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Après plusieurs heures de vol, et alors que le kérosène venait à manquer, les deux hélicoptères purent se poser en urgence sur le bateau de renseignement militaire français le Dupuy-de-Lôme*, et l’ensemble de leurs passagers furent conduit en quarantaine dans les soutes du navire où ils restèrent trois jours avant que leur soit apportées des tenues étanches qu’ils durent enfiler. Une fois habillés, les Septsnas et les trois femmes furent conduits à l’héliport du Dupuy-de-Lôme pour y découvrir deux hélicoptères différents de ceux qui leur avaient permis de rejoindre le navire, des modèles Sud-Aviation SA365 Dauphin* qui se ravitaillaient en attendant leurs passagers. Lorsque ceux-ci eurent embarqué, les deux engins redécollèrent, et Geol se pencha alors vers Allit et Michelle avant de donner de la voix pour se faire entendre malgré le bruit des moteurs.
— Vous avez noté que personne ne nous a adressé la parole depuis qu’on est arrivé, et qu’on ne sait même pas où on va.
Michelle acquiesça avant d’ajouter.
— Il faut se débrouiller pour rester ensemble.
Allit intervint.
— Oh, rassurez-vous, ils ne nous sépareront pas… Le protocole de rapatriement en cas de contamination NRBC* nous conduit dans la Creuse, dans un complexe souterrain près du Plateau de Millevaches*, pour nous mettre dans une cellule stérile dans laquelle ils essayent de réunir le plus de cas contacts possibles pour faciliter l’observation et la décontamination. Et en toute logique, si nos amis russes ne devaient pas être séparés, nous trois devrions être mis dans une cellule à part, pour éviter tout risque de viol notamment…
Les deux autres femmes ouvrirent de grands yeux surpris tandis qu’Allit s’adossait à son siège en murmurant.
— Et être ensemble sera un réel atout, croyez-moi.
Quelques heures plus tard, les deux hélicoptères se posèrent à Toulon sans que leurs passagers aient le droit d’en sortir, et les personnels de l’arsenal s’activèrent pour effectuer un ravitaillement en carburant, puis les rotors repartirent de plus belle pour arracher les engins à la gravité terrestre et reprendre leur chemin pendant une heure, avant d’atterrir au milieu des champs. Michelle et Geol dévisagèrent alors Allit qui, les yeux fermés, répondit en souriant.
— Je vous l’avais bien dit.
Les deux hélicoptères furent brièvement secoués tandis que l’herbe sur laquelle ils avaient atterri s’enfonçait lentement, et les deux engins descendirent sous terre au rythme d’un immense monte-charge dissimulé alors qu’au-dessus d’eux deux plaques d’aciers recouvertes de verdure venaient cacher le trou à la vue de tous. La plateforme s’immobilisa cinq cent mètres plus bas dans une ultime secousse et tout un escadron* d’hommes en armes pointa ses canons vers les passagers tandis qu’un groupe de scientifique s’approchait des engins dont les pales des rotors finissaient de s’immobiliser.
— Veuillez descendre et nous suivre sans opposer de résistance, je vous prie.
Geol fronça les sourcils avant de demander.
— Sommes-nous faits prisonniers ?
— Non, Lieutenant-Colonel, mais nous devons respecter les procédures ainsi que le protocole de mise en quarantaine.
— Alors pourquoi tous ces hommes en armes ?
— Parce que, aux vues du programme ayant provoqué la rupture de confinement des sujets et la contamination de la plateforme internationale, vous représentez tous un risque pour nous. Aussi, je vous saurais gré de bien vouloir collaborer. S’il vous plaît.
Geol s’apprêtait à exprimer le fond de ses pensées quand Allit posa une main sur son épaule.
— Faites ce qu’il vous demande, s’il vous plaît. Collaborer est ce que nous avons de mieux à faire pour le moment. D’autant que selon le protocole, les gardes ont pour consigne d’ouvrir le feu après la seule et unique sommation, et celle-ci vient juste d’avoir lieu…
La géante observa la scientifique quelques secondes, essayant de comprendre à quel jeu cette dernière pouvait bien jouer, quand Allit lui fit un bref clin d’œil la prenant par surprise. Après s’être rapidement ressaisie, l’officier Supérieure fit de nouveau face au laborantin et acquiesça, avant de sortir de l’engin en se dépliant de toute sa carrure, réalisant en tournant la tête qu’elle n’avait rien à envier à ses sauveurs russes. Une fois que tous furent sortis des véhicules volants, ils furent guidés par l’équipe de scientifique et escortés par autant de gardes armés que le couloir le permettait jusqu’à arriver à une grande salle blanche aux murs faits de vitres blindées et à l’intérieur de laquelle se trouvaient une vingtaine de lits ainsi que des armoires, des douches et des sanitaires. Passant une carte dans un petit lecteur magnétique noir aux côtés de la porte, le scientifique reprit.
— Messieurs, voici votre demeure le temps de la quarantaine. Le protocole est le suivant. Vous allez vous rendre aux douches pour vous y déshabiller et vous laver. Une fois que ce sera fait, vous trouverez une trappe le long du mur mitoyen avec les sanitaires dans laquelle vous mettrez toutes vos affaires et effets personnels, puis vous pourrez vous habiller avec les tenues rangées dans les armoires. D’ici une heure, de la nourriture et une télévision vous seront livrées. Avez-vous tout compris ?
— Da.
— Avez-vous des questions ?
— Net, mudak. *
Ses camarades rirent tandis que l’homme en blouse blanche haussait un sourcil dubitatif avant de reprendre.
— Bien… Alors, allez-y, et faites comme chez vous.
— Spasibo, i poshel na khuy, meshok s der'mom.*
Les hommes entrèrent dans la chambre en rigolant avant de se rendre dans les douches où ils commencèrent à se déshabiller tandis que la porte se refermait derrière eux dans un sifflement pneumatique tandis que le scientifique reprenait.
— Mesdames, si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre. Je vais vous conduire à votre chambre.
Le groupe fit cinq cents mètres de plus pour arriver dans une salle configurée de la même manière que la précédente, à l’exception du nombre de lits moins important permettant d’avoir à la place pour une table, quatre chaises et un coin cuisine. Alors que les femmes allaient entrer, le scientifique les arrêta de la main tandis qu’une femme dans la même tenue que lui leur apportait un plateau avec des seringues, un petit tuyau de caoutchouc et un lot de petits flacons qu’elle tendit à la professeur Allit. Celle-ci s’en saisit avant d’observer son guide et demander.
— Je dois nous prélever du sang ? Sérieusement ?
L’homme opina du chef.
— Juste après la douche. Simplement pour s’assurer que personne n’est infecté. Les Russes subiront le même traitement, mais je me suis dit que ce serait plus simple pour tout le monde si vous le faisiez vous-même. Après tout, non seulement vous savez le faire, mais en plus l’épreuve que vous venez de traverser a dû créer des liens entre vous qui rendront l’affaire moins désagréable.
— On parle d’une simple prise de sang, pas d’une opération à cœur ouvert. Enfin, si ça peut vous faire plaisir…
— Je vous remercie. Vous pouvez entrer.
Il s’écarta du passage et les trois survivantes entrèrent. Allit déposa le plateau sur la table puis alla rejoindre ses camarades dans les douches avant de s’arrêter.
— Il n’y a pas de parois ?
Les douches étaient collectives et composées de pommeaux dépassant des murs avec en dessous des mitigeurs pour en régler la température avec à leurs côtés des porte-savons dans lesquels trônait un petit bloc blanc. Geol émit un petit rire avant de répondre.
— Si vous craignez qu’on vous mate, vous ne risquez rien. Si vous craignez qu’on vous juge, nous pouvons nous laver face au mur, ou vous pouvez aussi attendre qu’on ait terminé, c’est comme vous voulez. Mais dans la mesure où nous allons cohabiter, je crains qu’il ne vous faille vous habituer à la situation… Savez-vous pourquoi il y a des douches collectives dans l’armée ?
— Euh… Non…
— À poils, plus de barrière sociale, ça rapproche et crée des liens.
Michelle rigola et Geol reprit.
— Non, pas ce type de liens, vicieuse ! Bref, faites comme vous voulez, mais moi, je vais me laver.
La géante entra dans les douches et lança l’eau pour qu’elle chauffe tout en se déshabillant, vite imitée par Michelle, et quand elles se glissèrent sous les jets d’eau en soupirant de soulagement et d’aise, Allit se décida à les rejoindre en se plaçant à l’autre bout du local. Quand elle fut enfin elle aussi sous l’eau, Geol reprit.
— Je propose qu’on s’appelle par nos prénoms et qu’on se tutoie. Moi, c’est Camille.
— Et moi Michelle.
Allit hésita avant de murmurer.
— Joséphine.
Camille sourit.
— Merci de jouer le jeu, Joséphine.
— Appelle-moi Jo, c’est ce que tous mes amis font. Et j’ai comme l’impression que mes seules amies, jusqu’à la fin de mes jours, ce sera vous…
Il y eut un blanc, puis Michelle prit la parole.
— Je voulais te dire, je suis désolé pour mon aventure avec…
Joséphine le coupa.
— C’est du passé, et je n’ai pas envie que tu retournes le couteau dans la plaie, d’accord ? Au lieu de nous focaliser sur des choses douloureuses, essayons de voir le plus joyeux. Certes, nous avons toutes les trois perdu l’homme que nous aimons, et d’horribles façons qui plus est, mais au moins nous sommes vivantes, et saines. Aucune de nous n’a été contaminée. Alors, profitons de cette douche bien chaude puis du repas qui nous sera servi, parce que, putain, je suis à bout de force…
Michelle, qui se tenait par les coudes contre le mur, y posa son front et se mit à pleurer doucement. Joséphine et Camille échangèrent un regard, puis la géante prit la jeune femme dans ses bras avant de s’asseoir contre le mur avec elle, avant d’être toutes les deux rejointe par Joséphine. Là, sur le carrelage et sous un jet d’eau bien chaude, les trois survivantes se laissèrent aller à pleurer et évacuer le surplus de tension, de stress et de douleur qui les habitaient depuis des heures tout en pleurant la perte de leurs camarades et de leurs amours. Une vingtaine de minutes plus tard, les larmes se tarirent, et au bout d’une demi-heure, Michelle brisa le silence.
— Si on finissait de se laver ? Je ne suis pas certaine qu’il y ait éternellement de l’eau chaude…
Les trois femmes rirent de bon cœur avant de se relever et de se laver, Joséphine restant cette fois-ci aux côtés de ses camarades de chambrée. Une fois rincée et leurs affaires sales jetées dans la trappe prévue à cet effet, elles sortirent enroulées dans des serviettes épaisses et se dirigèrent vers les armoires dans lesquelles elles trouvèrent des sous-vêtements, des survêtements et des chaussures qu’elles enfilèrent sans discuter, trop heureuses de porter des affaires propres et sèches, puis Joséphine tira une chaise avant de se saisir de la première seringue.
— Michelle, on commence par toi.
La jeune femme s’installa et retroussa sa manche tandis que Joséphine lui posait le garrot, pourtant ce fut dans son bras qu’elle planta la seringue tout en faisant un clin d’œil à sa patiente avant de murmurer.
— À ton avis, pourquoi ils veulent notre sang ? Mais j’ai promis à ton homme de tout faire pour enterrer le programme C-SET, et je compte bien tenir ma promesse.
Elle remplit quatre fioles avant de poser un pansement dans le pli du coude de Michelle, là où elle aurait dû piquer, puis étiqueta son matériel avant de reboucher la seringue pour en prendre une neuve. Elle prit ensuite du sang à Camille, et enfin s’en préleva une seconde fois de manière plus officielle, et attendit assise sur une chaise tandis que Michelle lui faisait des nattes pour s’occuper les mains.
Une heure plus tard, des personnes en tenue NRBC entrèrent dans la chambre en poussant un chariot.
— Mesdames, votre dîner en échange de votre sang.
Ils déposèrent les plateaux-repas tandis que Joséphine leur donnait celui contenant le sang, puis les trois hommes repartirent, laissant les femmes avec leurs cuisses de canard confites et leurs pommes de terre sautées.
Quelques heures plus tard, dans une salle d’analyse, une femme en blouse blanche s’approcha du scientifique qui avait guidé les survivants jusqu’à leurs nouveaux lieux de vie.
— Désolé professeur, mais même après quatre analyses, tout est négatif. Aucun porteur de la moindre souche C-SET.
Face à un écran sur lesquels se dessinaient des fonds marins, l’homme murmura au moment où une pince ramassait un corps n’étant plus composé que du tronc, du bras droit et de la tête.
— Avec de la chance, tout n’est pas perdu.
Il se pencha vers l’écran pour observer la tête de plus près en souriant. Il restait une moitié de visage humain, mais le côté gauche semblait fait d’une chitine à l’aspect métallisé, et l’œil droit avait laissé place à un triangle partant de l’arête du nez jusqu’à la pommette gauche avant de remonter de quelques centimètres puis revenir à son point de départ. Son sourire s’élargit alors que le robot sous-marin remontait lentement avec sa prise.
— Oui, tout n’est pas perdu…
Le Dauphin est un hélicoptère de transport léger construit par Aerospatiale à partir de 1972. Il est utilisé pour des missions de transports de troupes (jusqu’à 10 passagers), transports « VIP » et de sauvetage en mer.
NRBC : Nucléaire – Radiologique – Bactériologique – Chimique
Plateau de Millevaches : Le plateau de Millevaches (en occitan Miuvachas), parfois appelé « Montagne limousine », est un grand plateau granitique français situé en Nouvelle-Aquitaine, dans l’historique Limousin, dont il constitue la partie la plus élevée. Il s’étend pour sa majeure partie sur un large quart nord-est du département de la Corrèze, occupe aussi le quart sud de la Creuse et déborde sur l’extrême sud-est de la Haute-Vienne.
Formant la bordure nord-occidentale du Massif central, il occupe la partie orientale des monts du Limousin et domine les plateaux et monts de la Marche au nord, le plateau de la Courtine et les Combrailles à l’est, la vallée de la Dordogne et le haut plateau corrézien au sud et les bas plateaux du Limousin à l’ouest. D’une altitude globalement comprise entre 500 et 900 mètres, il culmine à 976 m au mont Bessou. Il est parfois surnommé « le château d’eau de la France » en raison de ses lacs et tourbières et des nombreux cours d’eau qui y prennent leur source, dont notamment la Vézère, la Vienne, la Corrèze et la Creuse.
Créé en 2004, le parc naturel régional de Millevaches en Limousin s’étend sur la totalité du plateau et plusieurs territoires voisins.
C’est aussi un site d’entraînement de manœuvre en campagne de l’Armée Française et d’entraînement aux manœuvres de dépose et d’extraction en hélicoptère.
Escadron : Rassemblement de pelotons au sein d’une même entité commandée par un Capitaine ayant la fonction de Commandant d’Unité. Contient entre deux cent cinquante et quatre cents personnels.
Net, mudak : Non, abruti – En Russe dans le texte
Spasibo, i poshel na khuy, meshok s der'mom : Merci, et vas bien te faire enculer, sac à merde — Toujours en Russe dans le texte.
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