34
Des bruits de déflagrations et d’explosions se faisaient entendre sans discontinuer alors qu’Harold activait son communicateur.
— Milo, tu es prêt ?
La voix si particulière du jeune homme lui chatouilla les tympans.
— Oui. Et vous ?
— Oui, tu peux lancer les moteurs à pleine puissance.
— Bien. Selon mes calculs, il vous reste quinze minutes. Bonne chance.
— Merci.
Il fit ensuite un signe de la tête à Geol qui activa son propre talkie-walkie.
— On arrive, vous êtes prêts ?
La voix au fort accent russe répondit.
— Da ! Mais être grosse fête ici, vous devoir faire vite !
— On se lance maintenant, commencez à ouvrir les portes !
— Da !
La femme observa ses coéquipiers quelques secondes. Michelle était concentrée, mais semblait calme, alors que la professeur Allit paraissait à bout de forces et sur le point de craquer, tandis qu’Harold paraissait emplit d’une rage sur le point de le déborder depuis qu’il avait assisté au décès du Colonel, et subitement elle se prit à craindre qu’il ne perde les pédales pendant le combat à venir et fasse quelque chose d’insensé. Mais elle n’avait pas le choix, il représentait leur meilleure chance de survie.
— Vous êtes prêts ?
Rechargeant son M204 avant de préparer son lance-flammes improvisé, Harold acquiesça avant de se diriger vers la porte et l’ouvrir pour faire face à une marée de créatures plus abjectes les unes que les autres, aberrations génétiques dégénérescantes cherchant à quitter leur futur tombeau pour contaminer le reste du monde. La rage et la haine s’emparèrent soudainement de lui tandis qu’il repensait à ceux qui avaient péri à ses côtés, et il alluma son briquet avant de laisser le gaz liquide s’échapper en s’enflammant tandis qu’un puissant cri de guerre s’élevait de sa gorge.
— Allez tous en enfers !
Il balaya devant lui en arrosant copieusement toutes les créatures se trouvant à portée de feu et les trois femmes en profitèrent pour se mettre en route après que Geol ait pris sa grenade incendiaire à Harold pour la lancer dans la horde, suivie de peu par la sienne, et alors que deux explosions de phosphore blanc se répandaient dans les rangs adverses, Harold reculait en direction de la porte de sortie en continuant d’arroser tandis que l’immense pan d’acier blindé était tiré vers le haut par de lourdes chaînes entraînées par deux puissants moteurs.
Michelle trottait en ouvrant le feu à intervalle régulier sans même prendre le temps de viser, gardant toujours au coin de l’œil la porte qu’elle espérant tant atteindre, la sortie lui semblant littéralement à portée de main, sécurisée par un groupe d’hommes en armes tirant sans discontinuer pour couvrir la progression des survivants.
À ses côtés, le professeur Allit était crispée, peinant à utiliser correctement son arme qu’elle trouvait trop lourde pour elle. La femme n’arrivait pas à appréhender correctement la situation, essayant en vain de comprendre comment une femme de science pouvait subitement se retrouver à lutter bec et ongles pour sa vie et pour échapper aux abominations qu’elle avait contribué à créer. Une chose néanmoins était devenue certaine pour elle, si elle devait survivre à tout ceci, elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que plus jamais ce genre d’accidents puisse se reproduire, dusse-t-elle rendre tout ceci public en enfreignant l’obligation de confidentialité de son contrat de travail.
Derrière elles, couvrant leurs arrières tout en épaulant Harold du mieux qu’elle le pouvait, la Lieutenante-Colonelle Camille Geol serrait les dents. Elle voulait survivre à tout ceci pour une seule et unique raison. Elle portait la vie, l’enfant de feu son compagnon le Commandant Jean Lier, et voulait voir grandir la plus belle preuve d’amour qu’il lui ait donné, cet enfant qu’elle avait espéré pendant des années et qu’elle comptait bien mettre au monde. Elle était prête à abattre tout ce qui se mettrait en travers de sa route et le démontrait en cet instant, alignant les tirs avec précision et efficacité, remplaçant ses chargeurs vides avec maestria pour garder une bonne cadence.
Harold n’arrivait pas à se calmer. Brûler ces saloperies ne suffisait pas à le calmer, il aurait aimé les écraser sous ses propres poings, les uns après les autres, les oblitérant de toute sa haine, de toute sa rage, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une pulpe sanguinolente dans laquelle il aurait pu patauger avec joie. Mais pour l’instant, il devait se maîtriser pour mettre la femme qu’il aimait en sécurité, loin de tout danger, pour qu’elle puisse vivre, car c’était tout ce qui lui importait. Après, il pourrait mourir, cela ne le dérangeait pas. Il s’était fait une raison, le monde n’était pas compatible avec son nouvel état. Quoi qu’en dise Michelle, il n’était plus humain, son ADN avait été perverti, il n’était plus qu’un hybride contre nature, et ne voulait pas finir sa vie dans un laboratoire, encore moins si c’était pour risquer la résurrection du programme C-SET. Le monstre de Frankenstein devait disparaître.
— dix minutes.
La voix de Milo le fit tressaillir tandis qu’elle lui rappelait qu’ils jouaient une course contre la montre très serrée, aussi Harold cria-t-il.
— Accélérez !
Le jet de gaz diminua petit à petit jusqu’à se tarir, et il lâcha la bombonne avant de prendre celle que portait Geol et d’en ouvrir la vanne pour recommencer sa danse incendiaire alors que dans son arc de tir les corps convulsaient en se consumant en dégageant une fumée acre et une odeur de caoutchouc brûlé. Après avoir transmis son fardeau, Geol activa son communicateur.
— Vous avez démarré les hélicoptères ?
— Da ! Deux attendre nous !
— Parfait. Continuez de nous couvrir, on y est presque !
Les corps se démembraient en masse sous les tirs des Spetsnazs avant de se réassembler, créant à chaque fois une horreur plus malsaine encore, tandis que les survivants avançaient aussi vite que possible, Geol réorientant ses tirs dans le sens de la progression pour faciliter la libération d’un couloir de progression, quand une explosion se produisit. Une des choses qu’ils affrontaient avait intercepté une grenade en plein vol et l’avait renvoyé vers son expéditeur, mais l’objet cylindrique avait roulé jusqu’à l’un des moteurs permettant l’ouverture de la porte, et l’explosion l’avait pulvérisé et déchiré la chaîne. Le second moteur ne put continuer à tirer la porte vers son sommet, parvenant tout de même à maintenir l’espace ouvert, mais le bruit qu’il faisait ne trompait personne, il allait casser sous peu et la porte se refermerait ensuite.
— Courrez !
Geol entraîna les deux femmes à sa suite tout en tirant sans discontinuer, brûlant ses dernières cartouches dans une ultime tentative de se frayer un chemin vers la sortie tandis que les militaires russes continuaient de faire feu de toutes leurs armes, quand un grincement métallique se fit entendre. Continuant de faire décrire un arc de cercle à son jet de feu, Harold tourna la tête vers l’origine du bruit pour découvrir un maillon de l’énorme chaîne restante s’écarter lentement sous le poids de la porte. Il lança un bref regard vers le trinôme de femmes et sentit la peur l’envahir quand il réalisa qu’il allait leur manquer une bonne minute pour s’échapper de ce cauchemar. Il fit alors quelque chose d’insensé. Il lâcha le tuyau d’où le gaz enflammé put alors s’échapper librement, et jeta la bombonne dans la masse grouillante des monstres avant de courir vers la porte en bousculant avec force tout ce qui pouvait s’opposer à lui, propulsant quelques monstruosités au sol avant de les piétiner avec sauvagerie. Il dépassa les femmes en leur hurlant qu’il s’occupait de la porte, et Geol transmit aux gardes de ne pas tirer sur la seule créature en pantalon de treillis et gilet de combat tandis qu’il se laissait glisser sur le métal du sol pour arriver sous la porte alors que celle-ci se libérait de ses chaînes. Se mettant à genoux, il la reçut en hurlant de douleur sur les épaules et les mains pour la garder ouverte tel un Atlas moderne alors que Geol, Allit et Michelle émergèrent de la marée inhumaine pour le rejoindre et que les Spetsnazs tendaient les mains sous l’ouverture pour les attraper. Allit et Geol se laissèrent glisser sous la porte, mais Michelle s’arrêta aux côtés d’Harold, subitement consciente de ce qu’il se passait.
— Comment tu vas pouvoir venir ?
Harold lui sourit tandis que son dernier œil humain laissait couler une larme, et instantanément Michelle se mit à hurler.
— Tu ne peux pas faire ça ! C’est du suicide !
— Je sais…
Les larmes de Michelle se firent plus abondantes.
— Je t’en prie… Viens…
Harold ferma son œil quelques secondes avant de murmurer.
— Je t’aime…
Rouvrant l’œil et observant les monstres s’approcher dangereusement, il hurla.
— Emportez-la !
Des mains l’agrippèrent alors qu’elle-même essayait de se retenir au bras de l’homme qui se sacrifiait par amour en hurlant sa douleur, puis elle disparut du champ de vision d’Harold qui baissa la tête en souriant. Il avait accompli sa mission. Forçant sur les muscles de ses jambes, ses bras et son dos, il releva la porte de quelques centimètres avant d’avancer d’un pas puis de la laisser retomber derrière lui. Se redressant de toute sa taille, il fit face à la horde qui courrait vers lui et se mit en garde en criant.
— Venez, bande de monstres !
— Stop !
Les créatures s’immobilisèrent avant de s’écarter tandis qu’Ahmed s’avançait en applaudissant.
Sur l’héliport, les militaires parvinrent à faire embarquer Michelle et à la harnacher, puis les hélicoptères décollèrent, le bruit des rotors couvrant celui de ses pleurs. Réalisant que leurs chaussures étaient recouvertes du sang des mutés, Allit retira ses chaussures pour les jeter à l’eau, imitée par Geol qui enleva ensuite les siennes à Michelle qui, prostrée, ne quittait pas la plateforme des yeux.
Le monstre à la peau noire et écailleuse, à l’œil cyclopéen et à la mâchoire inférieure fendue en son centre continuait d’avancer vers Harold qui restait en garde.
— Bravo, vraiment. Tu les as sauvés. Maintenant, penses-tu sincèrement que mes braves soldats ne pourront pas ouvrir cette porte ? Si c’est le cas, tu es bien naïf.
— C’est toi qui es naïf de penser que tu as gagné. Tout est fini, je vais disparaître, et toi avec moi.
La mâchoire inférieure d’Ahmed se sépara pour gigoter telles deux mandibules tandis qu’il rigolait.
— Même Alliza n’a pas pu me vaincre en combat singulier. Son corps est devenu complètement osseux avant. Mais, je dois reconnaître que jusqu’au bout elle a tout fait pour y arriver, même quand elle ne pouvait plus bouger que de quelques centimètres. Elle essayait de me saisir à la gorge quand ça s’est produit. Sûrement espérait-elle m’étrangler pour l’éternité, comme ça ? Tu aurais vu le désespoir dans ses yeux… Je suis resté à la regarder jusqu’à ce que la vie la quitte complètement, et la rage a vite fait place à la panique la plus totale à mesure qu’elle suffoquait. C’était…
Il passa sa langue bifide sur ses lèvres et reprit.
— Jouissif.
— Tu n’es qu’un putain de monstre.
— Bien sûr. Tout comme toi. Et c’est eux, ceux que tu as protégé qui ont fait ça.
— Non, tu étais déjà un monstre avant ça, tu étais un terroriste je te rappelle.
Ahmed haussa les épaules.
— On peut en débattre longtemps. Ou alors on peut régler ça maintenant. Te crois-tu en mesure de me battre ?
Harold pencha légèrement la tête sur le côté, comme pour écouter une voix que lui seul pouvait entendre, avant de répondre.
— Adieu mon ami.
Ahmed fronça les sourcils tandis qu’Harold s’élançait dans sa direction en armant le poing, et son adverse ancra ses pieds dans le sol, prêt à le recevoir, quand toute la plateforme se mit à trembler.
De nombreux étages plus bas, dans le cockpit du vaisseau extraterrestre, Milo sourit tout en pleurant, puis une violente explosion le vaporisa avant de déchirer le métal du hangar sans même lui laisser le temps de fondre. L’énorme boule de feu pulvérisa tous les niveaux avec facilité, incinérant chaque centimètre avant de se libérer de son carcan d’acier, évaporant l’eau quand elle l’atteignit et saisissant Harold et Ahmed, ainsi que ses esclaves, au moment où le premier sautait à la gorge du second, pour les faire disparaître dans les flammes.
Les hélicoptères tanguèrent à cause du souffle de l’explosion tandis que Michelle hurlait de douleur, et quand au bout de quelques secondes le silence revint, elle enfouit sa tête dans le cou de la guerrière en pleurant à chaudes larmes tandis que celle-ci et la scientifique observaient la colonne de feu s’élever dans le ciel en prenant la forme d’un champignon. Dans les casques de communication, la voix du chef de la sécurité de la plateforme s’éleva.
— Ça quoi ?
Reposant sa tête contre son fauteuil, Geol murmura.
— Ça ? C’est la fin de nos problèmes…
Annotations
Versions