Chapitre 49 : Une pipe au goût amer
Le lendemain matin, dans les bras l’un de l’autre, le réveil aux aurores est doux. Gwendoline émerge la première et constate qu’il est encore tôt. À peine plus de cinq heures trente du matin. L’automne est vraiment installé, avec son explosion de couleurs et sa fraîcheur bienfaisante. Son corps frissonne d’une baisse générale des températures. Elle se colle contre celui d’Erwann, irradiant de chaleur. L’image de son homme endormi se dessine dans la semi-obscurité. Un filet de lumière verte illumine faiblement la chambre. Le téléphone d’Erwann est resté branché toute la nuit, les éclairant telle une minuscule luciole.
Allongé sur le dos, il est nu sous la couette, qui devient trop légère pour la saison hivernale. Son odeur boisée mélangée à celle de sa transpiration l’attire irrésistiblement. Elle se glisse sous l’édredon et dépose de doux et légers baisers sur son torse, puis sur ventre plat, aux abdominaux saillants. Elle longe ses tablettes de chocolat, descend vers son pubis. L’odeur animale qui émane de son amant stimule son imagination, ses désirs. Elle pose sa bouche sur son sexe, légèrement dur, qui, au contact de ses lèvres chaudes, gonfle instantanément.
— Hummm, l’entend-elle gémir plus haut.
Une main vient délicatement se poser sur sa chevelure emmêlée, comme un encouragement tacite à se lancer dans son entreprise. Erwann est dans une sorte de réalité fantasmée. Est-il allongé dans un lit ou sur un nuage ? La sensation cotonneuse qui l’entoure lui laisse penser qu’il rêve encore. Un doux songe érotique où l’on s’occupe de son anatomie avec sensualité. Sa langue chaude sur son frein… sa bouche en forme de cœur qui aspire son gland gonflé, juteux, brûlant. Ses mains curieuses qui se baladent sous lui. Un doigt lubrifié vient le titiller agréablement, tandis qu’elle gobe tout rond un testicule. Puis l’autre, tout en faisant des allers-retours le long de son membre dur.
Il desserre les jambes, de plus en plus réveillé. Elle est sous la couette, remuant à peine, bien installée entre ses cuisses. Avec son bras tendu, il la touche, cherche puis trouve son sein. Elle se laisse attraper. Il saisit son téton, le pince délicatement. Elle gémit, réactive, comme à chaque fois qu’il s’occupe de sa poitrine. Il aimerait la prendre, fort, vite, de suite, mais se concentre sur la bouche qui avale son sexe au garde à vous. Elle le bichonne, adepte des caresses lentes, qu’elle alterne avec d’autres plus vigoureuses. Le plaisir est délicieux.
Elle tâte ses bourses, les manipule, joue avec, en même temps que son doigt humide s’insère en lui. La pénétration est délicate, innovante… agréablement surprenante. Il ne savait pas qu’il allait aimer ça. Qu’il allait même en redemander. Il soupire de plus belle, espérant qu’elle comprendra le message.
Elle s’enfonce en lui et lui s’enfonce en elle, dans les profondeurs de sa gorge. Il bouge son bassin pour accompagner le mouvement de sa tête et tandis qu’elle le doigte, Erwann se sent partir. Il pince ses tétons plus fort. Elle gémit à son tour.
Dans le noir complet, il ne la voit pas mais ressent tout. L’obscurité est une chance. C’est pour cette raison qu’il accepte qu’elle le sodomise, tant l’acte lui procure autant de gêne que de plaisir. Mais il joue le jeu et se laisse faire, conscient que cela lui plaît, même s’il a du mal à l’assumer.
Elle prend son temps, le faisant monter minute après minute, stimulant chaque parcelle de son anatomie, inventant des combinaisons fructueuses, récréant celles qui fonctionnent déjà. Un mélange de valeurs sûres et de nouveautés.
Erwann se laisse porter, remuant légèrement, encore assommé de sommeil. Son esprit se fraie un chemin entre la douceur de la réalité et le songe qui l’appelle encore. Il bascule de l’un à l’autre. Il rêve que sa compagne le suce ou alors il se fait faire une fellation par une déesse au corps brûlant. Il se souvient que l’autre matin, c’est lui qui l’avait réveillée de cette façon. Avant de s’unir à elle dans une étreinte divine...
Il caresse son sein rond. Joue avec la pointe dure entre ses doigts pour l’entendre geindre plus fort. Elle accélère. Elle veut le faire jouir et s’en délecter. Elle aime qu’il vienne dans sa bouche. Au moins tout autant que lui aime s’enivrer de son fluide salé. Il a toujours adoré les préliminaires, en donner et en recevoir, mais jamais à ce point. Jamais avec cette intensité.
Est-il vraiment réveillé ? Est-elle réelle sa fée enchanteresse, ou fait-il encore un de ces songes où il la revoyait, avant de comprendre qu’elle l’avait quitté ? Il s’agissait alors de cauchemars où son bonheur imaginaire éclatait comme une bulle de savon piquée par le retour brutal à la réalité...
— Erwann, t’as entendu ?
— Hum.
— On a sonné et maintenant on frappe à la porte.
— Hum ?
— Erwann, on cogne à la porte ! crie-t-elle soudain.
Gwendoline vire la couette du lit dans un grand mouvement de bras et file à la salle de bain enfiler un peignoir. Elle ouvre la porte de la chambre et de suite, les bruits se font plus violents, plus distincts. Erwann se relève sur les coudes :
— Hein ? Quoi ?
— Y’a du monde derrière la porte ! dit-elle affolée. J’entends des voix. Des voix d’hommes.
— Police ! Ouvrez ! tonne une voix grave à l’étage inférieur.
— Police ? répète Erwann encore sous le coup d’un réveil trop brutal.
La sonnette retentit dans tout l’appartement telle une alarme qui voudrait prévenir les habitants d’un départ de feu.
— C’est quoi ce gag ? grogne-t-il.
Il se lève trop vite, ce qui l’oblige à se rasseoir aussitôt. Le brouhaha s’intensifie à l’extérieur de l’appartement.
— Monsieur Le Bihan. Ouvrez ! Police ! On sait que vous êtes là. Le portier nous a ouvert et a confirmé votre présence ici. Ouvrez !
— Ouaiiiiis ! C’est bon, j’arrive, hurle-t-il soudainement.
Gwendoline, juste à côté de lui, sursaute et se bouche les oreilles en même temps. La voix de son compagnon semble être passée de « mute » au volume cinquante en une seconde. Tremblante, elle s’assoit au pied du lit, duquel Erwann tente de s’extraire.
— Les flics ? répète-t-elle, paniquée.
Les coups contre la porte redoublent. La sonnerie stridule à une fréquence de plus en plus rapprochée.
— Putain, c’est quoi ce bordel ?! J’espère que c’est pas à cause de l’autre con de Prigent. On peut quand même pas claquer d’un nez pété !
Erwann réussit à se mettre debout sans perdre l’équilibre, malgré la tête qui lui tourne encore. Excédé par le boucan qui lui parvient du palier, il se remet à gueuler :
— J’arrive ! C’est bon, j’arrive !
Alors qu’il atteint le seuil de la chambre, sa compagne intervient.
— T’es à poil !
— Je m’en fous. Je trouve pas mon calbute.
Il traverse la passerelle et dévale les escaliers, nu comme un ver, puis arrive dans le vestibule d’où provient le vacarme. Il appuie avec force sur la poignée et ouvre la porte d’un geste énergique, se prenant en pleine face la luminosité trop vive de la cage d’escalier. Les yeux à moitié aveuglés, il met sa main au-dessus des sourcils pour voir que lui vaut tout ce raffut.
— Erwann Le Bihan ? interroge le Brigadier-chef.
— Lui-même, répond-il, sur ses gardes.
Malgré sa nudité, Erwann n’éprouve aucune gêne à s’afficher devant un public masculin qui n’y prête guère attention. Seule une jeune policière tout à droite baisse les yeux au sol, incommodée par ce spectacle exhibitionniste.
— Nous allons procéder à une perquisition à votre domicile, continue le Brigadier-chef.
— Ben voyons. Et en quel honneur, je vous prie ? rétorque-t-il, agacé.
— Vous êtes en état d’arrestation.
— Quoi ? Vous êtes sérieux ?
— Lisez-lui les chefs d’accusation, ordonne le Lieutenant de Police, à ses côtés.
— Vous êtes accusé par six femmes de viol, d’agressions sexuelles et de violence physique et verbale, énonce son collègue.
— Quoi ??!!?
— Menottez-le. Le suspect est agité, déclare le Brigadier-chef.
— Viol ?!!? Vous vous foutez de ma gueule ????
— Menottez-le tout de suite, j’ai dit, répète le brigadier-chef.
Erwann est projeté dans le mur d’une claque dans le dos, avant d’être attaché comme un vulgaire voleur à la tire. Il se débat mais ce réveil des plus violents a amoindri ses forces, qui étaient auparavant concentrées sur une seule zone.
— Venez avec nous pour la perquisition, ordonne le Lieutenant en saisissant Erwann par un bras.
Son collègue le tient de l’autre bord et tous deux le dirigent vers l’intérieur de l’appartement de standing, aussi sombre que silencieux.
— Commencez par le salon, décrète le Brigadier-chef en allumant. Récupérez tout ce qui peut nous intéresser : son ou ses téléphones, son ou ses ordinateurs, son matériel de photographie, ses cartes mémoires, son agenda, tout ce qui peut nous apporter des preuves de ce que ces femmes avancent.
— Et allez chercher ses vêtements qu’on puisse l’extraire de son domicile, ajoute l’autre officier de la police judiciaire.
Les policiers font le tour du grand appartement, sous l’œil déconfit d’Erwann qui ne comprend rien à ce qui lui arrive. Son cerveau tourne au ralenti, anesthésié par la brutalité de son interpellation. Il est sonné par ce qu’on vient de lui déclarer.
Viol ? C’est une blague ?
Les quatre agents des forces de l’ordre arpentent chaque pièce pour récupérer le précieux butin qu’on leur a réclamé. En faisant le tour de la chambre à coucher d’Erwann, à l’étage, la jeune policière tombe sur Gwendoline, assise par terre, tétanisée.
— Madame ? Êtes-vous là de votre plein gré ?
— Quoi ?! Mais bien sûr enfin, dit-elle en commençant à pleurer.
La femme acquiesce, rassurée, et lui demande gentiment où sont les vêtements du mis en cause.
— Mon compagnon, corrige Gwendoline.
— Oui, voilà, votre compagnon, répète la jeune femme, consciente de sa maladresse.
Gwendoline se lève et se dirige d’un pas chancelant vers la pièce attenante, où se trouve le dressing. Elle récupère un jean et un pull qui traînent sur le dossier d’une chaise et les transmet à la jeune policière, qui repart en la remerciant.
Gwendoline la suit et longe le couloir éclairé de sa lumière crue et agressive, difficile à soutenir. En bas de l’escalier, elle tombe sur Erwann, nu, au milieu du salon. Il est entouré de deux officiers, maintenu sous bonne garde, un filet de sang coulant de son nez. La policière dépose les vêtements à côté de lui en évitant de regarder son anatomie exposée. Lorsque Gwendoline s’approche de son compagnon, on l’intercepte :
— Restez à l’écart, Madame, s’il vous plaît.
— Laissez-là, grogne Erwann.
— Du calme, le somme le Brigadier-chef en resserrant sa prise sur son bras. Habillez-vous.
— Comment voulez-vous que je fasse, je suis attaché ! argue-t-il.
— Madame, aidez-le à mettre son pantalon.
Gwendoline s’exécute et lui fait enfiler le jean une jambe après l’autre. Elle le fixe d’un regard suppliant pour qu’il se calme. La sentir auprès de lui en de telles circonstances le réconforte, malgré la honte qui le dévore d’être humilié sous ses yeux. Elle ferme un à un les boutons du jean, le regard plongé dans le sien. Il y lit beaucoup de choses. De la peur et de l’incompréhension, principalement. Mais aussi de l’amour et un soutien indéfectible. Vêtu de son bas, Erwann la remercie d’un signe de tête, apaisé par sa présence. Un homme se râcle la gorge. Elle recule, sachant pertinemment qu’elle ne peut rien faire de plus.
— Et mon pull ? demande Erwann en regardant l’officier à sa droite.
Son ton est plus amène désormais. Il écoute les demandes silencieuses qu’il lit sur le visage de sa compagne.
— Retirez-lui les menottes, concède le Lieutenant. Madame, s’il a un manteau, donne-le-lui s’il vous plaît.
Les échanges deviennent plus cordiaux de part et d’autre. L’ambiance électrique redescend quelque peu. En fouillant dans le placard de l’entrée, Gwendoline tombe sur son blouson aviateur, celui-là même qu’il portait lors de leur toute première rencontre. Elle s’en saisit et le serre contre elle. En le choisissant, elle espère que cela lui rappellera de bons souvenirs. Lorsqu’elle revient au salon, il est en train d’enfiler son pull, les mains libres, mais tenu en respect par quatre agents des forces de l’ordre. Il a retrouvé son flegme habituel et se montre coopérant. Au moindre faux pas, son compagnon sait qu’il finira assommé sur le sol ou avec une clef de bras dans le dos. Placide, il lui sourit lorsqu’elle lui donne le blouson. Il comprend le message. Dans un silence de mort, il se couvre avant de tendre ses poignets aux policiers pour qu’ils l’enferrent à nouveau.
— Il saigne beaucoup du nez, remarque sa compagne, qui voit avec inquiétude le pull changer de couleur.
— Il aura la visite d’un médecin durant sa garde à vue, précise le Lieutenant.
Ce dernier jette un œil à sa montre.
— À compter de ce jour, six heures quinze, Monsieur Le Bihan est en garde à vue pour vingt-quatre heures.
— Où l’emmenez-vous ? demande-t-elle.
— Au Commissariat de Waldeck-Rousseau, répond le Brigadier-chef.
— Je peux le voir là-bas ?
— Aucune visite pendant la garde à vue.
Deux officiers de la police judiciaire reviennent de leurs fouilles, les bras chargés de leurs trouvailles. Tout le matériel photo d’Erwann est confisqué et mis sous scellés. Gwendoline les observe déposséder son partenaire de tout ce qui fait sa passion, son métier, son identité. Elle se tient devant la porte, les bras ballants, confuse et impuissante.
— Éloignez-vous, Madame. Nous avons fini la perquisition.
Erwann n’aime pas le ton employé mais se retient de réagir, conciliant. Il sait qu’à partir de maintenant, il ne fera qu’aggraver son cas. Dans un effort surhumain, il s’exécute lorsque le Brigadier-chef lui intime l’ordre d’avancer calmement en désignant la sortie.
L’interpelé quitte le salon sous l’escorte policière venue les chercher, lui et ses objets personnels. Sans un mot ni un regard pour sa compagne en détresse, le Lieutenant et son collègue poussent Erwann à l’extérieur de son appartement sans ménagement. Le reste du groupe de policiers disparaît à son tour, emportant avec eux, dans de grands sacs, ce qu’ils ont déniché d’intéressant pour leur enquête. La porte reste ouverte après leur passage.
L’interpellation et la perquisition auront duré tout au plus une vingtaine de minutes. La messe a été dite, il n’y a plus rien à ajouter.
Gwendoline referme la porte, démunie et livrée à un silence étourdissant, rompu par le bruit de ses angoisses galopantes, aussi désordonnées que lui apparaît l’entrée. Les valises pour Disney, pleines à craquer, ont été éventrées, leurs contenus intégralement fouillés et retournés. Les vêtements éparpillés jonchent le sol du vestibule.
Tremblante, elle s’assoit par terre, le long de la cloison froide à laquelle elle s’adosse, et porte ses mains gelées à sa bouche. Ses yeux embués de larmes s’arrêtent sur les traces de sang qui ornent la peinture blanche immaculée, à l’endroit où le nez d’Erwann a percuté le mur.
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