur le bras de Sarah et dévie la lame, lui tords le poignet. Le couteau tombe à terre. La brune me lance un regard de reproche et me crache à la figure d’un ton cassant.

• Tout ça c’est de ta faute, si tu étais clair au moins une fois pour toutes, tu couches avec l’une, tu m’invites dans le lit, me dit que je suis la plus belle, que l’autre n’est qu’une godiche… choisis putain Étienne !

Je crie, alors que je sépare les deux furies le chien me fonce dessus, je l’avais oublié celui-là, il me mord cruellement à la cuisse. Heureusement Reeve l’attrape par le cou, il obéit soumis. Ma jambe saigne je perds des petits paquets de sang qui salissent le carrelage ciré.

La concierge est là aussi, elle invective Reeve qui pleure maintenant, quel cauchemar, je préférais celui où j’étais le corbeau de la statue équestre d’Henri IV. Elle faisait moins la maligne Sarah, les cheveux flottant dans l’eau sombre.

Les cris de la concierge me vrillent les tympans, je lui intime l’ordre de se taire.

• Ta gueule la vieille ! Tu nous emmerdes, oui tu as raison, les chiens sont interdits dans cet immeuble. Son maitre est entre la vie et la mort. On n’allait pas le laisser à la fourrière tout de même !
• Mais il vous a mordu, monsieur Étienne, et vous défendez cette Reeve. Elle attire que des ennuis cette fille… De toute façon, quand elle n’arrivera plus à payer l’appartement de monsieur Henry, on la jettera dehors, comme les autres. Comme la salope du dernier, celle qui a été remplacée par l’actrice.
• Voulez vous rester à votre place madame Marinez ! je vous rappelle ce que disait de vous mon grand-père… vous voulez que je crie sur les toits certaines choses… je serais vous, je rentrerais tranquillement dans votre niche. Demain avec votre beau seau orange vous nettoierez les traces de sang sur le carrelage, en attendant, il n’y a pas eu de bagarre et vos n’avez jamais vu de chien dans l’immeuble puisque c’est interdit. On est bien d’accord, madame Marinez ?
• Bien monsieur Étienne, il sera fait comme vous le souhaitez !

Et la concierge, soumise en apparence, rentra dans sa loge. Après tout, si monsieur Étienne avait des problèmes avec ses pouffiasses, ce n’était pas ses affaires, il l’avait bien cherché au fond, à draguer l’une, flatter l’autre… Un bel homme cet Étienne, comme l’était son père.

L’algarade entre les deux filles, le réveil en sursaut et la blessure au mollet, c’était plus qu’il ne pouvait en supporter, il décida de simuler un malaise pour être tranquille. Alors qu’il feignait de s’avachir sur le carrelage taché de son sang, deux paires de mains s’activèrent pour le maintenir. Elles se lançaient toujours des regards assassins par-dessus son épaule, mais au moins elles ne se battaient plus !

***

Le mollet d’Étienne était bandé dorénavant… le canidé couché sous les pieds du mal Alpha de l’immeuble dormait à terre, son museau dégoulinant de bave posée sur les pieds nus de reeve.

Tous se regardaient en chiens de faïence. Ce fut Sarah la première qui rompit le silence !

• Bon Reeve, je te demande pardon !

Ses excuses étaient-elles sincères ? Personne n’y croyait. L’essentiel était qu’elles soient dites !

Reeve fixait le vide de ses yeux rougis, se contentant de renifler tristement.

Étienne prit la parole à son tour !

Que s’est-il passé vraiment, je dormais ce sont des cris qui m’ont sorti de mes cauchemars

• Alors Reeve, se moucha et parla enfin à son tour
• D’abord Étienne, Sarah a raison, ce n’est pas bien ce que tu fais, tu le sais, tu couches avec l’une de nous deux puis avec l’autre, nous ne sommes pas tes choses
• Mais !
• Laisse-moi finir, tu auras tout le temps de t’expliquer après… Tout a commencé ce matin, je suis passée pour voir si tout allait bien, tu m’as laissé un jeu de clé de ton appartement, je peux y rentrer quand je veux d’ailleurs je te le rendrais
• Non, tu dois le garder, c’est toi que j’aime Reeve ! il faut que tu me laisses un peu de temps, Sarah dormira sur le canapé, comme elle aurait toujours du faire, de toute façon on va lui trouver une chambre, elle ne peut rester ici indéfiniment, mais il est hors de question également qu’elle retourne dormir dans la rue !
• Donc je continue, j’étais sur le pas de la porte, je n’osais rentrer, vu le spectacle que j’avais sous les yeux ! Elle baise mieux que moi au moins Sarah ! Ah là, là ! Vous êtes tous les mêmes, une paire de fesses passe à portée de main et…
• Oui, je m’excuse !
• Donc je reprends, pendant que je refermais la porte sur ce triste spectacle, Gentleman, on ne sait pas ce qui lui a passé par la tête, m’a chopée par la taille et essayait de m’embrasser disant que j’étais la plus belle, qu’il était amoureux de moi depuis longtemps, qu’avec sa femme il baisait plus. Si Sarah n’était pas sortie, je passais à la casserole !
• Je lui dirais deux mots à ce salopard !
• Tu ne lui diras rien du tout ! Sarah l’a bien remis en place, quand elle l’a menacé de monter ses bijoux de famille en boucle d’oreille il s’est barré courageusement, je pense qu’il m’emmerdera plus. C’est un pauvre type, c’est tout ! C’est après que c’est parti en live… On s’est un peu crêpé le chignon Sarah et moi… rien de bien méchant !
• Tu me crois Reeve que c’est toi que j’aime !
• Écoute-moi Étienne le bourreau des cœurs, j’en ai déjà eu des connards à mes pieds, tu es celui qui a la plus belle gueule pour te faire pardonner il te faudra fournir autre chose qu’un gros bouquet de Tulipes !
• Un week-end à Porquerolles ?
• Non, c’est moi qui t’invite, ce week-end, ile de Ré, mais tu dormiras sur le canapé là-bas, il te faudra te faire pardonner tes frasques avant d’avoir le droit de venir me caresser les seins !

Sarah n’avait rien dit, elle baissait la tête, semblait ruminer de sombres pensées. Reeve, elle, bombait le torse, les larmes avaient séché aux coins de ses beaux yeux, elle savourait sa victoire.

Sarah, 1, Reeve 2, Étienne au centre !

E.Y