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                Le décor autour du groupe évoluait étage après étage, ressemblant de plus en plus à ce qu’était devenu le niveau zéro, cette matière organique noire recouvrant lentement toutes les surfaces comme si un liquide se rependait avant de durcir, prenant un léger reflet métallique à mesure que le processus de durcissement avançait tout en collant légèrement aux semelles des survivants comme un amas de chewing-gums encore mous, tant et si bien que leur progression ralentissait au fur et à mesure de leur progression, quand soudain Big Maman leva le poing en l’air, et tous s’immobilisèrent alors qu’Harold se penchait vers elle.

                — Donc ce n’est pas le fruit de mon esprit ? Vous aussi vous entendez quelque chose ?

                La femme hocha la tête.

— Oui… Comme autant de petites pattes avançant à toute vitesse… Le problème, c’est que ça vient de partout à la fois…

                Harold se mordit les lèvres avant de prendre la parole.

— OK, je crois qu’il est temps de vous dire ce qu’il s’est passé tout à l’heure…

                Geol lui lança un rapide coup d’œil tandis qu’il reprenait.

— Les plaies dans le bras de Billy s’étaient infectées, et une espèce de scarabée noire lui est sortie du bras en le déchirant, littéralement… Un autre est sorti de sa bouche, et un troisième l’a éventré… Alien, à côté, c’est un film pour enfants…

— C’était donc ça, les coups de feu ?

— Pas tout à fait… la troisième saloperie m’a sauté au visage. C’est à elle que je dois la perte de ma joue. Puis ensuite, elle a attaqué l’autre garde à la gorge avant de se sauver… Et quasi tout de suite après, sa plaie a… Comment dire ça… Des petits tentacules s’en sont déployées, l’une d’elles m’a frappé l’œil… Alors je l’ai abattu… Sans scrupules…

— Et tu as bien fait.

                Harold dévisagea la femme, essayant de deviner si elle se moquait de lui, quand elle reprit.

— Nous devons être prêts à toutes les mesures nécessaires, même les plus radicales, pour assurer notre survie. Si tes potes mutants ou toi deveniez d’éventuels risques ou menaces pour nous, te n’inquiètes pas que je solutionnerais vite le problème. Mets-toi bien ça dans le crâne.

                Harold l’observa quelques instants, bouche bée, avant d’opiner lentement du chef.

— Merci, ça a le mérite d’être clair… Et puis, c’est possiblement la plus sage des décisions…

— On est d’accord. Sinon, tu penses que c’est tes scarabées qui tournent autour de nous ?

— Ouais…

— Tu es perspicace, petit frère…

                Harold releva la tête en même temps qu’Alliza et Milo avant de crier tout en balayant l’espace à l’aide du canon de son arme.

— Ahmed ? T’es où enfoiré ? Sors de ta cachette, monsieur Benelli aimerait te dire deux mots…

— Parce que tu me crois assez fou pour venir à ta rencontre ?

                Le Colonel dévisagea Harold avant de demander.

— Ça va Sergent ?

                L’intéressé le dévisagea avec étonnement.

— Vous ne l’entendez pas ?

— Entendre qui ?

                De derrière eux Alliza répondit.

— Ahmed. Milo et moi, on l’entend aussi…

                Allit réfléchit quelques secondes avant de parler.

— Extra cortex ! Il vous parle par l’extra cortex !

— Futée la petite… Il faudrait que je la possède elle aussi, comme Dupont… Au fait, tu savais qu’il l’aimait encore ? Il n’a couché avec ta petite infirmière que parce qu’ils étaient ivres tous les deux… C’est quand même dommage de gâcher une belle histoire d’amour à cause de l’alcool, non ?

— M’en branle ! Qu’est-ce que tu veux ?

                Une caresse psychique l’effleura, et Harold aurait pu parier qu’il s’agissait d’un sourire de la part d’Ahmed.

— D’abord, je voulais savoir comment tu vis ta mutation ? Pour ma part, ça avait été extraordinaire de pouvoir exprimer mon moi profond, et toi ?

— Va te faire enculer.

— Oh, c’est si désagréable que ça ? Pourquoi ? Tu pleures la fin de ton humanité ? Pourtant, tu deviens tellement plus que ça… Enfin… Il est des gens qui ne savent pas apprécier ce qu’ils ont… Sinon, je voulais juste vous avertir que quand le petit Billy et son camarade ont été infectés, j’ai pu lire dans leurs esprits. Je sais ce que vous voulez faire. Et je ferais tout pour vous en empêcher.

— Tu veux nous empêcher de t’empêcher de t’enfuir ? Tout un concept.

— C’est ça, fais ton malin. La course au réacteur est lancée, petit frère. Que le meilleur gagne !

                Alliza, Milo et Harold sentirent le lien se couper, et instantanément le militaire apostropha Big Mama.

— On est encore loin du réacteur ?

— Deux étages, pourquoi ?

— Courez !

                Sans un mot de plus, il s’élança, suivi de près par Alliza et Milo, et le reste du groupe mit quelques secondes de plus pour se mettre en route. Quand ils arrivèrent devant la porte blindée toute fois, ils s’immobilisèrent, en proie au doute. La surface métallique disparaissait entièrement derrière l’étrange matière qui recouvrait les murs, les sols et le plafond.

— Bordel, mais c’est quoi ce truc…

— Notre sang, petit frère…

— T’es encore là, toi ?

— Je ne suis jamais loin de toi…

                Harold fit signe à la Lieutenante-Colonelle Geol d’ouvrir la porte tout en répondant à sa Némésis.

— Notre sang tu dis ?

— Oui. Tu vois ce liquide comparable à du goudron qui s’écoule des veines de nos frères et sœurs que tu as abattus ? Il s’étend, il se propage, et nous crée un petit cocon des plus confortables.

— Non merci, très peu pour moi…

                La porte blindée s’ouvrit lentement, et une douce lumière filtra à travers la surface la recouvrant précédemment tandis que Geol grognait.

— Merde, comment on va faire ?

                Harold entendit Ahmed rire tandis qu’Alliza prenait son élan avant de s’élancer l’épaule en avant et de traverser la matière qui se brisa à l’impact. Passant la tête par le trou, la jeune femme à la carapace osseuse répondit.

— On va faire comme ça, qu’en dites-vous ?

                Geol acquiesça tandis qu’Ahmed grognait.

— Ne va pas t’imaginer que c’est une victoire, Alliza. Tu sens ta mutation accélérer, n’est-ce pas ? Tu sens ton corps se raidir à chaque mouvement que tu fais, non ? D’après toi, combien de temps te reste-t-il avant que tu ne te figes éternellement ?

                La jeune femme cria.

— Ferme ta gueule ! Qu’importe le temps qu’il me reste, je le passerais à te mettre des bâtons dans les roues.

— Bien… Tant pis pour toi. Profite bien du peu de temps qu’il te reste. Et si jamais il te restait assez de temps pour t’enfuir d’ici, demande-toi quelle place t’attend dans le monde extérieur. Oh, et, quand vous découvrirez ce qu’est le réacteur, tâchez de ne pas trop tomber des nues. Puisque vous connaissez l’origine des cellules souches qui nous ont été implantées, vous devriez vous douter de ce sur quoi vous allez tomber, pas vrai ?

                Milo intervint.

— Personnellement, je crois que je commence à m’en douter, je te remercie.

— C’est vrai que tu es un malin, toi… Pourtant, ce n’était pas gagné, pas vrai, Forest Gump ?

                Pour toute réponse, le Patient Neuf tendit son index vers le ciel et Ahmed rigola, puis le lien se coupa de nouveau tandis qu’Harold se tournait vers le Colonel.

— Une ultime révélation avant qu’on entre ?

— Que vous a dit le Patient Zéro ?

— Que le générateur avait un lien avec nos cellules souches. Alors ?

                Tout le monde observait l’Officier Supérieur qui sembla hésiter avant de répondre.

— Je vous ai expliqué les avancées technologiques que la découverte des extraterrestres avait permis, mais celle qui nous intéressait le plus était leur source d’énergie. Infinie et plus puissante, et plus propre, que toutes les centrales nucléaires du monde.

                Michelle entrouvrit la bouche quelques secondes avant de demander.

— Vous n’êtes pas en train de nous dire que ce complexe est alimenté par une soucoupe volante, quand même ?

                Le Colonel Vespal haussa les épaules avant de répondre.

— Ça n’a pas vraiment la forme d’une soucoupe volante, mais oui, c’est bien le vaisseau qui nous fournit en énergie.

                La jeune femme manqua de tomber sur les fesses suite à cette révélation tandis que Milo prenait la parole.

— Bien, et comment on le fait exploser ? Parce qu’on ne parle pas d’une simple centrale électrique, ça ne doit pas fonctionner de manière très conventionnelle, je me trompe ?

                Le Colonel fit une drôle de moue avant de répondre.

— En fait, nous l’avons raccordé au système pour qu’il n’explose pas… Nous avons constaté qu’il ne vole plus, mais que nous pouvons malgré tout lancer ses moteurs à pleine puissance, ce qui entraîne une surcharge de son système. Quand nous l’avons branché, nous l’avons lancé à dix pour cent de ses capacités, et depuis il tourne en boucle, alors le protocole conçu repose sur l’idée qu’en le déconnectant de la plateforme et en le lançant à pleine puissance, sa surchauffe le ferait exploser. Les estimations sont… Hiroshima et Nagasaki, à côté, ce sont deux pétards mouillés.

                Allit intervint en hurlant.

— Attendez, vous êtes en train de nous dire que tout notre plan repose sur des spéculations, des hypothèses et des estimations ?

                Le Colonel afficha subitement une profonde panique quand il réalisa le problème auquel ils allaient faire face tandis que depuis la brèche qu’elle avait créée Alliza lançait.

— Hey, et si simplement on allait voir, vous en dites quoi ?

                Milo et Allit échangèrent un regard avant de passer par le trou, suivis du reste de l’équipe. Quand Harold arriva au niveau de la jeune femme, il planta son regard dans le sien.

— Tu comptais nous le dire quand ?

— Dire quand quoi ?

— Ne fais pas la conne. Quand est-ce que tu comptais nous dire que ton état empirait ?

                Alliza détourna le regard en haussant les épaules.

— De toute façon, comme l’a dit Ahmed, quelle place nous attend dans le monde réel ? On est des monstres, tu crois qu’on va faire quoi ? Tu t’imagines que je vais devenir caissière de supermarché ? Alors, laisse-moi finir ma vie comme je l’entends, en me rendant utile, tu veux bien ?

                Harold la fusilla du regard.

— C’est chevaleresque, mais je t’en veux de ne pas en avoir parlé.

— Pourquoi ? Parce qu’entre monstres, on doit tout se dire ?

                Harold pinça les lèvres.

— Oui… Qui mieux que nous peut nous comprendre ?

                Alliza tourna sa tête blindée vers lui, et il vit quelques larmes couler depuis ses grands yeux bleus tandis qu’elle murmurait.

— Merci… Je me suis sentie normale pendant quelque temps grâce à toi…

— Mais tu es normale.

                Alliza rit avant de répondre.

— Et toi un très mauvais menteur. Allons-y.

                Ils rejoignirent le groupe pour les découvrir tous à l’exception du Colonel fixant un objet au-dessus d’eux, quand enfin ils les eurent rejoints, ils purent voir l’objet de leur intérêt et s’immobilisèrent à leur tour, extatiques face au spectacle qui s’offrait à eux. Maintenu à deux mètres de hauteur par d’immenses pinces métalliques se trouvait un objet noir à la forme oblong mesurant une dizaine de mètres de long pour environ trois de haut et autant de large, traversé de la poupe à la proue par un long faisceau d’énergie bleue pulsant à intervalles réguliers, tandis que de lourds câbles épais étaient raccordés sur ledit faisceau et à l’arrière de l’engin et que sous l’engin était installé un escalier à roulettes permettant d’entrer à l’intérieur. Penchant légèrement la tête sur le côté, Harold murmura.

— C’est moi, ou bien ça ressemble à un cigare géant ?

                Geol le coupa.

— Un étron géant… Un étron géant pouvant traverser l’espace…

                Toutes les têtes se tournèrent vers elles pendant quelques secondes tandis que le Colonel s’activait sur une table de contrôle avant de pester.

— Bordel de merde !

                Harold vint le rejoindre.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Il faut deux mots de passe pour le mettre en surcharge forcer, et je n’en ai qu’un.

                Harold ouvrit de grands yeux terrifiés.

— Donc on ne peut pas le faire exploser ?

                Le Colonel baissa la tête quelques secondes avant de la redresser et de répondre.

— Si, mais pour ça, il faut que quelqu’un reste à l’intérieur, les mains sur les commandes… Il faut que quelqu’un se sacrifie…

                Tout le monde les observait en silence quand Milo s’avança d’un pas.

— Je vais le faire.

                Harold le dévisagea en fronçant les sourcils avant de hurler.

— C’est hors de question !

                Déjà le Patient Neuf s’était détourné du groupe pour se rendre vers l’engin spatial, et Harold le rejoint en courant pour le retenir par une épaule.

— J’ai dit hors de question.

                Milo tourna la tête vers lui en lui offrant un sourire triste avant de répondre.

— C’est le choix le plus sensé pourtant… Je suis le moins physique de vous tous, et je ne sais pas me battre… Alliza a son armure osseuse pour vous aider, les gardes, La Lieutenante-Colonelle et le Colonel savent se battre, pas moi.

— Allit non plus, elle a qu’à y aller !

                La femme se raidit de peur alors que Milo continuait son argumentaire.

— Son compte-rendu scientifique sera nécessaire, en plus de celui du Colonel, pour enterrer définitivement ce projet.

                Michelle s’avança.

— Dans ce cas, je peux y aller moi aussi !

                Cette fois-ci, ce fut Harold qui se raidit, mais Milo trouva une autre objection.

— Non, toi, tu es normale. Comme l’on dit Ahmed et Alliza, nous rien ne nous attend dehors. Mais toi… Toi, tu pourras commencer une nouvelle vie après ça…

                Se saisissant de la main d’Harold, il la retira lentement de son épaule et reprit.

— Tu sais que j’ai raison, alors ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles le sont déjà, tu veux bien ?

                Les larmes aux yeux, celui-ci chercha toutes les objections possibles avant d’intervenir.

— Et qui te protégera pendant ce temps-là ? Si Ahmed et ses monstres t’attaquent, tout tombe à l’eau…

                De derrière lui, le Colonel intervint en hésitant.

— Depuis la console, je peux… Je peux fermer le vaisseau… nous n’aurons plus qu’à détruire le dispositif après, et ils ne pourront plus l’atteindre…

                Harold le fusilla du regard avant de reporter son attention vers Milo qui lui souriait toujours.

— Tu vois ? Tout va bien se passer.

                Le Sergent cherchait ses mots sans les trouver, et le Patient Neuf reprit.

— Je sais que ça te crève le cœur, et si ça peut te rassurer, je ne suis pas au top de ma forme non plus… Mais c’est notre seule solution, notre seule chance d’arrêter Ahmed avant qu’il ne soit trop tard…

                Serrant la mâchoire à s’en faire mal, Harold tendit la main à son coéquipier qui s’en saisit.

— Merci mon ami. Tu m’as donné une raison de vivre et de mourir… Tu as intérêt à prendre Ahmed de vitesse, que je ne crève pas en vain.

— C’est promis.

                Les deux hommes se séparèrent, et celui au physique d’extraterrestre reprit sa route. Quand il atteint les escaliers, il se tourna une ultime fois vers son groupe pour y découvrir Michelle et Alliza en larme et Harold effectuer un salut militaire. Il leur répondit d’un petit mouvement de la main puis grimpa l’escalier, et la trappe se referma derrière lui après que le Colonel eut enfoncé quelques touches. Harold le rejoignit et braqua son fusil à pompe vers la console sur laquelle il tira par trois fois avant de s’éloigner de l’engin qui commençait à émettre plus de lumières tandis que le groupe restait immobile. S’arrêtant sans regarder en arrière, il leur lança.

— En route. Respectez son choix et finissons ce qu’on a à faire.

                Les survivants échangèrent quelques regards tandis qu’il reprenait sa marche, puis ils se mirent en route en petites foulées pour le rejoindre. Quand ils furent à son niveau, Michelle attrapa Harold par le bras, et il tourna vers elle un visage en larme.

— Ça va aller, mon chéri… Ça va aller…

— Embrasse-moi.

                La jeune femme le regarda, stupéfaite, aussi reprit-il.

— Embrasse-moi tant que j’ai une bouche pour le faire, s’il te plaît…

                La jeune femme lui offrit un sourire compatissant avant de l’embrasser avec tendresse et passion tandis qu’il l’étreignait comme s’il craignait qu’elle disparaisse. Quand ils se décollèrent, Michelle reprit.

— Le plus important, ce n’est pas l’extérieur. Ce qui compte, c’est que tu restes humain au-dedans.

Harold répondit en se détournant d’elle.

— Si tu le dis…

                Michelle le regarda s’éloigner, pleine de désespoir, avant de rejoindre le groupe, et tous reprirent leur ascension des escaliers de service.

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