Chapitre XXXI : Sarah et Catherine
Dimanche 4 décembre
Sarah avait le terrible sentiment de voir son reflet dans son miroir et ça l’effrayait. Sa vie en cette soirée venait de basculer au cauchemar. Tout se mélangeait dans sa tête. Avait-elle été dans une autre vie si méchante pour que celle-ci soit encore pire ? Pourquoi méritait-elle encore de souffrir ? Finalement sur ce pont de la Seine, elle aurait dû plonger. Etienne en la sauvant, ne savait-il pas quelque chose lui aussi ? Il l’avait appelé Catherine et son fantôme venait de se matérialiser devant elle. La fille du Pont Neuf tremblait à ne plus pouvoir se retenir. Marc semblait aussi connaître tout le monde dans ce coin perdu du Var. Aucun souvenir n’arrivait, pour elle tout n’était que mensonges et dissimulations. Autant de coïncidences, cela ne pouvait être possible. Elle manquait d’air, un poids sur sa poitrine la comprimait, ses pulsations s’emballèrent. Était-elle en train de faire un malaise ? La terre se dérobait. Venait-elle de poser ses pieds dans des sables mouvants qui essayaient de l’avaler. Rien ne tournait rond ici, pourtant le Triangle des Bermudes était à mille lieues de là à moins que chaque recoin de terre ait son univers secret où la boussole tournait sans trouver le nord. Était-elle tout simplement déphasée ?
La pauvrette, devant elle, n’avait pas meilleure mine. Dans son regard terni, elle ne percevait aucune lueur. Son double prenait vie, elle avançait dans sa direction, la pluie lui donnait l’allure d’une dame blanche. Celle dont on évite la route par une nuit sans lune pour ne pas finir à jamais dans l’obscurité. Elle reculait, son sosie avançait. Chaque fois qu’elle faisait un pas dans sa direction, elle éprouvait une peur incontrôlée. Sarah angoissait, elle ressentait la même terreur que le soir où elle avait vu cet homme tomber dans la Seine par sa faute. Cet accident faisait-elle d'elle une meurtrière ? Depuis cette nuit, son sommeil était fait d’images les plus horribles les unes que les autres. Elle se voyait emmener dans une cellule dans laquelle elle croupirait pour l’éternité. Elle avait croisé la route d’Etienne et alors elle avait réussi à connaître des nuits paisibles. Dans les bras de Marc, la nuit dernière pour la première fois elle avait rêvé. Elle se souvenait de chaque détail, elle était à côté d’un bel homme dans une robe écrue, il la conduisait dans l’allée pour l’amener vers l’autel. Marc se tenait à côté de Reeve, sa témoin de mariage. Les deux lui souriaient. Finalement, cette femme avait fait preuve de bien plus de compassion que quiconque dans sa vie.
Sous cette pluie torrentielle, Sarah sanglotait et essayait de fuir ce fantôme. Marc avait disparu à l’intérieur de la maison avec le berger. Le ciel déversait sa hargne, elle laissait glisser son chagrin. Sans percevoir le danger, la jeune femme s’approchait dangereusement du rebord. Quand un éclair zébra le ciel et foudre l’arbre à quelques mètres de là, elle fit un bond. Catherine cria tout en lui attrapant la main :
- Sarah, non !
Elle se retrouva dans les bras de celle qu’elle essayait de fuir désespérément. Elles faisaient enfin connaissance et ce simple corps à corps fit exploser les craintes. Les chaines se brisèrent, de toute évidence, elles étaient semblables, pas seulement physiquement. Elles s’écroulèrent à genou dans la boue, sur leur joue les gouttes d’eau se mêlaient aux larmes. Catherine serrait fort ce corps qui lui avait manqué depuis tout ce temps, sans qu'elle ne s'en soit rendue compte. Elle en connaissait les moindres courbes puisqu’elles étaient aussi siennes. La mère de Catherine lui avait racontées leur histoire, leur naissance. Elle avait vécu avec sa détresse sans jamais pouvoir la consoler. Tout cela l’avait détruite à petit feu jusqu’à ce soir là où tout a définitivement basculé. Mais en cette nuit, elle venait de retrouver ce lien qu’elle pensait à jamais briser.
- Sarah, écoute-moi s’il te plait, supplia Catherine en lui tenant le menton pour plonger dans son regard.
- Pourquoi ? Qui es-tu ? Es-tu moi ?
Cette dernière question les plus étranges soit-elle, firent écho dans le cœur de Catherine.
- Suis-moi, je vais t’expliquer.
Sarah suivit son ombre sans dire un mot, elle se contentait de rester en arrière, n’ayant à aucun moment réussie à lâcher sa main. La pluie s’était calmée, le vent se levait chassant les nuages. La lune se montrait bienveillante, éclairant leur pas. Elles arrivèrent au fond du jardin, dans un coin une stèle en pierre était posée avec une épitaphe. Les deux femmes s’agenouillèrent devant le petit monticule.
- Ici en cette demeure repose Dolorès, paix à son âme et joie dans son cœur, lut du bout des lèvres Catherine.
- Pourquoi m’as-tu fais venir jusqu’ici ? Je ne comprends rien.
- Je voulais te présenter à notre maman, dit Catherine avec des sanglots dans la voix.
Sarah voulut reculer, la révélation s’abattait sur elle sans semonce. D’habitude par temps d’orage, le ciel dessinait l’éclair puis le bruit se diffusait. Ici les quelques paroles ainsi dites venaient de faire les deux la transperçant de part en part. Son cœur s’émietta, chaque pièce jetait dans un coin attendait qu’on les ramasse.
- Je comprends Sarah, mais c’est ainsi, je suis ta sœur et devant nous notre mère repose enfin en paix.
- Mais comment te croire ? Cela n'est pas possible.
- Regarde-moi, observe-toi, nous sommes des jumelles. Je savais qu'un jour nous nous retrouverions.
- Au plus profond de moi-même j’ai toujours su qu’il me manquait une part de moi. Comme si on me l’avait arraché à la naissance.
- Oui c’est du pareil au même pour moi.
- Mais si tu le savais, pourquoi n’es-tu pas parti à ma recherche.
- Ce n’était pas si simple, j’avais fait une promesse. Et je ne savais pas où te chercher.
- À une morte ? s’écria Sarah, sentant la colère l’envahir.
- Non avant qu’elle disparaisse. Sa mort est de ma faute. Nous nous disputions à ce sujet et elle a glissé comme toi ce soir, mais je n’ai pas eu le temps de la rattraper. C’était trop tard.
- Tu veux dire que …
- Oui, elle est fracassée cinq cent mètres plus bas dans les gorges de Verdon.
- Et alors, pourquoi ?
- Parce que je m’en voulais, j’étais perdue et désespérée. J’avais perdu tous mes repères.
- Tu es la femme d’Étienne, balança Sarah sans vraiment réfléchir.
- Pourquoi tu le connais ?
- Oui, enfin il m’a sauvé la vie.
- Alors, tu l’as vu. Comment va-t-il ?
- Comme un homme désespéré d’avoir perdu son épouse…
Sarah ne termina pas sa phrase ne sachant pas si elle devait lui avouer qu’elle avait couché avec lui et qu’à cette heure il refaisait sa vie dans les bras de Reeve.
- Il ne faudra rien lui dire, promets-le-moi. Il a le droit d'être heureux et de vivre sa vie.
- Décidément tu aimes les promesses qui ne peuvent-être tenues.
- Ce serait compliqué de tout expliquer ici et maintenant.
- J’ai tout mon temps, tu sais ma vie est devenue un beau merdier.
- Et Marc, comment tu l’as rencontré ?
- Parce que lui aussi tu le connais. J’aurai dû m’en douter quand il m’a dit que ce n’était pas une bonne idée de venir ici.
- Oui, il vivait ici dans le village avec sa mère.
- Mais qu’est-ce que c’est tout ce bordel. J’ai raté des épisodes et je regarde une série diffusée en accélérée sans que je ne puisse appuyer sur cette satané télécommande pétée. Et tu vas me dire que tu connais aussi Reeve.
Catherine regarda Sarah. À qui appartenait ce prénom de femme qu’elle venait d’échapper ? Pourquoi parlait-elle d'une autre femme ?
- Bon ouf à ta réaction, elle ne semble pas faire partie du coin, ni du scénario. Ça me rassure, elle est trop bien pour tremper dans cette histoire sans queue ni tête.
- Je veux que tu saches que maman t’aimait, ajouta Catherine dans un soupir.
- Tu parles, ça me fait une belle jambe.
- Elle ne savait pas ce que tu étais devenue, elle te pensait heureuse et en sécurité comme il lui avait promis.
- Encore une putain de promesse, vous avez tenu des comptes de tous vos satanés serments. Parce que pour le coup, je serais prête à briser le cou à plus d’un.
- Ne sois pas aussi dure.
- J’ai eu une vie de merde jusqu’à maintenant et c’est Étienne qui m’a empêché de me foutre en l’air quand je suffoquais. Il s’est trouvé là juste au moment où il fallait. Et quand il m’a vu c’est toi qu’il appelait. Je sais maintenant pourquoi. Je ne suis pas sûre de vouloir en savoir plus pour l’heure. Je veux retrouver Marc.
- Étienne est un homme gentil, il ne mérite pas ce que je lui ai fais subir, dit Catherine les yeux remplis de larmes.
Les deux femmes se relevèrent et filèrent en direction de la maison où s’échappait de la fumée et une bonne odeur de viande grillée. Sarah se tenait à côté de sa soi-disant sœur, Catherine attrapa sa main et apprécia qu’elle ne lui échappe pas.
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