Chapitre 7

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Le silence de sa chambre était étouffant. Allongé sur son lit, les bras croisés derrière la tête, Archie fixait le plafond sans vraiment le voir. Son corps était encore endolori de la chute dans les escaliers, mais ce n'était pas ce qui occupait son esprit.

Kenny.

Pourquoi ? Pourquoi l’avait-il relevé ? Pourquoi lui avait-il demandé de ne rien dire ? C’était ridicule. Kenny était la source de son enfer, celui qui avait toujours pris plaisir à l’écraser devant tout le monde. Alors pourquoi, cette fois-là, son regard avait-il été… différent ? Un simple élan de culpabilité ? Un jeu encore plus tordu que les autres ?

Archie voulait détester ce geste. Il aurait dû le haïr. Mais au fond de lui, une question persistait. Restait-il une once d’humanité en Kenny ?

Il chassa cette pensée d’un soupir. Peu importe. Rien ne changerait. Rien n’avait jamais changé. Il devait juste tenir jusqu’à la fin du lycée… et après ? Il n’avait même pas la force d’y penser.

Un bruit de pas résonna dans le couloir. Sa mère ouvrit la porte sans frapper.

Va chercher du pain, s’il te plaît.

Archie se redressa sans un mot. Il préférait encore sortir que rester enfermé avec ses pensées.

Il enfila un sweat trop large, rabattit la capuche sur sa tête et quitta la maison. L’air du soir était glacial, chargé de cette odeur d’humidité propre à la ville. Il marcha d’un pas rapide vers la boulangerie, les mains enfoncées dans ses poches. Il ne voulait croiser personne. Il voulait juste revenir vite.

Puis il les vit.

Des lettres énormes, agressives, peintes en noir sur le mur de sa maison.

"T’ES QU’UN RATÉ. VA CRÉVER !"

Son souffle se coupa net. Son cœur cogna brutalement dans sa poitrine.

Il resta figé, incapable de bouger. Son cerveau refusait de comprendre ce qu’il voyait, comme si les mots n’étaient pas réels. Mais ils l’étaient. Bien trop réels.

Quelqu’un avait pris le temps d’écrire ça. Quelqu’un était venu jusque chez lui.

Les larmes lui montèrent aux yeux avant qu’il ne les ravale brutalement. Non. Il ne pleurerait pas ici, en pleine rue. Il ne leur donnerait pas cette victoire.

Il tourna les talons et se mit à marcher plus vite, la gorge serrée, la colère et la honte nouées au creux du ventre. Il passa devant la boulangerie sans même ralentir.

Il devait effacer ça.

Tout de suite.

Son souffle était court lorsqu'il poussa la porte de la supérette du quartier. Sans hésiter, il se dirigea vers le rayon bricolage et attrapa une bouteille de décapant. Il n’allait pas laisser ces mots rester plus longtemps qu’ils ne l’avaient déjà fait.

Personne n’allait voir ça.

Personne.

Le tintement de la clochette au-dessus de la porte résonna dans l’air tiède du magasin. L’odeur de plastique et de détergent lui piqua le nez, mais Archie n’y prêta pas attention. Il devait juste trouver ce foutu décapant et partir.

Il se dirigea rapidement vers le rayon des produits ménagers, ses yeux balayant les étagères en quête de la bouteille qui pourrait effacer les horreurs qui marquaient les murs de sa maison. Il en attrapa une au hasard, lut rapidement l’étiquette, puis en prit une seconde, juste au cas où.

Tu comptes attaquer quelqu’un à l’acide ou quoi ?

Archie se figea, son souffle suspendu dans sa gorge. Cette voix…

Kenny.

Il tourna lentement la tête et croisa ce regard noisette, ce regard qu’il n’arrivait plus à comprendre depuis quelques heures. Mais cette fois, il n’y avait pas cette lueur de cruauté habituelle. Pas de sourire narquois. Pas de moquerie évidente.

Kenny portait un tablier noir avec le logo du magasin, une étiquette accrochée sur sa poitrine : Kenny S. Archie n’avait jamais su qu’il travaillait ici. Et pourtant, le voir derrière ce comptoir, dans un endroit où il ne jouait pas son rôle de bourreau, le rendait presque… normal.

Salut, lança Kenny d’une voix neutre.

Archie ne répondit pas. Il baissa la tête, fixant le carrelage. Il n’osait jamais répondre. À quoi bon ?

Il serra ses bouteilles contre lui et avança vers la caisse, priant pour que Kenny ne dise rien de plus.

Tu fais quoi avec ça ? demanda soudain Kenny.

Sa voix n’avait pas ce ton moqueur habituel. Juste de la curiosité.

Archie déglutit. Il voulait mentir. Mais les mots ne venaient pas.

Rien.

Kenny l’observa quelques secondes, puis haussa les épaules.

Okay.

Archie releva les yeux, surpris par la réponse. Il s’attendait à une provocation, une pique blessante. Mais rien ne vint. Juste un Kenny qui scanna les articles et annonça le prix d’une voix posée.

Archie posa un billet sur le comptoir, récupéra son sac et s’apprêtait à partir quand…

Attends.

Il s’immobilisa. Son cœur rata un battement.

Kenny hésita, puis tendit la main vers un petit panier près de la caisse et en sortit un paquet de bonbons.

Tiens. Cadeau.

Archie le regarda, déboussolé. C’était une blague ? Un piège ? Mais Kenny ne riait pas. Il se contentait de le fixer, l’air impassible.

Archie prit lentement le paquet, sans comprendre.

Merci… murmura-t-il avant de sortir précipitamment, le feu aux joues, son cœur tambourinant dans sa poitrine.

Kenny resta un instant derrière le comptoir, le regard perdu dans le vide, avant de soupirer et de retourner à son travail.

La porte de la maison se referma dans un grincement sourd. Archie expira lentement, essayant de calmer les battements erratiques de son cœur. Il avait réussi.

Les bouteilles de décapant serrées contre lui, il fonça vers la façade de la maison, là où les mots immondes souillaient encore les murs. "T’es qu’un raté." "Va crever !" Il n’arrivait même plus à les lire. Chaque lettre semblait danser sous ses yeux, se graver dans son crâne comme une marque indélébile.

Il arracha le bouchon d’un coup sec, renversa le liquide acide sur la peinture noire et frotta avec toute la force qu’il avait. Encore. Encore. Encore. Son souffle saccadé se mêlait au grattement de la spatule contre le béton. Il frottait comme si sa vie en dépendait, comme si en effaçant ces mots, il pouvait effacer tout le reste.

Après ce qui lui sembla être une éternité, les insultes disparurent, laissant place à une façade légèrement abîmée, mais propre. Archie recula, observa son travail d’un regard vide. Personne ne devait savoir.

Mais alors qu’il rangeait les produits, une évidence lui explosa au visage. Le pain.

Ses parents allaient le lui reprocher, et il ne voulait pas de leurs questions. Il souffla, remit sa capuche et ressortit rapidement dans la nuit tombante.

Sur le chemin vers la boulangerie, son esprit vagabonda malgré lui. Il repensa à la supérette, à ce moment étrange où il s’était retrouvé face à Kenny. Il aurait dû fuir immédiatement. Ne pas lever les yeux. Faire comme d’habitude. Mais il l’avait regardé.

Il avait fixé ses yeux noisette.

Pourquoi est-ce que Kenny l’avait regardé comme ça ? Pourquoi n’avait-il pas ricané ? Pourquoi, pour une fois, sa voix n’avait pas porté cette cruauté habituelle ?

Archie secoua la tête et pressa le pas. Il récupéra le pain et rentra chez lui en silence, le cœur encore agité sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi.

Après avoir tendu le pain à sa mère, il s’enferma immédiatement dans sa chambre. Il jeta son sweat au sol, s’assit sur son lit, puis prit son téléphone.

Il hésita un instant. Puis ses doigts tapèrent presque d’eux-mêmes dans la barre de recherche.

Kenny S.

Le premier résultat fut son compte. Privé. Mais ses photos de profil et quelques clichés publics étaient accessibles.

Archie scrolla.

Une photo de Kenny avec ses amis, le sourire aux lèvres. Une autre, en plein match de basket, concentré, l’air sérieux. Puis une autre encore, assis sur une moto, lunettes de soleil sur le nez.

Pourquoi est-ce qu’il regardait ça ?

Pourquoi est-ce que, malgré tout ce que Kenny lui avait fait subir, il n’arrivait pas à détourner les yeux ?

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