25
La progression dans les escaliers de service continua pendant de longues minutes avant qu’Harold prenne la parole.
— On peut entrer dans un niveau verrouillé ? Je dois voir quelque chose…
— Rien de grave, j’espère ?
Harold fit non de la tête avant de murmurer.
— Du moins j’espère…
Le Colonel acquiesça, et Big Mama se rendit vers la porte blindée la plus proche pour passer son badge dans le lecteur. Il y eut alors un sifflement, puis un bruit de moteur, et les deux panneaux de la porte blindée commencèrent à s’écarter vers le haut et le bas. Quand l’accès fut pleinement ouvert, Harold s’avança de quelques pas avant de s’immobiliser, son fusil à pompe braqué devant lui, et la lampe de celui-ci allumée.
— Pourquoi il n’y a personne ici ?
Alors qu’il balayait l’horizon du faisceau de sa lampe, un des gardes lui répondit.
— C’est un niveau de stockage. Les manutentionnaires n’y vont que s’ils en ont besoin…
— Ah… Il y a-t-il une infirmerie quand même ?
— Bien sûr. Suivez-moi.
L’homme se mit en route, vite imité du reste du groupe, et Michelle se dépêcha de rejoindre Harold.
— Quelque chose ne va pas ?
— Outre le fait qu’on puisse avoir besoin d’une trousse de secours au cas où ?
Elle fronça les sourcils avant de répondre.
— Ne me prends pas pour une cruche. Tu aurais pu demander ça bien avant, pourquoi il y a subitement urgence ?
Harold pinça les lèvres quelques secondes avant de répondre.
— J’ai mal à la main… La droite… Là où je me suis blessé en cognant l’autre tâche…
Le visage de Michelle afficha une terreur sans nom aussi Harold reprit-il avec autant d’aplomb et d’entrain que possible.
— Ce n’est sûrement rien. La transpiration et le frottement du tissu sur les croûtes ont dû les arracher, c’est tout.
Michelle vint se blottir dans son dos.
— J’espère… Je n’ai jamais autant te nu à un de mes patients avant toi…
Harold sourit.
— J’en ai de la chance.
Il fit face à la jeune femme et déposa un baiser sur son front, quand le garde le héla.
— C’est ici !
Le couple rejoignit le groupe au pas de course, puis Harold fit signe du doigt au professeur Allit pour l’inviter à le suivre.
— Doc, j’ai besoin d’un petit tête à tête avec vous…
L’intéressée l’observa quelques secondes avant de lui emboîter le pas, tandis que le Colonel et Big Mama dévisageaient Michelle dans l’espoir qu’elle parle, mais celle-ci se contenta de hausser les épaules. Quand Allit fut entrée dans l’infirmerie, Harold referma la porte de celle-ci avant de tendre la main à la scientifique.
— C’est la main que je me suis blessé en frappant Ahmed… Elle me fait mal... Et j’ai l’impression de… Je ne sais pas comment dire… Comme si l’intérieur du gant était trempé… C’est normal ?
La femme partit vers une armoire accrochée à un mur qu’elle ouvrit avant de répondre.
— On ne peut rien qualifier de normal vous concernant… Le principe du C-SET, c’est de vous faire évoluer en permanence, si on en croit les résultats des précédents sujets… Peut-être que c’est ce qu’il vous arrive. Après avoir frappé Zéro, votre organisme a estimé qu’il devait renforcer la zone, tout simplement.
Elle apporta un flacon de sérum physiologique, un paquet de compresses et un bandage qu’elle posa sur un bureau avant de tirer une chaise jusqu’à elle et de s’installer.
— Enlevez votre gant, que je regarde ça.
Harold acquiesça avant de détacher son gant et de commencer à le retirer, jusqu’à atteindre les doigts où il s’immobilisa en grognant.
— Quelque chose ne va pas ?
— Ça fait mal…
Allit haussa un sourcil avant de se lever pour retourner à l’armoire puis revenir avec une paire de ciseaux et commencer à découper le textile. Quand elle eut atteint le plastique protégeant les phalanges, elle entreprit de découper autour jusqu’à pouvoir suffisamment écarter le tissu, et quand elle vit la peau, elle murmura.
— Oh bah merde…
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est infecté ?
— Je pense qu’il y a plus préoccupant que ça en cet instant… Je vais devoir vous faire un peu mal, désolée…
— Je suis sûr que ça vous fait plaisir.
— Oui.
Sans un mot de plus, la scientifique tira d’un coup sec sur le gant, arrachant le tissu à la main et un cri de douleur à son propriétaire.
— Putain de merde ! Ça fait un mal de chien !
Allit maintenait le bras de son patient contre elle en criant.
— Ne bougez pas !
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’est un ordre !
Elle le maintint ainsi de manière à lui cacher la vue et se saisit du flacon de sérum physiologique qu’elle ouvrit en s’aidant de la bouche avant d’en verser un peu sur la main.
— Vous sentez quelque chose ?
— Comment je pourrais ne pas sentir ?
— Pour être sûre…
Elle reposa le flacon et apporta sa main au-dessus de celle d’Harold.
— Et là ?
— On dirait que vous me tirez la peau… Ce qui est absurde, ça voudrait dire que ma peau s’arrache…
Il n’eut pour toute réponse qu’un long silence, aussi s’enquit-il.
— N’est-ce pas que c’est absurde… Rassurez-moi…
Allit le relâcha pour lui faire face, et Harold vit son visage fermé. Inquiet, il baissa les yeux à sa main droite avant de murmurer.
— Bordel de dieu… Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Il lança un regard terrifié à la scientifique qui ne répondit pas, aussi hurla-t-il.
— Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
La femme sursauta, mais ne répondit pas pour autant, et Harold se saisit de la chaise pour la lancer contre un mur afin d’évacuer sa colère. Quand ce fut fait, il observa sa main tremblante avec attention. La peau des articulations s’était arrachée et se retirait lentement de ses doigts comme des gants faits à partir de sa peau, révélant en dessous un derme écailleux épais d’un vert foncé profond.
— Bordel… Je deviens comme lui…
Harold lança un regard aux yeux rougis à Allit avant de parler avec calme.
— Prof… Mettons de côté nos différents quelques secondes et parlons franchement, vous le voulez bien ?
Se retenant de pleurer, celle-ci opina du chef, et Harold soupira avant d’aller récupérer la chaise qu’il avait lancée pour la rendre à la scientifique.
— Asseyez-vous, je vous en prie…
Elle s’exécuta et il l’imita en montant sur le bureau, avant d’inspirer un grand coup.
— Dites-moi tout… C’est irréversible, pas vrai ?
— Je ne sais pas… Je n’en sais rien… Édouard aurait peut-être pu vous répondre, mais pas moi… C’était lui, le génie qui anticipait tout…
— C’est pour ça qu’Ahmed l’a choppé, parce qu’il a le savoir… Il devait avoir des notes, un truc comme ça, non ?
— Sur son ordinateur, et un duplicata imprimé dans son bureau.
— Mais si Ahmed est malin, il a bloqué ces lieux.
Allit releva la tête, souriante pour la première fois.
— Mais si on accède au serveur central, je peux me connecter à sa session par ses codes d’identification !
Harold lui offrit un regard surpris auquel elle répondit par un clin d’œil.
— Être son ex a des avantages !
Harold sauta du bureau en clamant.
— Joséphine, vous remontez dans mon estime.
— Vous m’appelez par mon prénom ?
— Compte tenu du contexte, je pense qu’on devrait arrêter de se tirer dans les pattes. Oh, rassurez-vous, vous pouvez continuer à me détester, j’en ferais de même. Mais je crois qu’il faut qu’on collabore. Qu’en dites-vous ?
Un sourire en coin et les bras croisés, l’intéressée répondit.
— Ben voyons. Alors OK, faisons un effort.
— Super. Maintenant, vous pouvez finir de me retirer mon gant s’il vous plaît ?
Joséphine observa la peau qui pendait et s’en saisit pour tirer dessus, libérant la main reptilienne en entier. Harold retroussa alors la manche de sa veste de treillis, et la femme retira doucement la peau qui se décollait jusqu’au moment où celle-ci ne se soulevait plus, laissant le nouveau derme visible jusqu’au milieu de l’avant-bras. Harold soupira avant de remettre sa manche en place, et Allit posa une main compatissante sur son épaule.
— Rien ne dit que c’est irrémédiable. Ce n’est peut-être que temporaire, parce que votre corps s’adapte à la situation particulière que nous traversons…
— J’ai du mal à y croire, mais bon, l’espoir, c’est tout ce qu’il me reste… Allons-y…
Ils sortirent de la salle, et Michelle accourut à son compagnon.
— Ça va ? On t’a entendu crier…
Il lui montra sa main, et aussitôt Michelle porta les siennes à sa bouche pour étouffer un cri avant de se reprendre.
— On va trouver une solution. N’est-ce pas ?
Harold haussa les épaules.
— On verra bien… Il me reste juste à espérer que mon évolution sera utile à la situation de crise actuelle…
Se tournant vers Big Mama, il ajouta.
— On doit se rendre au serveur central, vous connaissez le chemin ?
— Bien entendu. Suivez-moi.
Et le groupe se remit en route dans un silence assourdissant.
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