Chapitre XXIX
Vers huit heures, Bébert et Françoise retrouvèrent la joyeuse troupe en gare de Reims. Aucune chance de passer inaperçus mais après tout, c’était le but… Nadège portait une longue robe de mousseline vert grenouille, ornée de runes elfiques et de tulles de soie. Soucieuse du détail, elle s’était pourvue de fausses oreilles en pointe et d’un diadème doré. Gaëlle arborait un déguisement « Flower Power » : pantalon pattes d’eph vert flashy, imprimé de marguerites multicolores ; décolleté, gilet et bandeau de cheveux assortis, le tout sublimé par des lunettes John Lennon rose bonbon. Michel s’était taillé un costume à la mesure de son embonpoint dans des rouleaux de gazon synthétique. Il en était recouvert des pieds à la tête et ressemblait à la mascotte d’une célèbre société de crédit. Six kilos de plastique tout de même ! La thématique du retour à la Terre en prenait un coup mais la bonhomie de ce retraité farfelu vous enjoignait à l’absoudre de ce sacrilège. Jessica et sa morphologie de rêve pavanaient en Lara Croft : mini short et brassière treillis, mitaines, cheveux acajou nattés dans le dos, ainsi que deux révolvers factices sanglés aux cuisses. Quant à Iris, elle se la jouait aborigène : elle avait transcendé la jupette et le soutien-gorge en paille, confectionnés la veille chez Jacky, en noircissant l’intégralité de sa peau à la suie, avec des touches ornementales blanches en surimpression sur le visage. Seul Simon restait dans la sobriété avec la combinaison vert kaki qu’il utilisait pour le jardin, agrémentée d’un « JE SUIS JACKY » au marqueur noir dans le dos. À côté de toutes ces tenues d’apparat, les gilets « viticoles » confectionnés par Françoise pour elle et son protégé, bien que très réussis, passaient presque inaperçus.
— Eh ben… On aura de la chance si on arrive jusqu’à République sans se faire coffrer ! lança Bébert amusé.
Tout le monde accueillit cette remarque avec le sourire et ils se dirigèrent vers les quais pour embarquer. En poinçonnant les billets, le contrôleur dédaigneux détailla cette bande d’hurluberlus et leurs pincements de lèvres contenus. Il semblait presque déçu qu’ils soient en règle. N’y tenant plus, toute l’équipe éclata de rire à l’unisson alors qu’il s’éloignait… des collégiens prépubères auraient affiché plus de retenue. Durant le trajet, les discussions filèrent bon train, presque aussi vite que les traverses de voie défilant sous leurs fesses. Les potins entre filles et les échanges sur l’actualité croisaient les élucubrations sur la situation d’Yves et Jacky à l’instant T, le tout dans un brouhaha tonitruant. Indignés, la plupart des voyageurs changèrent de wagon, à l’exception d'un couple que l'extravagance de ce groupe d'écervelés semblait amuser.
De la gare de l’est, ils empruntèrent d’abord le faubourg Saint-Martin, puis bifurquèrent sur le boulevard de Magenta pour rejoindre la place de la République à pieds. Gaëlle, qui avait grandi à Bagnolet, marchait en tête avec Nadège et leur servait de guide. Place Jacques Bonsergent, alors qu’ils s’accordaient une pause à la terrasse d’un café, ils constatèrent que les camarades de lutte seraient légion en cette journée de mobilisation générale. Des dizaines de cohortes telles que la leur descendaient le boulevard.
— Il est à peine dix heures et ça déboule de tous les côtés, remarqua Iris. Ça va être énorme ! Le cœur de l’action, ça se passe toujours au pied de Marianne et de son piédestal. Si on ne veut pas être trop loin, faut pas traîner les copains !
Tout le monde approuva et après avoir payé leurs consommations, ils se rallièrent au flux de manifestants en direction de République. Comme à son habitude, Bébert fermait la marche le nez en l’air en admirant l’architecture Haussmannienne. Soudain, une main sur son épaule le sortit de sa rêverie. Surpris, il fit volte-face et reconnut aussitôt le couple du train. La femme était au téléphone :
— Oui, à l’angle du boulevard de Magenta et de la rue de Lancy. (…) Ok, terminé.
Le mec lui présenta un badge. Le sceau « République Française » surplombant les initiales DGSI sur une plaque argentée frappa Bébert de stupéfaction.
— Loïc Rollman, Sécurité intérieure. Et voici ma coéquipière, Lisa Grandeau. Nous avons quelques questions à vous poser. Veuillez nous suivre s’il vous plaît.
— Mais… Je n’ai rien fait de m…
— Allons monsieur, pas d’esclandre. Ce ne sera pas long.
Les deux agents escortèrent Bébert jusqu’à un véhicule de police qui venait de s’arrêter à leur hauteur. Il eut à peine le temps de croiser le regard de Simon qui, tout à son empathie, venait de se retourner pour attendre le retardataire. La sirène retentit et dans un crissement de pneus rocambolesque, la voiture fit demi-tour et fonça vers l’inconnu.
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