Chapitre 5

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Le matin se levait, semblable aux autres. Les rideaux de sa chambre étaient à peine tirés, laissant passer une lumière grise et froide qui se répandait dans la pièce, comme un voile de tristesse. La pluie tombait légèrement sur les vitres, battant doucement contre le verre, un bruit presque apaisant. Mais Archie savait que ce calme n'était qu’une illusion. Tout allait très mal, et il le sentait dans ses os. La nuit n’avait pas été meilleure que les autres. Chaque nuit, son esprit tournait autour du même tourbillon d’angoisse, et chaque matin, il se levait avec la même douleur. Cette journée ne serait pas différente.

Il se leva lentement de son lit, ses pieds glissant légèrement sur le sol froid. Il se dirigea vers le miroir, comme s’il espérait s’y voir différent, mais il ne pouvait que contempler un visage épuisé, marqué par la peur et la fatigue. Il se frotta les yeux, se forçant à se réveiller. Le visage qui lui renvoyait le regard n'était pas le sien. C'était celui d'un étranger, d'un jeune homme qui n'avait plus d'espoir. Avec un soupir lourd, il enfila son uniforme scolaire, les gestes mécaniques. Il n’avait plus la force de se rebeller, plus la force de se soucier de ce que les autres pensaient de lui. Il savait que quoi qu’il fasse, les autres le verraient toujours comme un punching-ball, une proie facile.

En descendant les escaliers, il croisa sa mère qui était en train de préparer le petit-déjeuner. Elle lui adressa un sourire fatigué, mais il n'eut pas la force de répondre. Il attrapa un croissant sur la table, mordant dedans sans y penser, le goût sucré et sec lui faisant presque mal. Ses mains tremblaient légèrement, mais il essaya de les cacher sous la table. Il n’osait même plus la regarder dans les yeux. Elle savait, mais ne disait rien.

"Tu t’en sors à l'école ?" demanda-t-elle, sans grande conviction. Archie n'osait pas répondre. "Tu as bien mangé ce matin ?"

Il hocha la tête, prit son sac à dos et partit, sa mère ne posant même pas la question suivante. Elle savait que la réponse serait la même, comme toujours. L'air frais de l'extérieur le frappait, mais il n'avait pas l'énergie de le savourer. Le trajet en voiture jusqu’au lycée lui parut interminable. Le regard vide, il fixa les rues défilant devant lui, tout en sachant au fond de lui que la journée serait une torture. Il aurait aimé disparaître, échapper à ce monde, mais tout ce qu'il pouvait faire, c'était avancer.

Une fois arrivé au lycée, l'angoisse lui serra la gorge. Le hall d'entrée était bruyant, rempli des voix des autres élèves. Mais ce brouhaha ne l'apaisait pas. Au contraire, chaque rire, chaque chuchotement semblait le frapper de plein fouet. Ils allaient encore se moquer de lui. Il sentait leurs yeux sur lui avant même qu’il ne les voie. Il n’avait même pas la force de les ignorer.

Alors qu’il se dirigeait vers son casier, il aperçut les affiches sur les murs. Il s’arrêta net, son cœur battant la chamade. Les couleurs vives des papiers collés sur les murs lui frappèrent le visage comme des éclats de verre. Il s'approcha lentement, son estomac se nouant. Il n'osait pas y croire, mais il savait déjà que c'était réel. Des affiches avec sa photo, son adresse, son numéro de téléphone. Il pouvait voir des mots comme "Appelle-moi si tu veux", "T'es un pauvre loser", et des flèches pointant vers sa maison. Chaque affiche semblait une marque de plus sur son âme, un rappel de son humiliation.

Un éclat de rire résonna à ses côtés.

"T'as vu ça ? Le loser du coin, tout le monde sait où il habite maintenant !" La voix était aigre, moqueuse. Il tourna la tête et aperçut quelques élèves qui se tenaient près des casiers, des sourires cruels sur leurs visages. Un autre éclat de rire suivi d’un "Bien joué, mec, t’es célèbre maintenant !" Archie ne savait pas où regarder. Il s’accrocha à l’affiche, comme une bouée de sauvetage, son souffle devenu saccadé.

"C'est quoi ton problème, Archie ? T'as vraiment cru que tu pouvais nous échapper ?" La voix perça l’air, celle de Kenny. Archie tourna lentement la tête et aperçut Kenny, là, avec ses amis, qui le fixaient, attendant une réaction. Kenny avait ce sourire détestable sur le visage, mais quelque chose dans ses yeux était différent. Pour un instant, Archie crut voir une lueur de doute dans son regard, mais c’était rapide, à peine perceptible.

Il se pencha pour arracher l'affiche avec frénésie, son cœur battant plus fort que jamais. Mais les rires autour de lui ne s'arrêtaient pas. Il entendait les moqueries, les chuchotements, les photos qui se prenaient. Tout était devenu public. Son numéro, son adresse, son nom. Même chez lui, il ne serait plus en sécurité. Ils avaient tout pris.

"Arrête, arrête de faire ça," murmura Kenny, sa voix plus basse. Mais Archie n’entendait plus vraiment. Il était trop loin, trop submergé par la honte et la peur. Ses mains tremblaient alors qu’il déchirait les affiches une par une, essayant de récupérer une partie de ce qu’il pensait avoir perdu. Mais il savait que c’était trop tard. Le mal était fait. Ils l’avaient brisé.

"T'es juste un putain de loser, Archie," insista Kenny, s'approchant cette fois, son regard de plus en plus dur. Mais son ton changea légèrement, comme s’il pesait ses mots. "T'as aucune chance de t’en sortir. Pas maintenant."

Archie leva les yeux vers lui, se sentant épuisé, vidé. Il aurait voulu répondre, mais rien ne sortait de sa bouche. Il aurait voulu crier, courir, tout effacer, mais il était figé.

"Tu crois que tu peux tout effacer comme ça, hein ?" continua Kenny, ses yeux se durcissant. Il aurait dû être cruel, mais il y avait cette étincelle, ce doute, dans son regard. Il s'éloigna sans un mot, laissant Archie seul, parmi les rires des autres, la rage et la honte le rongeant de l'intérieur.

Alors qu'il se tenait là, avec les débris des affiches en morceaux dans ses mains, Archie savait une chose : même chez lui, il ne serait plus tranquille.

Le bruit des messages qui vibrèrent dans sa poche se mêla à la douleur de ses pensées. Il hésita une fraction de seconde avant d’ouvrir son téléphone, son cœur battant plus vite. Il savait ce qui l'attendait. Des centaines de messages, tous plus cruels les uns que les autres, s’affichaient sur son écran. Mais parmi ce flot d’insultes, il aperçut un message qui fit froid dans son dos. Kenny. Il n’avait jamais été plus qu’un ennemi pour Archie, le harceleur constant, le monstre invisible qui le pourchassait tous les jours.

Le message était sec, incisif, froid comme une lame de couteau : "T'es vraiment qu'une merde. Ils ont raison, t’es qu'un sous-homme, un faible." Kenny ne s'était jamais contenté d’être un simple bourreau. Il était celui qui s’assurait que les autres le suivent, celui qui jetait de l’huile sur le feu à chaque occasion. Mais cette fois-ci, ce message n’était pas comme les autres. "T’as pas compris ? Personne ne veut de toi ici."

Archie ferma les yeux un instant, la gorge nouée. Ses mains tremblaient alors qu’il regardait l’écran, dégoûté par la haine qu’il y trouvait. Kenny, son premier harceleur, celui qui l’avait persécuté dès le premier jour, celui qui l'avait transformé en une cible. C’était lui, encore, qui envoyait ces messages. Il se sentit soudainement minuscule. L'humiliation qui pesait sur lui était encore plus lourde quand elle venait de Kenny. Lui qui était à la source de tout, de son calvaire, de son existence réduite à rien.

Dans le couloir, il aperçut Kenny à travers la fenêtre de la porte. Ce dernier se tenait là, entouré de ses amis, tous riant, se moquant de lui comme toujours. Mais il y avait quelque chose de différent aujourd'hui. Kenny ne riait pas, ne lançait pas de nouvelles insultes comme à son habitude. Il se contentait de le regarder. Silencieusement. Le regard froid, presque inexpressif. Aucun mot, pas de moquerie. Juste de l’indifférence. C’était pire que tout.

Archie se sentit plus petit que jamais, comme si son existence n'avait aucune importance. Le regard de Kenny avait ce pouvoir de l’anéantir totalement, de faire en sorte qu’il n’ait plus aucune place dans ce monde. Il avait beau être entouré de rires, de moqueries, d'ombres menaçantes, il n'y avait que ce regard froid de Kenny qui semblait l'engloutir. Ce regard silencieux faisait plus mal que n'importe quelle insulte. Parce qu’il savait, Kenny savait qu’il était son bourreau, qu’il était celui qui l’avait brisé, et qu’il continuerait à le faire.

Pour la première fois, Archie sentit les larmes monter, mais il les ravala immédiatement. Il tourna les talons, fuyant cette scène de plus en plus étouffante. Il ne voulait plus rester là. Il ne voulait plus rien.

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