Bonus : Femme de détenu
Comme vous avez pu le découvrir ces jours-ci, l’intrigue se déroule présentement dans le milieu carcéral. On ne va pas se mentir, c’était mon objectif principal lorsque j’ai démarré ma réflexion sur le contenu du tome deux et ma réflexion a été de très courte durée. Grosso modo, ça a fait : « alors, alors, qu’est-ce que je vais faire de ces deux cons ? Bon, ben déjà, Erwann, Monsieur Parfait, lui je vais le foutre au placard, ça va être vite réglé » Le travail suivant a donc consisté à imaginer les raisons qui pouvaient l’y conduire mais le point de départ a vraiment été l’univers carcéral. C’était une évidence.
Pourquoi ? Parce que l’écriture me sert à exorciser les choses que je vis ou que j’ai vécues. La prison, je ne l’ai pas connue en tant que détenue, Dieu merci, mais en tant que femme de détenu. Lorsque j’avais 24 ans, je suis tombée sous le charme d’un taulard (du même âge). Comment est-ce possible ? Eh bien tout simplement parce que j’ai rencontré un mec à l’extérieur et que ce mec avait un meilleur ami qui était incarcéré depuis cinq ans « à tort ». Je mets le « à tort » entre guillemets car très honnêtement je ne peux pas jurer que cela soit la vérité vraie et irréfutable. Quoi qu’il en soit, le mec avait pris une peine phénoménale, pour un crime qu’il n’avait, à priori, pas commis.
L’histoire démarre comme ça. Pendant un an, je lui ai écrit, et une relation épistolaire s’est créée entre lui et moi, une relation qui avait des allures de relation sentimentale, mais comme je n’obtenais pas de parloir, elle était bien chaste notre relation. En effet, son affaire devait être rejugée aux assises, en appel, et comme elle était encore en cours d’instruction et que je n’étais pas de la famille, toutes mes demandes de parloir étaient systématiquement rejetées. Au bout d’un an, enfin, j’ai obtenu un droit de visite permanent et c’est ainsi qu’a débuté notre romance entre quatre murs.
Je connaissais les accusations contre lui, et elles m’indifféraient plus ou moins, car je ne le voyais pas comme on le décrivait dans les médias. Car l’affaire avait fait grand bruit par chez nous. Une sale affaire, un sale résultat, c’était assez abominable mais lui, qui clamait toujours son innocence, me paraissait être quelqu’un de bien. Ce qu’il était au demeurant, je le pense toujours. Mais son image avait pris cher et lorsque je disais qu’il était mon compagnon, on me regardait avec des yeux ronds comme des soucoupes. Si c’était lourd à porter pour moi, alors je n’imagine même pas pour lui...
Je ne sais pas si je l’ai aimé (je dirais que non avec du recul) mais il me fascinait, oui. J'étais admirative de sa personnalité, sans aucun doute. Il était beau, intelligent (on l’avait d’ailleurs surnommé le « cerveau » dans son affaire) et j’étais complètement paumée. Il n’en fallait pas plus pour que je cède aux sirènes de l’amour.
Voilà comment j’ai découvert l’univers carcéral. Notre idylle, qui était loin d’être idyllique étant données les circonstances, a duré quatre ans à peu près. Sa peine avait été confirmée en appel, j’avais assisté au second procès, il lui restait encore beaucoup d’années à faire. Je l’ai suivi à différents endroits : Ploemeur, Lorient, Brest, Rennes, puis la maison centrale de l’île de Ré, sa dernière étape. La plus longue. C’est là où se retrouvent les très lourdes peines, mais aussi les conditions de vie un peu plus souples. On avait des doubles parloirs de plusieurs heures, puis des U.V.F, des Unités de Vie Familiale, qui nous permettaient de nous voir dans une petite maison durant une journée (à l’intérieur de la prison), puis 24h, 36h, 72h.
Mais au bout d’un certain temps, la prison m’avait usé, dégoûté et j’allais à nos rendez-vous avec le cœur lourd et l’envie de ne plus jamais y remettre les pieds. Je ne voulais pas le laisser tomber, mais je ne voulais plus continuer non plus. Il le voyait. Il le comprenait. Il me remontait le moral (oui, un comble, quand on y pense !) et il a fini par me laisser partir. J’ai admiré sa force pendant des années, son courage, son mental. C’était un roc, il avait l’air indestructible. Il riait tout le temps, je l’ai rarement vu abattu, je m’imprégnais de son énergie, et j’ai beaucoup appris à ses côtés sur ce qu’était avoir de la force de caractère. La mienne a décuplé à son contact.
Sa famille avait été adorable avec moi. Sa mère m’avait accueilli comme sa fille, j’étais traitée comme une princesse et pendant un temps, je me suis nourrie de leur amour et de leur générosité de cœur. Mais la prison c’est lourd à supporter quand on n’y est pas obligé. Se forcer à y rester, même en étant à l’extérieur, c’est vraiment une gageure que je n’avais plus envie de relever. J’avais fait mon temps. J’avais offert ce que j’avais à offrir et j’avais pris ce que j’avais à prendre.
Pendant les années qui ont suivi, j’ai rangé tout cela dans un coin de ma tête, très loin, très très loin. Je me suis mariée, j’ai eu ma fille, et mon ex a continué sa route. Il faisait des études, il a obtenu le bac, puis une licence, et puis il a commencé à obtenir des perm’ pour sortir à l’extérieur. On s’est revus. En tout bien tout honneur. Je lui plaisais encore physiquement et je le trouvais toujours aussi fascinant mais on avait évolué moralement vers des directions différentes. On n’avait plus grand-chose en commun et c’était très bien comme ça. J’étais contente de le savoir dehors, de le voir reprendre sa vie là où elle s’était arrêtée plus d’une dizaine d’années auparavant. Il était en forme, optimiste, courageux, volontaire, déterminé à profiter de chaque instant et à croquer la vie par les deux bouts.
Je me suis excusée de l’avoir lâché en cours de route mais il ne m’en voulait pas. Au contraire, il était reconnaissant que je l’aie accompagné pendant ces quelques années. Il a souligné le fait que chacune de mes lettres, chacun de mes mandats et chacune de mes visites l’avait aidé à tenir le coup. La détention avait été moins dure, la privation de liberté plus supportable. J’étais heureuse d’avoir contribué à cela. De l’avoir aidé autant qu’il m’avait aidée. Car j’étais devenue plus forte grâce à lui. Son mental avait déteint sur moi et il m’avait ouvert la voie de la résilience. Il avait été mon modèle sans le savoir, sans le vouloir, mais il l’avait vraiment été. On s’était mutuellement rendu service et c’était très bien comme ça.
J’ai toujours été fière d’avoir été sa compagne et je ne crois pas l’avoir jamais regardé comme un criminel. Je ne voyais que l’humain, ses qualités, ses défauts éventuellement, mais pas ce dont il était accusé. J’avais plus ou moins occulté le truc. Il était persuadé d’être victime d’une erreur judicaire, je parlerais plus d’une erreur de jugement de ce que lui pensait. Il ne réalisait pas sa véritable implication dans l’histoire, mais il me semble que celle-ci avait été bien réelle. Il était dans le déni, ou alors je me trompe, mais je pense que sa part de responsabilité était réelle.
De toute façon, il a payé. Il a payé de sa liberté pendant de très nombreuses années, et financièrement, il avait une dette colossale aussi. Alors oui, quel que soit le niveau de sa participation, il a payé.
Une anecdote est survenue quelques années après ces retrouvailles. J’ai reçu sa « victime » comme client. Je savais que c’était lui car j’avais assez vu sa tête dans les journaux, ou en vrai, pour le reconnaître lorsque j’ai ouvert la porte. J’ai tremblé et bafouillé lorsque je l’ai reconnu. Je n’ai pas osé le refuser car j’ai eu peur, même si je ne sais pas bien de quoi. J’ai été terrorisée durant tout le rendez-vous car je n’arrêtais pas de me demander s’il savait qui j’étais, qui j’avais été. S’il savait que j’avais été la femme de son « agresseur », de celui qu’il considérait comme le seul et unique responsable de son malheur (d’autres jeunes avaient été mis en cause dans l’affaire mais mon ex avait été reconnu comme le « cerveau » et la victime lui en voulait particulièrement ).
Ayant assisté au procès en appel, sa victime aurait pu me reconnaître, mais en fait, non, c’était juste le hasard. Un hasard très étrange croyez-moi. Le comble de la bizarrerie a été lors du rapport sexuel. Soudain, j’ai réalisé que j’avais couché avec l’agresseur et l’agressé, que les deux avaient été en moi, que j’étais une sorte de lien. C’était complètement ubuesque, j’en ai tremblé pendant toute la soirée qui a suivi ce rendez-vous. Je trouvais cela complètement incroyable, c’était le truc le plus weird que j’ai jamais eu à vivre dans ma vie.
Pour répondre à une lectrice dont j’affectionne les échanges, je dirai donc que oui, je sais un peu de quoi je parle. Mais comme cette expérience remonte à quelques années, j’ai dû faire pas mal de recherches pour « actualiser » mes connaissances sur le milieu carcéral et je me suis notamment inspirée de la prison de Rennes-Vézin comme point de repère. Certaines choses changent d’un établissement à l’autre, alors ce que je raconte ne concerne que les informations que j’ai obtenues sur le centre pénitencier de Rennes, mais cela donne une bonne idée de la vie en milieu carcéral, pour ceux qui sont dehors, comme pour ceux qui sont dedans.
C’est mon objectif dans cette histoire. Vous partagez un peu de mon expérience pour vous montrer autre chose, et sûrement quelque chose que vous n’avez pas connu (ce qui est aussi bien). Mon témoignage reste ma vision des choses, ma version de cet univers, cela ne sera peut-être pas votre ressenti ou celui de quelqu’un d'autre. Vous allez peut-être apprendre des choses, ou pas, ou voir les choses sous un autre angle, ou pas.
Me replonger dans cet univers a été plus dur que je ne l’avais imaginé lorsque j’ai décidé de mon intrigue en août. Malgré tout, j’ai persisté. En dépit des souvenirs douloureux, c’était important pour moi d’exorciser tout cela, de le faire vivre sous une autre forme, sous une forme qui me convenait mieux. Réécrire l’histoire, se la réapproprier, permet de la digérer, de la rendre plus belle, même à postériori. On y ajoute ce qui nous a manqué et on enlève ce qui nous a déplu. L’imagination joue le rôle de pansement, l’écriture de thérapie, encore... Encore et toujours, pour notre plus grand plaisir à tous. Les livres sont de tels vecteurs et possèdent un tel pouvoir... comment s’en passer... Et puis surtout, pourquoi le faire ? ;-)
J’espère que cette petite plongée dans la vie de la prison vous plaira. J’ai eu quelques retours enthousiastes, d’autres sont plus mitigés, alors on verra où tout cela nous mènera. Les premiers jets de l'ensemble des chapitres du tome deux sont presque tous écrits, il faut encore peaufiner tout ça, mais je sais où je vais. J’ai encore quelques surprises sous le coude à vous servir. À mon avis vous n’êtes pas encore rendus au bout de vos peines ^^.
Je reconfirme que le tome trois est toujours d’actualité car, si je veux respecter à peu près la longueur du tome un, j’ai déjà pas mal de chapitres de pondus pour le troisième opus. Je n’aurais pas assez du second tome pour aller au bout de tout ce que j’ai à dire. Et j’ai suffisamment de matière pour assurer une trilogie. Il y aura encore des hauts et des bas et quelques grinçages de dents, mais vous me connaissez, je suis une auteure sadique ^^ Alors je vais faire honneur à ma réputation.
Petite anecdocte supplémentaire : j'ai croisé Christophe Hondelatte lorsque j'allais au parloir de la maison centrale de l'île de Ré. Il était visiteur de prison lui aussi. Voilà, c'était mon petit instant "Gossip" ;-)
Enjoy la suite ;-)
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