15

10 minutes de lecture

                Le groupe arriva devant le poste de sécurité du niveau zéro pour y être accueilli par cinq gardes en armes occupés à regarder la télévision. L’un d’entre eux se redressa pour mettre le groupe au garde à vous avant de clamer.

                — Mes respects Mon Colonel ! Tout est calme à la ménagerie, comme vous pouvez le constater.

                Harold s’exclama.

— La quoi ?

                Le garde l’observa quelques instants avant de répondre.

— La ménagerie. C’est ici que sont stockés les monstres, alors on appelle ça la ménagerie, ou encore le zoo.

                L’air mauvais, Harold vint se placer à quelques centimètres de lui tandis que les autres gardes se levaient en portant la main à leurs matraques.

— Je vous offre une chance de modifier vos paroles et de trouver un autre nom à ce lieu. Maintenant.

                Le Colonel intervint.

— Sergent, calmez-vous.

                Sans quitter le garde des yeux, Harold répondit, les mâchoires serrées.

— Non, je ne me calmerais pas ! On parle d’êtres humains que vous avez détruits.

                Le garde détourna le regard vers l’Officier supérieur.

— Excusez-moi, Mon Colonel, mais c’est qui ce type ?

— Le sujet Soixante-Dix-Sept.

                Immédiatement, les gardes se mirent à rire avant que le chef réponde.

— Bah, tout s’explique !

                Bombant le torse tout en posant ses mains sur les hanches tel un cow-boy arrogant, il reprit.

— Tu veux qu’on te prépare une chambre, le monstre ?

                Harold tourna lentement la tête vers le Colonel en grognant.

— Vous comprendrez que je ne peux pas laisser passer ça…

                Le Colonel le fusilla du regard, mais il n’en tint pas compte et assena un puissant crochet du droit au garde qui roula par-dessus la table. Immédiatement, ses collègues dégainèrent leurs matraques télescopiques pour charger Harold, mais celui-ci réagit aussi vite que quand Allit lui avait lancé le bloc-notes et les neutralisa en quelques instants avec une vivacité et une force excessives, propulsant l’un des gardes en travers de la pièce contre un casier qui s’enfonça à l’impact, le second contre le faux plafond, le troisième à travers le couloir dans lequel il glissa encore quelques mètres après avoir atterrit, avant d’écraser le quatrième contre la table qui se brisa à l’impact. Quand il eut fini, Harold attrapa le chef par le col et le souleva jusqu’à ce que leurs yeux soient face à face.

— Est-ce que j’ai toute ton attention, batard ?

                L’intéressé opina vivement du chef, terrorisé par son adversaire qui reprenait.

— Ce ne sont pas des monstres. Ce sont des êtres humains en souffrance. Je pourrais dire que les monstres, c’est vous, mais même pas. Vous, vous êtes juste des minables. Tu n’es pas d’accord ?

                Le garde opina de nouveau vigoureusement du chef, ce qui fit naitre un sourire carnassier sur le visage d’Harold.

— Très bien, alors dis-le.

                Le chef des gardes déglutit difficilement avant de bafouiller puis d’articuler.

— Je suis un minable… Mes hommes et moi, on est des gros minables…

                Harold lui tapota la joue de sa main libre avant de le lâcher et le laisser tomber sur le sol.

— Brave gosse.

                Se retournant, il vit le Colonel désapprouver d’un mouvement de tête et Allit prendre des notes.

— Vous écrivez quoi, Doc ?

                Sans relever la tête de son bloc-notes, celle-ci répondit.

— Votre vitesse de réaction, votre force élevée, votre insensibilité à la douleur et votre résistance extrême.

                Harold haussa un sourcil dubitatif tandis que Michelle lui prenait la main.

— Tu n’as pas senti le coup de matraque que tu as pris dans le dos pendant que tu jetais un de ces connards dans le couloir ?

                Le Sergent fronça les sourcils.

— L’un d’entre eux m’a touché ? J’ai rien senti… C’est grave ?

                Allit releva le nez de sa plaquette.

— Vous vous sentiez agressé ?

— Et pas qu’un peu.

                Dupont intervint.

— Nous pouvons penser qu’en situation de conflit, votre organisme s’adapte pour vous permettre d’être un meilleur combattant. Ça pourrait expliquer l’accroissement temporaire de vos aptitudes physiques et de votre endurance… Il faudra faire plus d’analyses.

— Faites donc. Mais maintenant, je veux voir les prisonniers.

                Le Colonel se raidit.

— Personne n’est prisonnier.

                Michelle rigola.

— Alors nous pouvons tous sortir d’ici et nous rendre sur le continent ?

                Le visage du Colonel se rembrunit.

— Vous savez bien que c’est impossible.

— Alors Harold a raison, nous sommes prisonniers.

                Harold rigola.

— Je te kiffe. Bon, on y va ou on s’encule ?

                Sans un mot de plus, et sous le regard assassin d’Allit, il se mit en route. Le couloir était constitué de cellules aux parois vitrées permettant aux gardes de voir les créatures à l’intérieur sans avoir besoin d’y pénétrer, et Harold s’immobilisa dès la première. À l’intérieur se tenait, assise, une créature faite de plaques osseuses recouvrant son organisme sur tout le corps à l’exception des articulations, et Harold murmura.

— Alliza Carantes…

                La créature acquiesça lentement avant de tendre le doigt vers Harold. Posant son index sur son torse, celui-ci ajouta.

— Harold Pointrance.

                Alliza fit lentement non de la tête avant d’insister avec son index, et alors qu’Harold fronçait les sourcils en essayant de comprendre, le professeur N’Guyen prit la parole.

— Derrière vous. Le sujet Neuf, Milo Rossi.

                Harold se retourna avant de se raidir en retenant un cri de surprise. Contre la paroi, peinant à rester debout, une frêle créature à la peau grêlée et au crane hypertrophié le dévisageait d’un regard remplit d’une intelligence supérieure.

— Merde… Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

                Une voix éraillée sortit de la bouche édentée de la créature.

— J’avais une trisomie vingt et un… Le sérum a réécrit mon ADN, et mon cerveau s’est surdéveloppé. Le professeur Dupont pense que c’est lié au fait que je souhaitais être plus intelligent, et je tends à penser qu’il a raison.

                Harold tendit les mains devant lui et les posa sur la vitre.

— Mais, et ton corps ?

                Milo haussa les épaules.

— Je ne me préoccupais pas de mon physique, je ne pensais qu’à mon esprit. Mon corps en est le reflet. Mais tu ne souhaites pas savoir pourquoi Alliza me pointait du doigt ?

— Oui, pardon… Pourquoi ?

                Milo sourit.

— Entre dans ma cellule et prends ma main. Je t’apprendrais alors la langue de tous les locataires, comme je l’ai fait par le passé pour le Colonel et les scientifiques.

                Harold dévisagea Milo avant de se retourner vers Michelle.

— Tu viens ?

                Celle-ci déglutit bruyamment avant de répondre.

— Oui… Mais je ne te cacherais pas que je ne suis pas totalement rassurée…

                Milo sourit plus largement.

— Je sais… Comme dirait l’autre, je n’ai pas une gueule de porte-bonheur…

                Michelle se raidit avant de se reprendre.

— Je suis désolée… Je ne voulais pas vous blesser…

                Milo haussa les épaules.

— Je sais que nous pouvons faire peur à voir. Mais contrairement à ce que disent nos geôliers, nous ne sommes pas des monstres. Harold avait raison, nous ne sommes que des êtres humains détruits… Mais la majorité d’entre nous a su se reconstruire.

                Michelle afficha un sourire triste et compatissant avant de s’avancer vers la cellule puis de prendre la main d’Harold qui se tournait vers les scientifiques.

— Comment on entre ?

                Le Colonel détacha son badge avant de le lancer vers le couple, et Harold le manqua sous le regard dubitatif d’Allit et les sarcasmes de N’Guyen.

— Bravo, super soldat.

                L’intéressé lui tendit son index avant de ramasser le badge et de le passer dans le lecteur. La porte s’ouvrit alors et Milo s’écarta.

— Entrez, bienvenus chez moi.

                Harold haussa un sourcil.

— Non, toi, sors. Ça ne doit pas se produire souvent.

                Il entendit les culasses des armes des gardes percuter, signifiant qu’ils avaient mis une cartouche en chambre de celles-ci, puis la voix du Colonel toner.

— Celui qui agit aura affaire à moi. Retournez dans la salle de contrôle et n’en bougez plus. Quand nous en aurons fini ici, je contacterais Geol et Lier, et nous réglerons ceci !

                Les gardes restèrent immobiles quelques instants avant de se replier, et Harold remercia le Colonel d’un mouvement de la tête avant de revenir à Milo.

— Allez, viens.

                Le corps maigrelet sortit lentement de sa cellule, tel un animal peureux, avant de s’approcher lentement du duo en souriant.

— Merci… Merci de vous soucier de notre bien-être.

                Harold haussa les épaules.

— Disons qu’on aurait pu être à votre place…

                Il lui tendit une main amicale, et Milo s’en saisit. Quand la peau grêlée de la main décharnée le toucha, il sentit une puissante décharge d’énergie envahir tout son être, et bien que le contact physique ne dura que quelques secondes, Harold eut l’impression qu’il avait duré une vie entière, vie qu’il aurait passé à accumuler du savoir et des connaissances. Quand il lui relâcha la main, Harold ouvrit légèrement la bouche avant de murmurer.

— Bah mince… J’aurais aimé découvrir ça avant de passer mon bac…

                Michelle posa une main sur son épaule.

— Ça va ?

— Super bien ! À toi, vas-y.

                La jeune femme hésita quelques secondes avant de saisir la main de Milo à son tour et de subir le même processus. Quand ce fut fini, elle tituba légèrement avant de murmurer.

— C’est fou…

                Souriant, Milo répondit.

— Je sais, c’est toujours très étonnant à vivre. Mais maintenant, vous pouvez parler à tout le monde, même s’ils ont subi le même traitement, vous êtes sur un pied d’égalité.

                Harold acquiesça.

— Merci.

                Il refit face à Alliza, ouvrit sa cellule et vint s’asseoir par terre en face d’elle.

— Dis-moi, pourquoi tenais-tu à ce que Milo nous transmette tout ce savoir ?

                Alliza lui offrit ce qui ressemblait le plus à un sourire compte tenu de son physique avant de répondre.

— Mes frères et sœurs ont le droit d’être sur un pied d’égalité avec nous, non ?

                Une fois encore, Harold acquiesça.

— Je te remercie dans ce cas. Comment te sens-tu ? Souffres-tu ? Es-tu encore capable de te déplacer ? As-tu besoin de quelque chose ?

                Alliza haussa les épaules.

— Je ne souffre pas, et je suis mobile, même si le manque d’espace fait que je me déplace peu. La vérité, et je crois que c’est valable pour tout le monde, c’est que je m’ennuie, et que je manque de lien social…

                Harold opina lentement du chef.

— Vous aimeriez être libres de vos allées et venues, n’est-ce pas ?

                Milo, qui venait d’entrer dans la cellule aux côtés de Michelle, répondit.

— Sauf que ce ne sera jamais possible. Comment penses-tu que le personnel réagira s’il nous voit ?

                Harold baissa la tête, comme résigné, tandis que Michelle s’exclamait.

— On a un étage en rénovations actuellement. Pourquoi on ne l’aménagerait pas pour vous tous ?

                Le Colonel, qui s’était rapproché de la cellule, s’écria.

— Mais vous n’y pensez pas ! Certains dans le lot sont dangereux !

                Michelle se retourna vers lui en souriant.

— Si vous faites allusion à Double Zéro, il semblait évident pour moi qu’il restait ici. Doit-on vraiment réfléchir à tout à votre place ?

                Le Colonel l’observa sans savoir quoi répondre tandis qu’Alliza et Milo ricanaient et qu’Harold la dévorait du regard.

— J’ai beau savoir que tu te refuses à moi, je crois que je commence à tomber amoureux…

                Michelle ne releva pas et reprit.

— On se passe très bien de cet étage à l’heure actuelle, avec quelques aménagements supplémentaires, ils auraient un lieu de résidence tout à fait convenable. Ils auraient des chambres individuelles, une cuisine, une zone vie et une autre pour les loisirs, des salles de soins et d’entretiens psys, et on pourrait même leur faire une salle de sport et une bibliothèque. Et pour ce qui est de la sécurité, il suffira de mettre un verrou à badges à cet étage. De ce que je perçois chez Alliza et Milo, ils n’ont aucune velléité de conquête du monde. Je veux dire, ils n’ont même pas l’air de vous tenir rigueur de ce que vous leur avez fait subir…

                Le professeur Dupont renchérit.

— je confirme que certains patients, malgré leurs mutations, ont toujours fait preuve d’une collaboration sans faille. Et j’ai déjà longuement insisté auprès de vous pour qu’ils aient de meilleures conditions de vie. Je ne peux donc qu’appuyer ce projet.

                Le haut gradé observa tout le monde, la seule personne semblant désapprouver étant la professeure Allit, avant de soupirer.

— Bien… Je demanderais le début des travaux dès que nous en aurons fini ici.

                Michelle et Alliza eurent toutes deux le réflexe d’applaudir tandis que le Colonel se tournait vers les scientifiques.

— Professeur Dupont, pourrez m’établir une liste des patients que vous estimez aptes à vivre dans ce futur aménagement ?

— Oui monsieur.

                Harold se releva en souriant à Alliza avant de se retourner. Il vit alors la professeure Allit, visage fermé et lèvres pincées, et l’apostropha.

— Ça vous emmerde, pas vrai ? Pour vous, nous ne sommes que des souris de laboratoire.

                La femme fronça les sourcils, courroucée, avant de répondre.

— Nous ignorons s’ils ont certaines aptitudes similaires à celles du Patient Zéro, et j’estime que nous prenons trop de risques.

                Harold haussa les épaules.

— Vous n’aurez qu’à m’accuser. Après tout, vous m’aimez tellement, je ne suis plus à ça près. Mais puisque vous parlez d’Ahmed, je voudrais le voir.

                Le Colonel et le professeur Dupont échangèrent un regard puis le gradé soupira.

— Allez-y. il me semble que vous connaissez le chemin…

                Harold acquiesça, et alors que Michelle allait lui emboîter le pas, il la retint.

— Toi, tu restes là. S’il est vraiment comme je le crains, je ne veux pas que tu sois exposée de quelques manières que ce soit.

                Elle le dévisagea, et il put lire la peur dans ses yeux.

— Prends garde, d’accord ?

                Harold lui offrit un sourire chaleureux.

— Oui maman.

                Il allait déposer un baiser sur son front, mais elle le prit de court et appuya rapidement ses lèvres contre celles du jeune homme avant de le repousser, le laissant le regard hagard.

— Allez, fonces soldat.

                Harold cligna des yeux quelques secondes avant de se redresser, de se mettre au garde-à-vous et de faire un ersatz de salut militaire sous le regard désapprobateur du Colonel.

— Cheffe, oui cheffe !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sebastien CARRÉ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0