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                Harold traversa le couloir en observant l’intérieur de chaque cellule, frémissant intérieurement devant ce qu’il voyait, mais se retenant de toute expression physique, avant de réaliser que plus il s’approchait de l’ultime cellule plus il se sentait oppressé et agressé. Quand il réalisa qu’en plus l’éclairage s’affaiblissait et que la peinture s’écaillait à mesure qu’il s’approchait, il comprit qu’il ne devait pas être le seul à percevoir ce mal-être et que personne n’avait le courage d’entretenir cette portion du couloir.

                Une fois enfin arrivé à la cellule, la seule à ne pas avoir une façade vitrée, mais une lourde porte blindée, il en ouvrit la trappe d’observation pour regarder à l’intérieur, découvrant une salle sombre et sale au fond de laquelle se dessinait une silhouette sombre.

                — Te voici enfin, mon frère…

                Une voix sifflante et railleuse s’éleva, dont le son rappela à Harold celui d’ongles griffant un tableau noir. Serrant les dents, Harold referma le trappons avant de passer son badge dans le lecteur. Il entendit la porte se déverrouiller et l’ouvrit lentement, s’attendant à se faire attaquer, main rien ne se passa. Quand la porte fut pleinement ouverte, la silhouette s’avança dans un cliquetis et enfin Harold comprit. Ahmed était entravé. Une lourde chaîne enfoncée dans le mur reliait celui-ci à la cheville du Patient Zéro qui marcha jusqu’au centre de la pièce, le plus loin que les anneaux de métal lui permettaient d’aller. Les deux hommes se tenaient droits et face à face, séparés d’un mètre, et Harold frémit. Il avait le sentiment de se retrouver face à une version possible de lui-même, face à ce qu’il aurait pu être ou ce qu’il sera peut-être un jour. Penchant la tête sur le côté, Ahmed siffla.

— Perturbant, n’est-ce pas ?

— Quoi donc ?

                Une grimace ressemblant à un sourire étira le visage hideux du premier cobaye du sérum C-7.

— De se rencontrer enfin, pour commencer. Puis de voir ce qui t’attend pour continuer.

                Harold haussa un sourcil.

— Et pourquoi je finirais comme ça ?

— On a tous fini par muter, alors ça t’arrivera forcément.

— Qu’en est-il de Michelle alors ?

                Ahmed retroussa la lèvre supérieure, la seule qui lui restait, avant de répondre.

— Elle est imparfaite… L’extra cortex n’existe pas chez elle, elle est incomplète… Elle n’évoluera jamais plus…

— Tu m’en diras tant. Et moi, dans ce cas ? Comment je vais évoluer ? Et quand ?

                La mâchoire inférieure du mutant s’écarta en frétillant tandis qu’un rire lugubre s’échappait de sa gorge.

— Ça te préoccupe, pas vrai ? Je vais te dire, pour commencer, essaye de ne pas te blesser. C’est quand notre corps se répare qu’il y a le plus de risque d’initier la métamorphose…

— Je te remercie du conseil. Réponds-moi avec franchise s’il te plaît. Si on te laissait libre de tes mouvements, que se passerait-il ?

                Le monstre fit courir sa langue bifide* le long de ses crocs acérés.

— Je te laisse deviner…

— Tu t’en prendrais au personnel du complexe, n’est-ce pas ?

— Pourquoi crois-tu que je sois enchaîné ? C’est à peine s’ils osent venir me nourrir… heureusement, manger n’est plus une nécessité absolue pour moi…

— Bien… Dis-moi, Allit a dit que tu avais des aptitudes particulières, autres que ta mutation physique, j’entends. Quelles sont-elles ?

                Ahmed rigola de nouveau.

— Tu poses beaucoup trop de questions sans rien me donner en échange… Qu’ai-je à gagner en répondant à tout ceci ?

                Harold fronça les sourcils. Il ne voulait pas entrer dans un éventuel jeu pervers, mais il sentait qu’il lui fallait des réponses que les scientifiques ne lui donneraient jamais, aussi se décida-t-il facilement.

— Tu veux quoi ?

                L’œil cyclopéen de son interlocuteur s’ouvrit en grand d’excitation.

— Deux choses. D’abord, un animal de compagnie.

                Harold afficha ouvertement sa surprise avant de répéter la requête.

— Oui, tu as bien entendu. Une des souris de laboratoire ferait largement l’affaire.

                Se tournant vers le Colonel, le militaire vit le gradé acquiescer avant de faire de nouveau face à la créature.

— OK, va pour une souris. Ensuite ?

— Parle-moi de Huit… Sa peau est-elle douce ? Quelle odeur a-t-elle ? Quel goût ont ses lèvres ?

— T’es sérieux ?

                La voix d’Ahmed se fit suppliante.

— La présence d’une femme me manque… Et non seulement il est fort probable que je finisse ma vie ici, mais en plus combien même on m’en amènerait une, je n’ai plus le matériel nécessaire… Alors je voudrais au moins le vivre par procuration.

                Harold fronça les sourcils.

— Violer mon esprit ne te suffit pas ?

                Ahmed sourit.

— J’ai le pressentiment que tu sauras vite y remédier. Alors ?

                Le militaire le fusilla du regard avant de lever les yeux au ciel en soupirant.

— J’ai ta parole ? Tu répondras à mes questions après ?

— Juré.

— Bien…

                Il prit une grande inspiration et reprit.

— Sa peau est douce comme une peau de bébé, on sent qu’elle en prend soin, et poser sa main dessus est un ravissement. Et elle sent bon l’abricot et la noix de coco. Je ne sais pas si c’est son savon ou son shampoing, mais ces odeurs émanent d’elle en permanence… Quand elle a dormi dans mes bras, entre le contact de sa peau et ces odeurs… Même avec la frustration sexuelle, c’était déjà un avant-goût du paradis.

— Le goût de ses lèvres ? Quel est-il ?

— La cerise. Elle utilise un gloss à la cerise qui parfume ses baisers.

                Haussant les épaules, il ajouta.

— Même si pour l’instant ce ne fut que deux furtifs baisers volés…

                Ahmed sourit.

— Très fruitée en somme. Et son corps ?

                Harold pencha légèrement la tête sur le côté.

— Son corps ? Comment ça ?

— Je peux partager tes sensations, mais pas ce que tu vois. Comment est son corps ? Dis-moi !

                L’excitation de son interlocuteur effraya quelque peu Harold, mais il se dit qu’il n’avait pas d’autres solutions que de jouer le jeu s’il voulait des réponses à ses questions.

— Tu as bien présumé quand tu as dit qu’elle est canon. Elle a en effet un cul à tomber par terre, et des seins que je pourrais caresser pendant des heures… Mais son visage… Toujours souriante, non, radieuse, et des yeux d’un bleu… Comme une carte postale d’Hawaii, tu vois le genre ? Ce beau bleu limpide dans lequel tu vois les coraux et les poissons nager. Et son rire, si plein d’énergie et tellement communicatif… Et puis c’est une si belle personnalité… la seule qui se soit souciée de mon bien-être quand j’étais paralysé… Alors quand en plus elle s’habille sexy, ça fait un merveilleux cadeau de Noël dans le plus beau des paquets cadeaux…

                Ahmed opina silencieusement du chef et mit plusieurs secondes à répondre, tant et si bien qu’Harold craint d’avoir été berné. Néanmoins, quand il reprit, le militaire fut rassuré.

— Je te remercie, j’ai une merveilleuse image en tête. Voilà qui égaiera ma solitude… Alors, dis-moi, que veux-tu savoir ?

                Harold réfléchit avant de répondre.

— J’ai deux questions.

                D’un mouvement de sa main griffue, Ahmed l’invita à continuer, et il reprit.

— D’abord, pourquoi ils craignent que les autres aient certaines capacités similaires aux tiennes ?

                Une fois de plus, l’unique lèvre d’Ahmed se retroussa en sourire.

— Bonne question. Ils ont testé ce que pouvait donner mon sang transfusé à des gens normaux, et il s’avère que ça a provoqué de terribles mutations, pires que celles subies par nous autres… Des créatures décérébrées et d’une violence telle que j’en passerais pour un enfant de chœur… Ils ont été obligés de les abattre, tu imagines ça ? Et, pour info, la transfusion était une idée d’Allit, je dis ça à tout hasard… Des fois que tu l’apprécies autant que moi… Question suivante ?

                Poings serrés et mâchoires crispées après ce qu’il venait d’apprendre, Harold demanda aussi calmement qu’il le pouvait.

— D’où viennent les cellules souches ?

                Ahmed tendit son index vers le ciel en s’exclamant.

— Voilà une bonne question ! Tu n’as pas dit de qui, mais d’où ! Tu supposes donc que ce n’est pas humain, n’est-ce pas ?

— Je ne sais pas… peut-être aussi que ça a été tellement manipulé dans tous les sens que ce n’est plus humain…

                Le monstre rigola, ses mâchoires inférieures frémissant à l’unisson.

— Ça oui, c’est manipulé, mais pas tant que ça. T’es-tu demandé comment ils avaient fait pour faire tant de découvertes technologiques, et pourquoi ils cherchaient malgré tout à rester inconnus du grand public ?

                Harold fronça les sourcils, perplexe.

— Non… Mais visiblement, j’aurais dû…

                Ahmed rigola de nouveau.

— S’ils ont tant intérêt à ce que ça ne se sache pas, c’est parce que le grand public n’est pas prêt à accepter l’existence d’autres formes de vie dans l’univers…

                Le militaire regarda le Patient Zéro, les yeux grands ouverts et la mâchoire pendante, avant de se ressaisir.

— Tu es en train de me dire que leur technologie est issue de matériaux extraterrestres ?

                Ahmed acquiesça, et subitement Harold blêmit.

— Les cellules souches… Ne me dis pas que…

                Ahmed le coupa.

— Sais-tu ce que signifie C-7

— Non… Éclaire-moi…

                Joignant les mains, un sourire carnassier sur le visage, le terroriste reprit.

— Le programme ne s’écrit pas C puis sept, mais C, S, E, T, ce qui, quand on fait la liaison, donne C-7. Mais ce qui est intéressant, c’est que c’est un acronyme…

— Accouche. Ça veut dire quoi ?

— Tout simplement Cellules Souches Extraterrestres…

                Harold recula, profondément choqué, tandis que son interlocuteur continuait.

— Après tout, le nom de la boîte, Enlia, ce n’est jamais que l’anagramme d’Alien, tu ne l’avais pas remarqué ?

                Harold murmura.

— Tu mens…

                Ahmed rit avant de répondre.

— Ça fait quoi de savoir que tu n’es plus humain ?

— Tu mens !

                Il courut vers le monstre pour lui assener un puissant coup de poing avec une telle violence qu’il s’en écorcha la main tandis que le monstre tombait à genoux. Redressant la tête en se frottant la joue, celui-ci grogna.

— Si tu relèves la main sur moi, je te tue.

                Pour toute réponse, Harold lui cracha au visage avant de quitter la cellule qu’il referma derrière lui. À deux pas de lui Michelle lui lança un regard suppliant, mais il ne trouva rien à lui répondre. Elle s’approcha et lui saisit les mains, lui arrachant un petit gémissement.

— Regarde-toi… Tu t’es fait mal en le cognant…

— Sa peau est écailleuse…

                Le Colonel s’approcha lentement en dévisageant le Sergent.

— Il recevra sa souris dans une heure.

                Relevant les yeux, Harold le fusilla du regard, et Michelle n’eut que le temps de s’interposer qu’il essayait de l’attraper en le traitant de tous les noms. Quand enfin elle parvint à le calmer, le Colonel murmura.

— Je ne sais pas quoi vous dire… Vous savez ce qu’est le Très Secret… Vous n’étiez pas habilité à savoir…

— Je m’en branle ! Vous croyez qu’un seul d’entre nous aurait accepté si on avait su que vous tordriez notre ADN dans tous les sens avec votre jus d’alien ? Vous êtes tous méprisables ! Je vais vous dire, vous allez lui donner sa souris, vous allez leur faire un bel étage rien qu’à eux et vous assurer qu’ils ne manquent jamais de rien, puis vous allez faire en sorte de ne plus jamais croiser mon chemin, sinon je vais m’esquinter la main une fois de plus, est-ce que j’ai été bien clair ?

                Le Colonel planta un regard sévère dans celui du Sergent.

— Sont-ce des menaces ?

— Ce sont-ce, oui. Et vous avez salement intérêt à les prendre au sérieux !

                Il se mit en route en le repoussant d’un coup d’épaule, et Michelle s’adressa au Colonel.

— Je vais essayer de le calmer. De votre côté, faites ce qu’il a demandé, ça contribuera à l’apaiser plus vite.

— Merci jeune fille.

— Je ne le fais pas pour vous.

                Sans lui laisser le temps de comprendre, elle courut derrière Harold qu’elle rejoint dans l’ascenseur juste avant que les portes de celui-ci se referment.

Langue bifide : Une langue bifide est une langue présentant deux extrémités séparées, une langue fourchue.

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