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— Pourquoi on s’arrête ?
Geol venait de s’arrêter aux côtés d’Harold, mais celui-ci ne lui répondit pas, mais appela le professeur Allit à la place, et cette dernière le rejoint en fronçant les sourcils.
— Que se passe-t-il ?
Il lui montra son bras droit sur lequel la peau continuait de se décrocher, et immédiatement elle comprit pourquoi il l’avait appelé. Les nouvelles zones sans épiderme ne portaient pas d’écailles, mais étaient recouvertes de la même chitine que le visage du Sergent.
— C’est stupéfiant…
— Oh, ce n’est pas le plus surprenant…
Il passa la main sur son avant-bras écaillé et celles-ci se décollèrent, dévoilant la même matière chitineuse que sur le reste du membre tandis qu’Allit s’émerveillait.
— Incroyable… Une évolution après l’évolution…
Harold haussa le seul sourcil qu’il lui restait en demandant.
— Qu’est-ce que ça signifie ?
La scientifique se redressa avant de répondre.
— Ce ne sont que des spéculations, mais je pense que votre première évolution s’orientait vers une créature résistante et possiblement amphibie, afin d’être capable de se défendre et de s’échapper à la nage au besoin, puisque c’était une possibilité largement envisageable. Mais depuis, la situation a empiré, et votre corps s’y est adapté une nouvelle fois, renforçant l’aspect offensif en sacrifiant la possibilité d’une fuite par les mers, parce que la fuite n’est plus…
La femme laissa sa phrase en suspens tout en dévisageant Harold qui baissa les yeux.
— N’en dites rien à Michelle, s’il vous plaît…
— Mais… Pourquoi ? Pourquoi vous n’envisagez plus de vous enfuir ?
Harold regarda son reflet sur la chitine de son bras quelques secondes avant de répondre.
— Ahmed, Alliza et Milo ont raison… Quelle vie pourrais-je bien vivre une fois sorti ? Rester enfermer dans un laboratoire ? Non merci… Et puis… On ne sait pas comment je vais évoluer. Imaginez que je deviens un Patient Zéro Bis… Alors pour l’instant, m’enfuir avec vous n’est pas dans mon plan de carrière à court terme. Mais vous mettre tous à l’abri, si.
Il fit danser ses doigts avant de passer son fusil dans le dos pour retirer ses gants, dévoilant des mains pleinement transformées elles aussi et les observa sous toutes les coutures avant de les tendre à la scientifique.
— Regardez mes doigts… Vous avez vu, je n’ai plus d’empreintes digitales, mais des espèces de petites boules… Ça me fait penser au grip de mes gants de combat…
Allit lui prit la main et commença à l’ausculter avant de passer les doigts sur les petites boules aux extrémités des doigts, et Harold frémit.
— Mince, c’est sensible…
Allit releva la tête, sourcils froncés, avant de demander.
— Et votre vue ? Comment se porte-t-elle ?
Harold fronça son sourcil, l’air très concentré.
— Maintenant que vous le dites, j’ai l’impression de voir moins bien de l’œil droit.
— Moins bien de l’œil droit, ou bien mieux de l’œil gauche.
Le soldat pencha légèrement la tête sur le côté.
— Vous insinuez quoi, Doc ?
Relâchant la main de son patient alors que Michelle arrivait à leur niveau, Allit exposa sa théorie.
— Vos sens s’accroissent avec vos nouveaux organes. Meilleur toucher, meilleure vue. Si vous perdiez vos oreilles ou votre nez, il y a fort à parier que votre ouïe et votre odorat se développeraient eux aussi parce qu’ils ne seraient plus entravés par les restrictions du corps humain. En sommes, vous évoluez bel et bien dans la direction d’un être adapté au combat. Regardez les articulations de vos phalanges, vous avez une couche de chitine par-dessus les précédentes pour protéger les zones fragiles. Votre corps se renforce.
Michelle la coupa.
— En clair, pour être plus performant, il devrait arracher ce qu’il reste de son corps pour laisser place à une sorte de… Créature guerrière ?
Allit acquiesça.
— Oui… Je suis désolée…
Harold récupéra l’arme qu’il avait passée dans son dos et lui colla lentement le canon sous le menton.
— Croyez-moi, je meurs d’envie de vous arracher la bouche et la moitié de la boîte crânienne en cet instant. Alors, si vous voulez survivre, il va falloir me jurer que vous ferez le pire des rapports au sujet du programme C-SET et que vous ferez tout pour qu’il ne subsiste aucune donnée.
Tendue, Allit fit un effort surhumain pour parler avec calme.
— Tout est ici, données, notes, échantillons, sujets. Si le complexe explose, il ne restera de toute façon rien du travail que nous avons effectué.
— Bien, c’est bon à savoir. Alors en rou…
Harold suspendit sa phrase alors que derrière eux résonnaient des coups contre le métal. Il échangea un bref regard avec la Lieutenante-Colonelle Geol avant de redescendre les quelques marches les séparant de la porte blindée la plus proche, avant d’arracher un pan de la sécrétion séchée et de coller leurs oreilles à l’acier.
— Je confirme que ça frappe.
La femme fronça les sourcils.
— Ça appelle à l’aide ou je rêve ?
Harold la dévisagea avant de se reculer en braquant son arme vers la porte.
— Ouvrez. Si on a une mauvaise surprise, je les cueille dans la foulée.
Alliza se plaça à ses côtés, et les tubes rotatifs de son arme se mirent à tourner de plus en plus vite.
— Si tu veux faire de la cueillette, utilise plutôt ma moissonneuse.
Harold la regarda, dubitatif, avant de reporter son attention sur la porte, tandis que Geol passait sa carte dans le lecteur et que les vérins des portes blindées s’activaient. Dès que l’espace le permit, un bras s’y glissa alors qu’une voix en proie à la panique s’élevait.
— Pitié ! Aidez-moi ! Il y a des monstres ici !
Passant son fusil dans son dos, Harold courut se saisir de la main.
— Ça va aller ! ils sont où ?
La voix devint grave tandis qu’elle répondait.
— Partout. Nous sommes partout.
Une vive douleur le frappa au ventre tandis qu’Harold baissait les yeux pour constater la présence d’un épieu planté en lui et remontant jusqu’à la paume de la main qui lui était tendue, et alors qu’un rire dément s’élevait, lui tombait à la renverse, déclenchant un hurlement de douleur chez Michelle et un second de fureur chez Alliza qui pressa la queue de détente de son arme. Le M61 A2 se mit à réciter sa litanie de mort tandis que les étuis rebondissant au sol en tintant et que de longs traits lumineux zébraient l’espace, éclairant ce qui se présentait face aux survivants. Une marée de corps difformes n’ayant d’humains que l’origine s’avançait vers la porte avant de se faire déchirer par les ogives de l’arme lourde pendant plus de huit minutes, jusqu’à ce que les canons tournent sans plus faire pleuvoir la mort. Alliza jeta alors le dispositif au sol avant de se mettre en garde, tandis que Geol actionnait l’interrupteur permettant la fermeture des portes en vain.
— C’est cassé !
— Bien, alors courez, je vais les retenir !
Déjà les corps démembrés recommençaient à bouger, le liquide noir se dirigeant vers les autres morceaux éparpillés pour les réunir dans des créations défiant l’imaginaire. Un des monstres fraîchement créés, un monstre quadrupède aux jambes faites de bras, à la mâchoire inférieure composée de tibias ornés de côtes en guise de dents et aux bras faits de troncs humains terminés par des doigts composés de colonnes vertébrales, fouetta l’air devant lui, manquant de peu la femme à l’armure osseuse.
— Courrez j’ai dit !
Harold, qui finissait de ramper vers les escaliers, fut rejoint par Michelle l’aidant à se redresser alors qu’Alliza chargeait le monstre devant elle avant de le frapper d’un puissant coup d’épaule. Quand le Sergent fut debout, sa compagne retira sa main de la plaie alors qu’il prenait la parole.
— Je n’ai rien, ça va…
L’infirmière resta interdite quelques secondes avant de murmurer.
— Je vois ça… Pas de saignements… Pas de plaie… Juste…
— Une armure, je sais… Au moins maintenant, on a une idée de sa résistance… Allez, montons.
Michelle ouvrit la bouche quelques secondes avant de se reprendre.
— Et Alliza ?
— C’est elle qui nous a dit de fuir. Elle va essayer de nous faire gagner du temps, ne le gâchons pas…
Michelle regarda la femme se sacrifiant pour eux quand Harold lui saisit la main pour l’entraîner à sa suite en maugréant.
— J’ai l’impression que ce fils de pute a tout prévu dans le seul but de réduire nos rangs petit à petit… Ce jeu du chat et de la souris semble truqué, et ça m’énerve !
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