/1/ Nouvelle ville, nouvelle vie

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« Welcome to Demon Wood

Siuslaw National Forest

Oregon »

J’observe le panneau défiler à toute vitesse par ma fenêtre en me disant que son nom était vraiment mal choisi. Cet endroit est absolument ma-gni-fique. J’ai la sensation d’être dans un film ! Les feuilles des arbres sont d’un vert éclatant, le ciel légèrement caché par les branches est d’un bleu azur, la route a l'air neuve, … Tout est beau, que dire de plus !

Je roule les fenêtres grandes ouvertes dans ma vielle citadine grise, direction ma nouvelle vie. Chaque kilomètre semble m’éloigner un petit peu plus de mon passé et bon dieu que ça fait du bien !

« You don't own meeeee
I'm not just one of your many toys
You don't own meeeeee
Don't say I can't go with other boys

Doooooooooon't tell me what to dooooooooo
And dooooooooon't tell me what to say
Please, when I go out with yoooooou
Dooooon't put me on display »

Je balance ma tête d’un côté à l’autre à chaque phrase en appuyant sur la pédale d’accélérateur. J’atteins doucement les 70 miles à l’heure, seule sur cette magnifique route, bercée par la voix de Grace et son rythme hypnotisant, chantant comme si rien ne pouvait m’arrêter.

Je suis libre. Je le sens de mes pieds jusqu’aux extrémités de mes cheveux. Une sensation de bien être, sorte de drogue dont je ne pourrai jamais me lasser, plénitude indescriptible rendant l’impossible accessible et le malheur inimaginable. Je suis forte, indépendante, immortelle,… »

« … en excès de vitesse. La limite est à 70 miles à l’heure, vous étiez à 80. »

Arrêtée sur le bord de la route, je fais ma tête de chienne battue. « Désolé monsieur, je viens de traverser l’Idaho et la limite était à 80, j’ai dû avoir le pied un peu trop lourd… » J’en profite pour lui montrer mes papiers comme il me l’a demandé.

L’homme en uniforme beige semble plutôt réceptif à ma tristesse. Je vois bien qu’il n’a pas l’air bien méchant, alors j’essaye de jouer la carte de l’honnêteté. Disons que c’est toujours mieux que le classique « Oh bah j’ai pas vuuuuu. » que sortent les gourdes à forte poitrine en sachant pertinemment que leur interlocuteur allait être plus occupé à reluquer leurs formes plutôt que d’écouter ce qu’elles pouvaient déblatérer.

Il soupire. Je me retiens de sourire, comprenant que j’ai gagné ce duel ! Puis en plus on peut pas dire qu’il montrait l’exemple, il devait aller au moins à 100 miles, et ça sans les gyrophares ! Lui il risque pas de se faire contrôler en même temps…

« Vous allez où madame ?

— Oddly Bay »

Ses sourcils se froncent, puis il regarde sa montre, comme pour vérifier qu’il se trouvait bien dans le monde réel.

« Pourquoi faire ? »

Mais c’est quoi cette question ? Je peux encore aller où je veux sans qu’on me pose de questions ! Je me suis pas barrée de Chicago pour qu’on continue de m’espionner !

« Hé bien… Je vais emménager. »

Il regarde l’arrière de ma voiture comme pour vérifier que je dis la vérité. Je suppose que c’est son boulot quelque part. Et en apercevant mes valises et quelques meubles empilés à l’arrache sur mes sièges rabattus, je suppose que ça lui fait une bonne preuve. C’est alors qu’il sourit, très légèrement, en haussant les sourcils une nouvelle fois. On parle pas la même langue ou alors je dis quelque chose de stupide sans m’en rendre compte ?

« Vous êtes sûre ? »

Non, mais il me prend pour une conne où je rêve ?

« Oui… ?

— Je dis ça parce que personne ne va jamais à Oddly Bay. Les gens trouvent notre village plutôt… Odd (étrange)… On n’a jamais de touristes, et encore moins de nouveaux habitants. »

Comment ça "on" ? Donc ma première rencontre avec un habitant de ma nouvelle vie, c’est au bord de la route alors qu’il vient de m’arrêter… Génial.

« Sans indiscrétions, je peux savoir ce que vous venez faire à Oddly Bay ? Je me permets de vous demander, en tant que capitaine, j’aime à connaître tous les habitants. »

Capitaine ? Pourtant il n’est pas bien vieux. La trentaine peut-être. Sous son chapeau, je vois qu’il a les cheveux rasés sur les côtés et un peu plus longs sur le dessus -comme 50% des hommes aujourd’hui maintenant que j’y pense-. Il est brun et je ne peux pas voir ses yeux sous ses lunettes de soleil. Son visage n’est pas déplaisant, on sent qu’il fait du sport, mais que son physique lui importe peu, à en juger par sa barbe de trois jours mal rasée sur sa peau blanche.

Je prends le temps d’enregistrer son visage. Connaître le capitaine de ma future ville -ou devrais-je dire village ?- c’est plutôt important.

« J’ai besoin de changement. Chicago, pour une amoureuse de la nature, c’est pas forcément le meilleur endroit, vous comprenez ? »

Il me regarde vraiment comme si j’étais un animal inconnu. Une sorte d’extraterrestre peut-être. Une nouvelle espèce qui arrivait dans sa ville et qui risquait de foutre le zouk. Si c’est ce qu’il pense, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Plus calme et bonne citoyenne que moi, vous trouvez pas -sans vouloir me vanter-.

« Je vois… J’aimerais vous dire de faire demi-tour, mais si vous venez de Chicago, je suppose que votre choix est définitif. »

C’est pas terrible comme façon d’accueillir les étrangers.

« Si jamais vous avez besoin d’aide, le commissariat se trouve dans la rue principale. Bon emménagement. Et bienvenue parmi nous, mademoiselle… ?

— Turner. Emily Turner.

— Hé bien enchanté, madame Turner. »

J’ai à peine le temps de voir un "William" sur la petite plaque en fer de sa veste qu’il se redirige vers sa voiture, une vielle mustang des années 70. Plutôt atypique. Il s’est contenté de mettre des gyrophares sur le toit. Je vérifie quand sa voiture passe à côté de moi, mais il n’a même pas écrit "Police" dessus. Est-ce que c’était bien un flic ? J’espère ne pas m’être fait repérer par une sorte de malade mental.

Je tourne la clé dans le contact et remets ma musique. Je tourne le rétroviseur pour me regarder. Mes cheveux marron -plus proches du noir que du marron à vrai dire- m’arrivent au niveau du cou et ma mèche couvre toujours une partie de mon front sur ma gauche. Mes yeux noisette ont l’air légèrement fatigués, j’ai tellement conduit en même temps, rien d’étonnant. Une bonne nuit de sommeil dans un bon lit ne me fera pas de mal.

J’ai 23 ans. Mais pour une raison inconnue, j’ai l’impression d’avoir le même visage qu’à mes 19 ans. Ce qui peut sembler être un avantage se révèle vite pénible, surtout quand je dois sortir ma carte d’identité dès que je veux acheter des bières -non pas que ça arrive tous les jours, mais quand même-.

En voyant mon sweat orange, je décide de l’enlever, me tortillant dans ma voiture. Après l’hiver violent qu’on a eu, tout le monde profite de cette chaleur si agréable qui revient petit à petit. M’enfermer avec la clim et mon sweat n’est donc clairement pas la meilleure chose à faire, et cela encore moins d’un point de vue écologique.

On the road again, je fais cette fois attention à ne pas dépasser la limitation. Mais ce petit incident ne va pas m’empêcher de profiter de ma nouvelle vie ! Pourtant ses mots reviennent dans mon esprit à plusieurs reprises. Je commence à me demander si je vais être la bienvenue là-bas. Peut-être n’aiment-ils pas les étrangers ? Une sorte de village de consanguins qui font fuir les nouveaux arrivants à coup de fourche ?

Dans quoi je me suis embarquée moi…

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