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Quand l’ascenseur ouvrit ses portes au niveau zéro, Harold blêmit face à l’environnement qui s’offrait à lui. Les lumières ne fonctionnaient que par intermittence, et les murs, le sol et le plafond du couloir semblaient recouverts de sécrétions organiques noires et gluantes donnant au passage des allures d’intérieur d’intestin malade, tandis qu’un froid glacial s’en échappait. S’avançant d’un pas tout en expirant une fumée épaisse de condensation, Harold ironisa.
— Si ce n’est le froid, on pourrait se croire dans Alien… Appelez Sigourney Weaver…
Il progressa pas à pas, tandis que ses yeux s’adaptaient lentement à l’obscurité ambiante, avant de se figer. Du tréfonds du couloir venait de s’élever un grincement métallique propre au pivotement d’une porte lourde sur ses gonds, et subitement le rire strident de ses pires craintes emplirent l’atmosphère.
— Bienvenu, mon frère. Je vois que tu as vite deviné ce qui se jouait. Qu’est-ce qui t’a mis la puce à l’oreille ? Votre éjection de l’Esprit Unique ? L’état de Santé de Lier ?
Harold déglutit difficilement avant de répondre.
— Le tout, en fait… J’en déduis que le professeur Dupont est ton otage, à présent ?
Le rire reprit de plus belle alors que des bruits de pas se faisaient entendre.
— Mon otage ? Non… Il fait partie de moi, maintenant, et il est heureux comme ça, n’est-ce pas, professeur ?
Une première silhouette émargea des ténèbres, et Harold fit un pas en arrière en reconnaissant le professeur Dupont du bras droit duquel sortait un immense épieu osseux sur lequel il s’appuyait comme s’il s’agissait d’une canne.
— Bordel de merde…
— Comme tu dis. Tu as vu la puissance de notre sang ? Te rends-tu compte de notre potentiel ? Je vais te dire… Nous… Sommes… Des… Dieux…
Entrant dans l’ascenseur, Harold cria.
— T’es surtout un putain de monstre mégalomaniaque !
— Possible. Mais moi au moins, je ne me crois pas en sécurité derrière les portes d’un ascenseur !
Harold passa son badge dans le lecteur pour amorcer son ascension, espérant que les portes se referment vite, quand le professeur Dupont partit en courant, suivi de près par le Commandant Lier, l’équipe médicale et les gardes du niveau zéro. Appuyant frénétiquement sur le bouton de l’étage convoité, Harold grogna.
— Accélères, saloperie !
La panique commençait à le gagner à mesure que les monstres s’approchaient de lui, et il n’éprouva même pas de soulagement quand les portes commencèrent à se fermer, tandis que le professeur Dupont lançait son bras droit pour frapper de son épieu. L’os enfonça le métal sans difficulté, manquant de peu d’éborgner Harold, et le plancher de l’ascenseur s’enfonça même de quelques centimètres avant que l’os se casse. Assis sur le sol, Harold entendit un hurlement de douleur et de frustration s’élever du niveau où il se trouvait quelques secondes auparavant, alors que de l’os brisé s’écoulait une épaisse matière noire et visqueuse.
Se relevant, il appuya sur le bouton de communication avec le poste de sécurité jusqu’à ce qu’une voix s’élève du haut-parleur.
— Sécurité. Nos écrans disent que votre élévateur est fonctionnel. Que se passe-t-il ?
— Oui, ici le patient Soixante-Dix-Sept. Il faut inonder et larguer le niveau zéro ! Maintenant !
Il y eut un léger blanc, puis Harold entendit de nombreux rires avant que la voix reprenne.
— Ouais, c’est ça ! Vous nous avez bien fait rire, mais on a d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’un rigolo comme vous. Mais ne vous en faites pas, une équipe de sécurité va vous récupérer à votre étage quand vous sortirez.
Harold hurla.
— C’est ça, venez me chercher, comme ça vous verrez qui je suis, vous ferez face au Colonel, et vous obéirez enfin aux instructions ! Sauf qu’à ce moment-là, il sera trop tard, sombre con ! Putain, mais regardez vos caméras de sécurité !
— Elles sont en dérangement. Les gardes du niveau zéro nous ont avertis ce matin qu’il y avait une maintenance de prévue.
— Comme c’est pratique… Alors, appelez le Colonel, il vous confirmera qui je suis et vous dira de m’écouter.
Il y eut un nouveau blanc, puis la voix revint.
— Parce que tu crois vraiment qu’on va déranger le chef, ou même Big Mama, pour ta pomme ? Allez, arrête tes conneries, et tu ne seras pas viré, tu écoperas seulement d’un blâme.
Harold fut pris d’un rire frôlant l’hystérie.
— Licencier un patient du programme C-SET ? Je paie pour voir !
— Tu verras bientôt, une équipe t’attend déjà à ton niveau.
Harold observa le cadran de l’ascenseur et vit qu’il ne lui restait qu’un étage à gravir.
— Tant mieux, je les attends.
Il sentit son pouls s’accélérer et ses muscles se gorger de sang pour accroître leur masse en prévision du combat alors que la cabine s’immobilisait, et quand enfin les portes s’ouvrirent, il bondit en avant, pour se trouver face aux gardes en grande discussion avec le Colonel et la Lieutenante-Colonelle Geol. En entendant les portes s’ouvrirent, ceux-ci pivotèrent vers lui, et le Colonel s’approcha immédiatement du militaire.
— Pointrance, enfin. Ces hommes me disent que vous avez demandé la séparation du niveau zéro ! Que se passe-t-il ?
Saisissant l’Officier supérieur par les épaules, Harold hurla en se retenant de le secouer.
— Vite ! Zéro est libre, et il a contaminé l’équipe de garde, l’équipe médicale, le Commandant Lier et même le professeur Dupont !
Le Colonel et Geol blêmirent, avant que la femme braille à l’intention des gardes.
— Vous avez entendu ? Relayez l’info, exécution !
Un des gardes saisit son talkie-walkie pour transmettre les ordres, mais son interlocuteur refusa de le croire, aussi Geol s’en saisit.
— Ici Big Mama ! Ce n’est pas une putain de blague ni même une saloperie d’exercice ! Appliquez le protocole d’isolation maximale ! Maintenant !
Milo intervint.
— Mais… Et les patients que le professeur Dupont n’avait pas jugés aptes à venir ici ?
Michelle répondit.
— Sincèrement ? Paix à leurs âmes…
Harold opina.
— C’est horrible, mais c’est vrai. Vous auriez vu le niveau… Même le décor était… Corrompu…
Une série de grondements monta par la cage d’escalier alors que les lumières du site clignotèrent, et le Colonel leva les mains pour appeler au calme.
— Tout va bien. Ce sont les effets de la désolidarisation du niveau zéro avec le reste de la plateforme. Maintenant, le niveau est inondé et séparé de nous autres. Je pense que nous pouvons dire que nous avons échappé au pire…
Un des patients, ressemblant à une créature humanoïde velue, malingre et bossue, s’avança alors.
— Je doute… Je sens une odeur méphitique monter lentement depuis la cage d’ascenseur…
Le professeur Allit dévisagea la créature en fronçant les sourcils. Juan Garcia, atteint d’hypertrichose*, avait régressé à un stade presque animal, mais avait en contrepartie vu tous ses sens s’accroître de manière exponentielle, et s’il disait sentir quelque chose, alors il fallait le croire. Saisissant Geol par les épaules, elle hurla.
— Big Mama, mettez le site en confinement total !
Devant le regard effaré de celle-ci, elle reprit.
— Maintenant !
L’Officier Supérieure de Sécurité l’observa quelques secondes avant de porter de nouveau le talkie-walkie à sa bouche.
— Ici Big Mama… Protocole de confinement oméga. Maintenant.
Une puissante alarme résonna dans tout le complexe au moment même où de lourdes protes blindées descendaient devant chaque issue de chaque niveau, verrouillant les accès aux ascenseurs comme aux escaliers. Jetant un regard dubitatif vers Allit, Big Mama reprit.
— Bien, et maintenant ?
Le Colonel sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa chemise en marmonnant.
— Maintenant, on croise les doigts…
L’hypertrichose est le symptôme d’un dérèglement hormonal qui se manifeste, chez l’homme ou la femme, par une pilosité envahissante sur une partie du corps ou sa totalité. Le terme est issu du grec hyper : « avec excès », et thrix, trikhos : « poils ».
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