Chapitre 80 : La rumeur

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Lorsque Gwendoline le retrouve pour leur second parloir, Erwann a l’air beaucoup plus en forme que lors de leurs retrouvailles. Ses joues et ses cernes sont moins creusés et dans ses pupilles noisette brille un éclat doré. Il porte un jean brut et un sweat gris chiné, une couleur qui met naturellement son teint hâlé en valeur. Son visage est lumineux et ses cheveux bruns, qui ont repoussé depuis quelques semaines, sont impeccablement coiffés. C’est armé de son plus grand sourire et les traits parfaitement détendus qu’il la prend dans ses bras.

— Tellement heureux de te revoir mon amour.

— Moi aussi, tu m’as beaucoup manqué, murmure-t-elle les lèvres contre sa bouche. Bon anniversaire à toi mon chéri.

— Merci. Grâce à ta présence aujourd’hui, j’ai déjà reçu mon plus beau cadeau. Pour le reste, ce n’est pas le meilleur que j’ai connu mais on se rattrapera dès que je sortirai.

Elle hoche la tête, souriante, ravie de l’entendre si optimiste, et de le voir devenir plus fort et confiant à chaque fois.

Dans la cabine vitrée, l’ambiance est plus légère qu’elle ne l’a jamais été. Faisant fi de la présence des gardiens, Erwann l’enserre de plus belle contre son corps solide. Elle s’y coule dans un soupir de plaisir, sentant chacune des fibres de son être frémir de cette proximité. Son cœur s’emballe également, résonnant dans sa poitrine comme dans un caisson assourdi. L’effet qu’Erwann produit sur elle est immédiat. Et systématique. Pas une fois, son corps n’a manqué de réagir à son contact. Un courant d’électricité les enveloppe, comme à l’accoutumée.

Alors que la poitrine généreuse de sa compagne est collée contre son torse robuste, Erwann encadre son visage de ses mains et l’embrasse avec tendresse. Doucement, il entrouvre ses lèvres chaudes et humides, qui exhalent un parfum de menthe, pour mêler sa langue à la sienne avec volupté. Voyant qu’elle répond à ses baisers avec envie, il se laisse peu à peu emporter par la passion qui le consume, glissant ses doigts dans les mèches de ses cheveux argentés. Il l’embrasse désormais à pleine bouche. Guidé par sa fougue amoureuse, il passe sa main droite dans le creux de son dos jusqu’à descendre vers sa chute de reins, tandis que l’autre caresse sa nuque.

Lorsque leurs effusions menacent de dégénérer, la vue furtive du coin de l’œil de l’un des matons rappelle Erwann à l’ordre. Dans un raclement de gorge, accompagné d’un petit rictus en coin, il se redresse de toute sa hauteur et plonge ses yeux dans ceux de sa partenaire.

— Ce n’est ni le lieu, ni le moment, mais il me tarde de te retrouver, crois-moi.

Elle lui sourit, sur la même longueur d’onde. Il est grand temps qu’il sorte. Leur frustration atteint son paroxysme. Mais heureusement, cela les amuse plus que cela ne les énerve et c’est en souriant qu’ils redeviennent maîtres d’eux-mêmes.

À défaut de pouvoir succomber au charme de sa compagne, Erwann peut néanmoins en admirer la beauté, ce à quoi il s’adonne en la faisant reculer, pour apprécier son apparence tout entière. Aujourd’hui, à travers les vêtements qu’elle porte et qui soulignent ses nouvelles rondeurs, elle affiche enfin l’état qu’elle avait jusqu’à présent caché. Son pull moulant kaki fait ressortir ses yeux verts mais surtout sa poitrine généreuse et son ventre de plus en plus bombé, seules courbes qui se dessinent sur son corps élancé. Un pantalon blanc taille basse ceint son bassin et complète sa tenue en mettant en valeur son allure de sylphide.

Une fois repu de cette vision qui comble ses yeux autant que son cœur, Erwann l’attire de nouveau à lui. Il lui déclare qu'elle est resplendissante et que sa grossesse lui sied à merveille. Puis s’enquiert de son état, ce à quoi elle répond qu’en dehors de la fatigue et de nausées persistantes, tout se déroule pour le mieux. Elle remarque qu’il est aussi prévenant avec elle que s’il n’y avait aucun doute sur l’identité du père de l’enfant, ce dont elle lui sait gré.

Après quelques minutes de badinage amoureux, à se câliner chastement et s’échanger mots doux et paroles réconfortantes, les deux amants s’assoient de part et d’autre de la table, leurs mains jointes posées en plein centre, inséparables. Gwendoline entame la conversation sur un ton plus sérieux. Elle lui rappelle qu’elle retrouve Maître Le Tonquédec deux jours plus tard, juste avant l’entretien d’Erwann avec ce dernier et qu’à cet effet, elle a besoin de faire le point avec lui sur cette affaire. Son objectif premier est toujours de le faire sortir de là au plus vite.

— J’aimerais que tu me donnes plus d’informations, déclare-t-elle, à présent concentrée. Par rapport à ce qui s’est passé, tu sais... avec ces femmes. Je n’étais pas chaude pour t’entendre m’en parler jusque-là, mais il faut que tu m’en dises plus, car il y a certaines choses que je ne saisis pas très bien.

Erwann opine du chef, prêt à répondre honnêtement à ses questions, même si ces révélations risquent de le mettre mal à l’aise, étant donné la honte qu’il ressent toujours en repensant à son comportement d’alors.

— Reprenons depuis le début, si tu veux bien. Les modèles, pour commencer. Qui sont-elles ? J’aimerais les noms.

— Une seule porte plainte contre moi, Servane Lecompte, répond-il avant de citer les trois autres jeunes femmes. D’ailleurs, comment as-tu appris pour les modèles ? Tu ne me l’as pas dit la dernière fois.

Sans tergiverser, Gwendoline raconte succinctement le coup de fil de Jeanne, sa bookeuse de l’agence des Modèles Alternatifs, celle-là même qui l’avait virée sans ménagement, après leur shooting de Brocéliande. Shooting au cours duquel Erwann n’avait déjà pas brillé par son attitude. Elle lui explique avec quelle virulence Jeanne avait tenu ses propos, sans connaître le véritable lien qui unissait les deux amants nouvellement rabibochés.

— Le fameux coup de fil qui t’a transformé en glaçon, commente Erwann en se remémorant ce triste matin chez elle, peu après leurs retrouvailles à Crozon. Je comprends mieux ton attitude à présent. J’aurais peut-être réagi de la même façon, mais j’aurais préféré que tu m’en parles sur le coup, je t’aurais expliqué.

— Cela m’a prise au dépourvu, Erwann, désolée. Je sais que j’ai été désagréable ce jour-là, mais Jeanne avait été si hargneuse envers toi que je ne savais plus quoi penser. J’étais trop énervée pour avoir cette conversation. Je ne voulais pas qu’on se dispute...

— Pourquoi l’aurions-nous fait ? demande-t-il surpris. Il suffisait de mettre les choses à plat, d’être francs l’un envers l’autre... de communiquer, en somme. N’est-ce pas le propre d’un couple que d’échanger, d’être honnête et se dire les choses en face ?

— Bien sûr Erwann, je suis d’accord avec toi, mais la franchise n’a pas vraiment été notre spécialité, ni à l’un, ni à l’autre, depuis que l’on s’est remis ensemble. Tu ne crois pas ?

— Si, bien sûr, tu as entièrement raison, admet-il. Et cela nous a créé plus de problèmes que ne l’aurait fait la vérité. Il faut que cela nous serve de leçon. Toi et moi, on doit vraiment apprendre à se faire confiance. Ce sera notre force, Gwen. Sans cela, notre couple sera voué à l’échec.

— Bien... je valide chacun de tes propos, alors je vais être honnête avec toi...

Gwendoline lui fait alors part de la raison pour laquelle elle avait gardé le silence ce matin-là, à savoir l’immense déception qu’elle avait ressentie face au comportement de son compagnon. Un comportement qui ne lui ressemblait nullement depuis qu’elle l’avait connu. Les propos de Jeanne avaient corroboré ce qu’Erwann lui avait déjà raconté lors de leur première nuit. Avec dépit, Gwendoline avait découvert une autre facette de son partenaire et ce n’était, et de loin, pas la plus reluisante. Or, comme elle le lui rappelle, Erwann n’allait vraiment pas bien à ce moment-là. Il le lui avait lui-même confié et elle n’avait pas eu envie de l‘accabler encore plus en avouant le fond de ses pensées.

Des larmes au bord des yeux, sachant que ses aveux déplaisent à son homme, elle resserre ses mains autour des siennes en guise de soutien. Le visage de plus en plus sombre, Erwann acquiesce, blessé par son discours, qu’il sait pourtant légitime. Même si ces propos lui font mal, sa compagne lui offre ce qu’il vient tout juste de réclamer : une totale sincérité. Il ne peut pas le lui reprocher à présent. Cependant, prendre conscience qu’elle l’avait moins estimé se révèle plus difficile à surmonter qu’il ne l’avait imaginé. D’autant que tous ces comportements, avant et après leur rupture, il ne se les était jamais pardonnés. La culpabilité lui broie les tripes.

Le cœur à vif, il essaie de reprendre pied et de ne pas s’enliser dans le gouffre de sa peine. Gwendoline est là pour lui, malgré tout ; malgré ses erreurs du passé et malgré son attitude déplorable des mois qui avaient suivi. Quand bien même son image de gentleman est égratignée, elle l’aime encore et est toujours présente à ses côtés. Il doit accepter de ne plus être aussi parfait à ses yeux, même si cela lui fend le cœur. Pour camoufler son trouble, il s’efforce de reprendre le fil de leur conversation.

Ne comprenant pas d’où était partie la rumeur, étant donné que l’agence se situait à Paris, il demande, la voix éteinte :

— Comment Jeanne a-t-elle pu être au courant de mes liaisons ?

Gwendoline lui répond qu’elle soupçonne une ou plusieurs modèles avec qui il a eu des relations d’avoir aussi été dans cette agence, ce qui aurait permis à ces cancanages de remonter plus haut. Erwann opine du chef, les lèvres pincées, le regard insondable.

— Jeanne m’a même mise en garde contre un risque de viol, ce qui est très étrange quand on sait de quoi tu es accusé aujourd’hui. Sur le coup, j’ai été très étonnée d’entendre cela, mais bien sûr, je n’y ai pas prêté attention. Cela dit, aujourd’hui, cela m’interpelle. C’est comme si le terrain avait été préparé en amont.

— En amont ?

— Oui, à croire qu’une ou plusieurs personnes aient voulu qu’on ne puisse pas mettre en doute ta culpabilité. Et pour ce faire, quel meilleur moyen que de faire circuler des bruits de couloir ?

— Effectivement, même si c’est faux, propager ce genre de rumeur va encore m’accabler davantage au cours de l’enquête. Si c’est l’image que les gens du milieu de la photo se sont faite de moi, c’est parfait pour créer le doute dans l’esprit de mes confrères, de mes clients et de mes modèles. Tous finiront par y adhérer.

Pour toute réponse, Gwendoline lui réaffirme que les on-dit ne font pas de lui un criminel. La seule chose sur laquelle ils doivent se concentrer désormais c’est de découvrir d’où cela était parti et qui a intérêt à ce que le Breton soit derrière les barreaux. Les sourcils froncés, tenant toujours les mains d’Erwann entre les siennes, elle réfléchit silencieusement quelques instants, puis poursuit :

— Quelqu’un doit t’en vouloir à mort pour avoir envie de te détruire à ce point-là, je ne vois pas d’autre explication. Est-ce que tu as des ennemis ?

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