Chapitre XIII
Au réveil, Jacky se trouvait en position cuillère contre Iris, la main posée sur son sein. Il l'embrassa tendrement dans le cou en lui chuchotant à l'oreille :
— Bonjour madame...
— Bonjour... miaula-t-elle en ouvrant les yeux.
La menotte baladeuse descendit jusqu'à la hanche. Iris se cambra langoureusement. Prenant cela pour une invitation, Jacky glissa vers son mont de Vénus et se sentit raidir. En l’absence d’objection, il se redressa et enchaina sur une levrette passionnée.
— Tu tiens la forme, dis-donc... Deux fois dans la même nuit, ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé ! minauda Iris après leur étreinte.
— Moi aussi... Pour tout te dire, même une fois dans la nuit, ça faisait une éternité ! plaisanta Jacky à bout de souffle.
Il l'embrassa encore avant de se lever pour préparer le petit-déjeuner.
— Tu sais où est la salle de bain, lança-t-il avec un sourire. Tu trouveras des serviettes propres dans le meuble sous le lavabo.
Il alla nourrir les poules pendant que le café coulait. De retour dans la cuisine, Iris apparut rayonnante pendant qu'il grillait le pain de la veille. Sa crinière cendrée était encore plus belle détrempée. Alors qu'ils s'installaient à table, Jacky semblait gêné, il avait perdu son bagou de boute-en-train. Devinant son embarras, Iris lui facilita la tâche.
— Allez, va... On a passé un bon moment entre adultes, voilà tout. T'inquiète, je n'attends rien de toi, surtout pas un numéro de téléphone qui sera erroné demain ! badina-t-elle en se jouant des recommandations d'Alfred de Musset.
Un peu honteux mais soulagé, Jacky sourit en plongeant dans ses yeux noisettes. L'indépendance que cette femme affichait la rendait irrésistible. Celles qu'il avait connues auparavant étaient certes de parfaites ménagères, dociles et attentionnées, mais d'un ennui mortel ! Voilà sans doute pourquoi Jacky Pavé n'avait jamais convolé en justes noces. Iris se leva en regardant sa montre :
— Il faut que je file, je suis déjà en retard...
— Tiens, emporte donc cette quiche, elle n'a pas été touchée et je n'en viendrai pas à bout tout seul avant le départ...
Iris était végétarienne mais n'eut pas le cœur de refuser, elle trouverait bien quelqu'un à qui la refourguer. Elle enfila sa veste, l'embrassa sur le seuil et fila. Jacky fit un signe de la main puis, lorsque la voiture disparut dans le virage au bout du chemin, il referma la porte sur cette aventure qui l'avait chamboulé plus qu'il ne voulait se l'avouer. Balayant d'un hochement de tête les prémices d'une mélancolie tout à fait inopportune, il décida de boucler son sac. Une dernière fois, il en inventoria le contenu d'après la liste confiée par Yves.
Un pantalon gore-tex, un short, deux tee-shirts, deux caleçons, deux paires de chaussettes, une chemise légère à manches longues, une veste polaire, un poncho imperméable, un chapeau Barmah, une paire de chaussures de randonnée, une paire de sandales, un nécessaire de toilette, une serviette microfibres, vingt mètres carrés de moustiquaire, une bâche plastique épaisse à œillets de six mètres par quatre, un filtre à eau de l'armée américaine dégoté par Yves sur internet pour trois cent cinquante dollars, un hamac, un canif multifonctions, un couteau de survie, une machette "coupe-coupe", souvenir des années légion pour laquelle Yves avait refusé le moindre sou, une pierre à aiguiser, une boussole topographique à plaquette, du fil de pêche et des hameçons, quatre boîtes de comprimés de purification de l'eau, cent mètres de ficelle, cinquante mètres de cordelette, une pierre allume-feu automatique, une popote complète de camping, un poêle rocket fabriqué avec l’aide de Yves, une gourde, une trousse de premiers secours, une boite de clous de charpentier, un marteau, une scie égoïne. Enfin, constatant que la poche sommitale était encore presque vide, il y ajouta six cahiers d'écolier quatre-vingt-seize pages et trois crayons.
Jacky équilibra le tout au mieux dans son Deuter quatre-vingt-cinq litres en laissant de côté un caleçon, une paire de chaussette, un tee-shirt, la veste polaire et les chaussures de randonnée qu'il porterait pendant le voyage. Après l'avoir soupesé, il enfila péniblement ce sac gargantuesque, puis ajusta les bretelles et la ceinture ventrale. En se contemplant dans le miroir de l'armoire de salle de bain, il constata qu'il ressemblait plus à Obélix portant son menhir qu'à Robinson Crusoé. Qu'à cela ne tienne, nul besoin de potion magique pour croire en lui. Debout sur la balance, il contempla l'afficheur : cent-neuf kilos. Il posa le monstre au sol dans un soupir de soulagement et grimpa de nouveau. Quatre-vingt-huit, tout habillé. Il allait devoir se trimbaler vingt-et-un kilos d'enfer pour atteindre le paradis et assouvir son rêve... Sans compter le plein d'eau et quelques provisions qu'il leur faudrait faire à Cayenne !
Après quelques restes de la veille grignotés sur le pouce et une sieste dans le fauteuil du salon, l’heure était aux adieux sur Facebook. Jacky s'installa devant l'ordinateur avec un café et commença par demander en amis les membres du collectif ainsi que Bébert. Puis il ouvrit son éditeur pour relire le texte une dernière fois, modifia quelques tournures, chassa les périphrases inutiles, supprima trois répétitions si flagrantes qu'il s'étonna de ne pas les avoir repérées plus tôt, enrichit le champ lexical... Il reprit du début, affina la ponctuation, relut encore et encore jusqu'à parcourir le post dans son intégralité sans modifier la moindre virgule. Il sut alors qu'il tenait la version définitive de son pamphlet.
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