Jameson - Premier jour

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Maison de Montgommery, 19h, Grand Hall.

Le bal masqué battait son plein. Les coupes de champagnes en cristal se vidaient et se remplissaient sans fin. Dans cette foule de notables mangeant du bout des doigts et riant aux éclats, Jameson restait discret. Il patientait dans l’ombre d’un homme opulent à la moustache gominée et au huit-reflets dont la hauteur était presque indécente. L’homme parlait fort et riait gras tout en se gavant, ce qui exactement le genre d’attitude que Jameson abhorrait. Lorsque l'homme s'étouffa avec un canapé apéritif, Jameson eut un sourire en coin et glissa furtivement sa main gantée dans les plis du costume trois pièces de sa proie. Il en tira une lettre que l'homme avait exhibé plus tôt, en expliquant qu'un de ses anciens patients se disait être dans un village hanté !

Quelques instants plus tard, Jameson hélait taxi pour filer à l’anglaise, un immense sourire aux lèvres et résolument fier de sa dextérité.

Enlevant rapidement ses gants, il décacheta la lettre et la parcourut avec avidité. Aussitôt, l’écriture en pattes de mouche le captiva.

“Docteur Benson

Lisez jusqu’au bout, je vous en supplie. Je suis à Hammelton et ce foutu patelin est maudit ! Il y a des monstres noirs et gluants et les créatures presque humaines et puantes qui nous ont attaquées ! La magie noire veut la peau de tous ceux qui sont coincés ici ! Elle a tué mon meilleur ami et c’est de votre faute. Votre foutue lettre l’a attiré ici comme une mouche avec du miel. Assumez vos responsabilités ! Faites raser ce village ! Faites le brûler en enfer ! Que plus personne ne vienne ici et ne meure, ou je vous jure que je reviendrai, même si c’est en fantôme, vous pourrir la vie jusqu’à la mort !

Et vou n’avez pas intérêt à exhiber cette lettre !

C’est du sérieux foutredieu ! “

Il n’en avait pas fallu plus à l’écrivain pour que son esprit s’emballe. Durant deux semaines, il s’enferma dans son studio sous les combles, noircissant jour et nuit les pages d’un futur roman fantastique.

Mais son héros destitué et maudit était à court d'idée pour trouver la solution du mystère du village hanté. Déchirant avec dépit ces pages qu'il trouvait indignes de son talent, Jameson décida qu'il était de son devoir de venir au secours de son personnage principal. Jameson décida alors se rendre en Hammelton promptement en train, puis en voiture. Mais lorsque les lettres de loyers impayés arrivèrent de nouveau en cette fin de mois, il se résigna. Il opta alors pour le trajet le plus long et le moins confortable : un covoiturage en fiat 500 et un bateau à vapeur, les autres modèles étant trop cher.

Coincé à l’arrière de la voiture, son carnet sur les genoux enfoncés dans le siège passager avant, il débuta alors son roman.

Tout avait été préparé dans les moindres détails. Une calèche tirés par quatre magnifiques pur sang allait emmener le magnifique jeune prince James. Le voyage, des plus agréables en compagnie d’une admirable lettré, l’emmena jusqu’au principal port du pays où se tenait une réception digne de son rang. “

Arrivé au port, Jameson s’étira et sentit ses articulations craquer de soulagement. Aussitôt, l’odeur acide de tripes l’assaillit. il couvrit son visage d’un mouchoir brodé au blason de sa famille et à ses initiales et se dirigea vers la guérite des réservations de bâteau. Ce petit port de village, excentré de la ville semblait d’un autre temps. Tout était vieux et délabré, des bâtiments aux matelots qui le regardait d’un oeil suspect. A cet instant Jameson songea qu’il aurait dû s'habiller autrement qu’en costume et noeud papillon pour voyager… Au comptoir d’informations en bois algueux, Jameson récupéra sa réservation contre ses dernières pièces. Il soupira en fourrant ses mains dans ses poches vides. Heureusement qu’Herwin serait là pour payer sur place ; au moins, lui, ses paternels ne l’avait pas déshérité. Devant le rafiot pourri à la coque, couverte de crustacés et de mousse qui craquait au moindre coup de vent en crachant une fumée noirâtre, il laissa échapper un gémissement de désespoir. Sortant son carnet, il inscrivit :

Le prince, le coeur lourd de laisser derrière lui femme et enfant, termina ses adieux depuis le majestueux pont du navire. Les odeurs portées par le vent de fleurs, d’encens et de fruits mûrs lui mirent le baume au coeur et soulagèrent sa peine. Enhardi par le chant des nombreux matelots qui composaient l’équipage, il s’installa dans ses quartiers luxueux.”

Un raclement de gorge le ramena à la réalité et il présenta le coupon au capitaine qui le dardait, une pipe sans fumée encastrée entre ses lèvres. Jameson s’installa sur la couche qui prenait toute la place de sa cabine. Inspirant et le regrettant presque aussitôt tant les odeurs de rance, d’humidité et de moisissure étaient fortes, il ferma les yeux et se changea pour un complet en ciré jaune, chapeau et botte assorties. Après tout, il est notoire que c’est dans les épreuves et soumis à des émotions intenses que les écrivains produisent leurs meilleures œuvres. Aussi, il fit contre mauvais bateau bonne humeur tout au long des quatre jours suivants et effectivement de nombreuses pages s’ajoutèrent à son roman.

Dans l'après-midi du quatrième jour, il sentit le bateau ralentir et sortit de sa cabine. S’étirant, fourbu, il constata que la mer s’arrêtait pour laisser place à un port délabré et désert. Plissant les yeux, il détailla la silhouette de son meilleur ami, le reconnaissant à ses larges épaules et son visage renfrogné. Un sourire ravi sur son visage, il prit son cahier et y inscrit :

"Paré de ses habits d’or et de soie, le noble héritier déchu en quête de gloire pour retrouver son trône débarquait sur une côte sauvage où un indigène l’attendait déjà…"

Satisfait de la fluidité de sa plume, il rangea son précieux manuscrit et fit de grands signes à Herwin dont il distinguait à présent la moue dépitée.

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