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Quarante-huit heures plus tard, comme elle l’avait dit, le docteur Allit revint voir Harold pendant sa séance de massages prodigués par Huit. Ouvrant son bloc-notes, elle lança d’un ton enjoué.
— Bonjour Sergent, comment allons-nous aujourd’hui ?
Harold lui lança un regard circonspect avant de répondre.
— Nous, je ne sais pas, mais moi, je m’emmerde… J’ai beau avoir la plus grande médiathèque du monde à disposition, je m’ennuie…
Il hésita quelques secondes avant d’ajouter.
— Et puis, la sonde urinaire et les couches, c’est très humiliant…
Le docteur referma son bloc qu’elle plaqua contre elle tout en effaçant son sourire avant de répondre d’un ton presque paternaliste.
— Vous comprenez je pense que nous devons palier aux défaillances de votre corps ? Mais j’ai bien conscience que ce ne doit pas être très agréable…
Harold s’énerva immédiatement.
— Vous en avez conscience ? Mon cul ! Vous êtes déjà restée allongée quarante-huit heures à vous pisser et à vous chier dessus, prisonnière de votre corps, sans même pouvoir vous gratter le nez ?
La femme ne répondit pas et baissa légèrement les yeux, aussi Harold reprit.
— C’est bien ce que je pensais. Alors votre condescendance à la con, vous pouvez vous la carrer ou je pense !
Le médecin et Huit affichèrent tous les deux un air profondément surpris, avant de toutes deux très vite se reprendre. Le docteur Allit hocha légèrement la tête puis se pencha au-dessus de son patient.
— Dois-je en déduire que vous acceptez de participer au protocole ?
Harold ouvrit de grands yeux effarés.
— Bah putain ! le moins qu’on puisse dire, c’est que vous n’y allez pas par quatre chemins !
Haussant les épaules, Joséphine répondit.
— J’ai comme l’impression que le tact ne servira pas à grand-chose avec vous, alors je m’économise pour des patients plus agréables à vivre. Alors ? Vous restez à l’état de crêpe ? Ou nous travaillons ensemble ?
Harold la fusilla du regard.
— La crêpe vous emmerde.
Détournant les yeux, il ajouta cependant à voix basse.
— Mais je veux bien qu’on parle du protocole…
— Ah, enfin une bonne nouvelle.
S’asseyant sur le lit, le médecin reprit.
— Dites-moi tout. Que voulez-vous savoir ?
Le paralytique plongea un regard intense dans celui de la femme, comme s’il cherchait à pénétrer son esprit pour y déceler d’éventuels mensonges.
— Où est l’arnaque ?
La scientifique fronça les sourcils avant de demander.
— Qu’entendez-vous par arnaque ?
Harold leva les yeux au ciel avant de reprendre.
— Vous allez littéralement me reconstruire le dos, et dans la mesure où ça semble très expérimental, ça doit aussi être particulièrement onéreux. Sauf que vous devez vous douter que je n’ai pas d’argent. Donc si on ajoute à ça que vous me proposiez un joli chèque contre mon silence en cas de refus, j’en déduis que l’argent n’est pas votre motivation première. Donc qu’attendez-vous de moi en échange de ma participation à votre protocole ? Dans quoi je m’engage ?
La femme sourit avant de se tourner vers Huit et de lui faire un signe de la tête. L’infirmière arrêta aussitôt son massage pour sortir de la pièce, et une fois que la porte fut refermée, Joséphine entreprit de répondre.
— Vous êtes plutôt perspicace, monsieur Pointrance.
L’intéressé la coupa.
— Soit vous m’appelez par mon prénom en me tutoyant, soit vous m’appelez Sergent, mais monsieur Pointrance, c’était mon père, pas moi.
Le docteur Allit haussa un sourcil avant de reprendre.
— Soit… Sergent. Vous comprendrez que nous resterons dans le vouvoiement dans la mesure où vous serez mon patient.
— Ça coule de source, et je n’ai jamais envisagé une autre forme de relation entre nous, Doc.
— Très bien. Puisque ce point est éclairci, reprenons. Donc, vous souhaitez savoir ce qui vous attend, et c’est légitime. Vous pourriez bouger, nous vous ferions signer un contrat, mais il sera en l’occurrence filmé. Ce contrat vous engage à rester parmi nous pendant cinq ans pour évaluer l’efficacité de notre programme.
— Cinq ans ?
Joséphine haussa un sourcil.
— Vous êtes orphelin et mort aux yeux du gouvernement français. Rien ne vous attend. Mais à l’issue de ces cinq années, vous recevrez une nouvelle identité et un joli chèque. Vous aurez alors trente-trois ans, et donc toute la vie devant vous. Le deal me semble plutôt honnête. Cinq ans de votre vie contre votre corps en parfait état et un chèque conséquent, ce n’est pas un pacte avec le diable.
Harold fronça les sourcils.
— C’est même presque trop beau pour être vrai… Votre truc doit vraiment être révolutionnaire pour que vous vous lanciez dans un tel pari…
Souriante la scientifique répondit, enjouée.
— Vous n’avez pas idée. Ça changera la face du monde. Imaginez donc, plus de handicaps, plus de maladies, une espérance de vie largement accrue, et peut-être même la possibilité de survie à des environnements particulièrement inhospitaliers voir mortels. Nous n’avons jusqu’ici fait qu’effleurer le potentiel de nos découvertes. Alors, êtes-vous de l’aventure ?
— Le transhumanisme me fait peur, vous savez… J’ai toujours pensé que si nous étions limités, ce n’était pas pour rien…
— Mais ?
— Mais maintenant que je suis directement concerné, c’est différent. Amenez-moi le nécessaire pour « signer » votre contrat.
Le docteur Allit sourit avant de se relever du lit.
— Vous verrez, vous ne le regretterez pas.
— Vous avez intérêt.
Elle sourit avant de sortir de la chambre. Une fois dehors, elle avisa Huit.
— Prévenez les autres que nous avons un nouveau cobaye, amenez le nécessaire pour le filmer et contactez-moi dès que tout est prêt. Ensuite, nous lui ferons les premières injections, puis vous pourrez reprendre les soins.
L’infirmière opina du chef avant de partir, et Joséphine se saisit de son téléphone, composa un numéro puis le porta à son oreille.
— Professeur Dupont ? Nous avons le numéro soixante-dix-sept, c’est fait.
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