Chapitre 6

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Kenny se tenait là, immobile dans le couloir, son sac en bandoulière, observant la scène sans vraiment voir. Il n’avait pas l’intention d’intervenir. Il n’en avait jamais eu. Les autres autour de lui se déchaînaient, des rires fusaient, des insultes pleuvaient sur Archie comme des pierres. Mais lui, il restait là, les bras croisés, silencieux, un masque d’indifférence parfaitement ancré sur son visage.

Chaque jour, c’était la même chose. Archie, ce pauvre idiot, était la cible de tous. Personne n’avait de pitié pour lui, et encore moins lui. Il était un jouet, une victime facile. Personne ne résistait à l’envie de lui cracher dessus. Personne n’avait de limites. Surtout pas lui.

Alors pourquoi ça le travaillait ce matin-là ?

Kenny scruta Archie de loin, remarquant ses traits tirés, la manière dont ses yeux cherchaient à se dissimuler derrière une frange ou une mèche rebelle. Il savait comment se comporter, ce gamin. Comment rester silencieux, comment éviter les regards, comment se faire oublier dans une pièce pleine. Ce n’était pas difficile pour lui de se fondre dans la masse. Il avait toujours été invisible aux yeux de ceux qui l'entouraient, et Kenny savait très bien pourquoi.

Il sentit une brève étincelle de doute. Un petit pic de culpabilité, aussi fugace qu'il était. Et si on allait trop loin cette fois ? Mais cette pensée disparut aussi vite qu'elle était apparue. C’était trop tard pour ça. Si Archie n’était pas capable de se défendre, s’il restait là, à encaisser tout ce qu’on lui jetait à la figure, alors c’était à lui de gérer. De toute manière, c’était sa vie. Pas la sienne. Alors pourquoi s'en soucier ?

Les insultes se poursuivaient dans le couloir. Il entendit l’un des garçons crier : "T’as vraiment pas honte, t’es une vraie merde !" Un autre ajouta : "Tu fuis tout le temps, connard. T’es qu’un lâche." Et Kenny les regarda. Aucun remords. Aucun regret. Il savait que si Archie se tenait à la même place qu'il y a quelques années, il supporterait tout sans dire un mot. C’était comme ça. Ce gamin ne faisait que survivre, et il n’était pas assez fort pour riposter.

Kenny tourna lentement son regard vers Archie, qui venait d’entrer dans un autre couloir, son visage marqué par une douleur invisible, sa démarche brisée sous le poids des regards qu’il ne pouvait éviter. Il se dirigeait directement vers l’endroit où il serait à nouveau la cible, le punching-ball de tout le monde. Il n’y avait pas d’échappatoire pour lui. Pas pour un type comme lui. Kenny le savait.

"Il va encore encaisser, hein ?" pensa Kenny, avec un léger haussement de sourcils. Il se demandait pourquoi, au fond. Pourquoi il était là à regarder, à se poser ces questions. Ce n'était même pas son problème. Mais pourquoi se sentait-il mal, juste un peu ? Il avait toujours été celui qui se moquait, celui qui poussait les autres à le suivre, celui qui entraînait les autres dans cette spirale de méchanceté. Pourquoi il aurait dû changer ? Ce n'était pas à lui de porter la culpabilité de ce qui se passait. Ce n’était pas son problème, et Archie finirait toujours par s’en remettre. Il savait le faire. Il avait toujours trouvé un moyen.

Et puis, il n’avait pas le choix. C’était dans la nature des choses. Archie n’était qu’une victime du système, mais ce système, il l’avait toujours toléré. Il allait continuer à le faire. Il continuerait à encaisser. Toujours. Ce gamin était trop faible pour changer, trop ancré dans son rôle de souffre-douleur.

Kenny se détourna, repoussant cette pensée qui avait fait surface, un frisson désagréable le parcourant. Il se reconcentra sur le bruit des autres autour de lui. Les moqueries continuaient, l’ambiance était pesante. Mais Kenny ne se laissa pas déranger. Il tourna les talons et continua son chemin à travers les couloirs, sûr de lui. Il n’avait rien à voir avec tout ça. Il ne s’agissait que de son territoire, et dans ce territoire, il était le roi.

La victime continuerait à souffrir, et lui, il n’était qu’un spectateur.

Kenny se tenait dans le couloir, son regard toujours rivé sur Archie, qui se dirigeait vers les escaliers. Tout autour de lui, le tumulte continuait. Les voix s'élevaient, des moqueries fusaient, mais aujourd'hui, quelque chose semblait différent. Archie marchait lentement, comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules. C'était l'instant parfait. Le genre d'instant où tout pouvait basculer, et où Kenny, comme toujours, se contentait d’observer.

Soudain, un garçon de sa classe s’approcha d'Archie dans un mouvement fluide, comme un serpent se glissant dans l'ombre. Un crochet du pied, et Archie s’effondra brutalement, son corps heurtant les marches avec un bruit sourd, un bruit qui fit battre le cœur de Kenny plus fort.

La scène se déroula lentement. Archie roula sur les marches, son visage frappant une barre métallique avec un bruit fracassant. Le garçon qui venait de lui faire cette chute éclata de rire. Les autres autour se joignirent à lui, hilares, comme si tout cela n’était qu’un spectacle. Personne ne s’arrêta. Personne ne tendit la main pour l’aider. Archie gisait là, immobile, la douleur visible sur son visage.

"Qu’est-ce qu’il attend ? Il va se relever, non ?" pensa Kenny. Il se raidit, son regard fixé sur Archie. Il connaissait cette scène par cœur. Chaque jour, à l’école, dans le couloir, c’était la même chose. Archie allait encaisser, se relever, comme à chaque fois. C’était comme une routine pour lui, une habitude de supporter tout ce que le monde lui infligeait. Il allait se relever, comme il l’avait toujours fait. Mais ce silence qui s'était installé autour de lui, l’absence de mouvement d'Archie, cela le troublait plus qu’il ne voulait l’admettre.

Les secondes s'étiraient alors que Kenny observait son camarade. Il n'y avait pas de mouvement, Archie ne se redressait pas. Il était là, comme figé, son corps étendu sur les marches, sans réaction. Non… il ne pouvait pas être si faible. Il allait se relever. Il allait encaisser. Comme toujours.

Kenny sentit son cœur s’emballer. Il attendait, son regard suspicieux scrutant le corps d'Archie allongé sur les escaliers. C'était trop silencieux. Trop long.

Lorsque les autres élèves commencèrent à se disperser, reprenant leurs conversations et ignorant Archie, quelque chose en lui se brisa. Son instinct, celui qu'il avait ignoré jusqu'ici, surgit soudainement. Sans réfléchir, il s’avança rapidement et se pencha sur Archie. Ses mains se posèrent sur ses bras, et il le redressa doucement.

"Allez, lève-toi." Sa voix était sèche, presque brusque, comme s'il essayait de se convaincre lui-même que ce n'était pas grave, que tout allait bien. Mais au fond, il savait que ce n'était pas le cas. Pourquoi il faisait ça ? Pourquoi se soucier de lui, pourquoi être ce… sauveur ? Ce n’était pas son rôle.

"T’as pas à me remercier." Kenny grogna, détournant son regard, visiblement agacé par la situation. Mais son cœur battait toujours aussi fort. Il n’avait jamais aidé quelqu’un de sa vie, et encore moins Archie, ce garçon qui ne valait rien. Alors pourquoi maintenant ?

Archie se redressa lentement, un peu étourdi, puis murmura d’une voix tremblante : "Merci…"

Kenny roula des yeux, mais au fond, il ne put s'empêcher de sentir une sorte de gêne l’envahir. Il jeta un dernier regard à Archie, qui se tenait sur ses jambes, semblant plus épuisé que jamais.

"Mais dis à personne que je t’ai aidé." Kenny se redressa, ignorant la légère douleur dans sa poitrine, et se détourna déjà. Il n'avait rien à voir là-dedans. Il n'allait pas jouer les héros. Il n’était pas un héros.

Il se dirigea vers son prochain cours, les heures s’égrenant lentement, le poids de cette scène encore présent dans son esprit. Archie n’était plus là à la fin de la journée, il avait quitté le lycée avant même la fin de la dernière cloche. Ça ne surprit pas Kenny. Il savait qu’il allait encore s’éclipser, comme il le faisait toujours. Mais quelque part, dans son esprit, une question restait suspendue. Est-ce qu’il allait encaisser encore ? Est-ce qu’il allait encore survivre à tout ça ?

Kenny se secoua mentalement. Ce n'était pas son problème.

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