Chapitre 3
Le ciel était bas et gris, une lourdeur pesant sur l'horizon. Archie marchait lentement sur le trottoir, son sac pendu mollement à son épaule, son corps aussi fatigué que son esprit. Il n'y avait plus aucune énergie en lui pour accélérer le pas, pour tenter de fuir le monde qui semblait ne jamais vouloir le laisser tranquille. Chaque pas résonnait dans sa tête, comme un rappel de la journée interminable qu’il venait de traverser.
Il se sentait comme une silhouette effacée, floue, disparaissant parmi les ombres du monde qui l’entourait. Chaque sourire croisé semblait être une illusion, chaque regard qui passait sur lui une condamnation silencieuse. Pourquoi diable était-il toujours seul ? Pourquoi rien ne semblait-il jamais changer, pourquoi ne parvenait-il jamais à se libérer de ce fardeau qui l’étouffait ?
Le vent frais soufflait sur son visage, mais il n'arrivait pas à se sentir apaisé. Le contact du vent sur sa peau, au lieu de lui apporter un peu de réconfort, le rappelait seulement à sa condition. Il n'y avait rien, absolument rien, pour alléger ce poids. Il en avait marre de tout ça. Il en avait marre.
Les maisons défilaient autour de lui, toutes pareilles. Des rues qu’il connaissait trop bien, mais qu’il regardait toujours comme un étranger. Il n'y avait pas de chaleur, pas de lumière dans ce coin de la ville. Juste des pierres et des fenêtres fermées, et lui, perdu au milieu de tout cela. Il s’arrêta un instant devant une ruelle, le regard plongé dans la grisaille du paysage urbain, ses mains serrées autour des lanières de son sac. Son cœur battait plus fort dans sa poitrine, comme un tambour de guerre qu’il ne pouvait ignorer.
"Pourquoi tu fais ça ?"
Les mots de Kenny revinrent à son esprit, comme un écho cinglant. "T’es vraiment un déchet." Ce n'était pas nouveau. Archie savait ce que cela signifiait. Mais ces mots semblaient aujourd’hui plus lourds qu’ils ne l'avaient jamais été. Il avait l'impression qu'ils s’étaient enfoncés dans sa peau, qu'ils avaient pris racine dans ses veines, rongeant tout ce qui pouvait encore ressembler à de l’espoir. Ses jambes se dérobaient sous lui. Pourquoi se battre pour un monde qui ne voulait pas de lui ? Pourquoi se relever encore et encore, quand chaque effort se heurtait à un mur invisible ?
Il s’éloigna de la ruelle, sans un regard en arrière, mais chaque pas semblait plus difficile que le précédent. Le monde autour de lui s’était rétréci, comme si tout devenait de plus en plus lointain, de plus en plus flou. Les bruits de la rue, les voix, les voitures qui passaient, tout cela se confondait en un seul bourdonnement lointain, un bruit de fond qu’il ne parvenait plus à distinguer.
En approchant de chez lui, l'odeur de la ville s'intensifia : le ciment, la poussière, un parfum de solitude qui imprégnait l’air. Il tourna à l'angle de la rue et aperçut sa maison au bout. Son refuge. Mais il savait qu’une fois à l’intérieur, ce serait pareil. Le silence accablant de l'intérieur, les murs qui semblaient l’étouffer davantage chaque jour. Rien n'allait jamais changer. Sa mère, son père… tout était aussi glacé que l’extérieur. Aucun mot réconfortant, aucune main tendue. Un silence lourd qui semblait n’avoir aucune fin.
Il s’arrêta devant la porte, les yeux baissés. "Juste un peu de paix," pensa-t-il. Mais la paix ne venait jamais. Parce que chaque jour, tout cela recommençait. Les moqueries, les regards pleins de dégoût, les gestes qui le repoussaient plus loin. Chaque jour, il se sentait plus invisible, plus insignifiant.
Le poids de la journée, de sa vie, pesait sur lui plus lourdement que jamais. Il baissa la tête, et pour la première fois de la journée, une larme solitaire roula sur sa joue. Mais il n’en essuya aucune. Au contraire, il la laissa couler. Parce qu’au fond, qu’est-ce que cela changeait ?
Les portes du garage s'ouvrirent dans un grincement familier. Archie se força à marcher plus vite, le son de ses pas résonnant dans le vide de la maison. Il s'arrêta un instant avant de pénétrer dans l'entrée, respirant profondément pour tenter de chasser la lourde sensation de nausée qui lui tordait l'estomac. Mais il savait, au fond de lui, que le silence de la maison ne durerait pas longtemps. Ses parents étaient là, et il allait devoir répondre à leurs questions.
"Alors, mon chéri, comment ça s'est passé à l'école aujourd'hui ?" La voix de sa mère, douce mais emplie d'une fausse légèreté, se fit entendre avant même qu'il ne passe la porte de la cuisine. Il la vit assise à la table, ses cheveux encore humides après une journée de travail. Elle lui sourit, mais Archie savait que ce sourire n'était qu'un masque. Elle savait, comme lui, que quelque chose n’allait pas, mais aucun d’eux n'osait en parler.
Il s'arrêta dans l'entrée, son regard fuyant, cherchant quelque chose à dire.
"Ça va," répondit-il enfin, sa voix plus faible qu’il ne l’aurait voulu. "Tout va bien." Ce n’était qu’un mensonge, et pourtant il le disait si souvent qu’il n’en ressentait même plus la honte. C’était devenu automatique. Une réponse en surface. Mais son cœur, lui, battait plus vite, et il sentait la pression de ses parents qui attendaient plus de lui.
Son père entra dans la cuisine à ce moment-là, jetant un coup d’œil vers Archie.
"Alors, fils ? Pas trop de problèmes aujourd’hui ?" La question était posée comme une interrogation anodine, mais Archie savait qu'il y avait une certaine insistance dans la voix de son père. Il n'y avait aucune trace de chaleur dans son regard. Pas de tendresse, juste l'habitude d'une question à laquelle il n’attendait jamais de réponse honnête.
"Non, tout est normal," mentit Archie une nouvelle fois, en s'efforçant de paraître détendu. Mais chaque mot semblait plus difficile à prononcer que le précédent. Il n’avait pas envie de leur expliquer qu’il avait passé une autre journée à être la cible de moqueries, de boules de papier, de rires étouffés dans les couloirs.
"Je vais dans ma chambre," ajouta-t-il rapidement, ne voulant pas prolonger cette discussion vide. Sa mère hocha la tête sans insister.
Lorsqu'il monta les escaliers, le poids du mensonge l’écrasait de plus en plus. Chaque pas le rapprochait de sa chambre, de cet endroit où il pouvait enfin être seul avec ses pensées. Il ferma la porte derrière lui et s’affala sur son lit, le regard perdu dans le vide. Il savait que ses parents n'avaient jamais vraiment compris ce qu'il vivait. Ils voyaient un enfant tranquille, bien éduqué, sans comprendre qu’il se noyait dans une mer d’obscurité.
Il se tourna sur le côté, attrapant son carnet posé sur la table de nuit. Il l’ouvrit, sans réfléchir, et se mit à écrire. Les mots coulaient en lui, presque comme une nécessité. Il ne pouvait plus garder tout ça en lui. "Quatre ans," écrivit-il, les doigts tremblants. "Quatre ans à me faire détruire par des gens que je connais à peine, à sourire quand ça fait mal, à faire semblant que tout va bien. Quatre ans à vivre dans un monde où je ne suis rien d’autre qu’une ombre, une blague, une proie." Ses pensées se bousculaient, et il se laissa emporter par le flot. "Je suis fatigué. Fatigué de mentir. Fatigué d’espérer que ça s’arrête."
Chaque ligne semblait se charger de douleur, chaque mot une libération amère. "Ils ne me voient pas. Personne ne me voit. Et je ne sais pas combien de temps je pourrai encore porter ce masque. Ce fardeau. Quatre ans… je me demande combien de temps encore je vais pouvoir continuer à faire semblant."
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