Chapitre 11

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La lumière douce de l’aube filtrait à travers les volets entrouverts. Archie se réveilla sans vraiment comprendre où il était. Le plafond du salon lui parut flou. Il avait dû s’endormir là, sur le canapé, après être rentré du lycée avec Kenny… après ça. Ses souvenirs revenaient par fragments. Le bord du toit. Les mains de Kenny. Les battements de cœur affolés. Et puis, les mots. Les confidences.

Il attrapa son téléphone, discrètement. Sa mère dormait encore à l’étage. En l’allumant, il découvrit des dizaines de notifications. Mais, cette fois… ce n’étaient pas des insultes. Des messages anonymes. Des mots de réconfort. Des cœurs, des encouragements. « Tu es plus fort que tu ne crois. » — « On est beaucoup à croire en toi. » — « Reste. »

Un nouveau compte l’avait suivi, un compte privé. L’image de profil était floue, juste un ciel étoilé. Intrigué, Archie ouvrit la conversation.

C’est Kenny. J’espère que mes mots te ramèneront de la chaleur, même un peu.

Son cœur se figea. Il resta immobile pendant de longues minutes, les yeux plantés dans l’écran. Kenny avait répondu à des centaines de commentaires. Un par un. Il avait pris sa défense avec une ferveur nouvelle. Il s’était battu. Pour lui. Pour Archie. Les larmes montèrent, mais il les ravala. Pas cette fois.

Il n’avait jamais vraiment appelé quelqu’un. Pas comme ça. Mais ses doigts tremblants appuyèrent sur l’icône du téléphone. Un ton. Deux. Puis Kenny décrocha.

— « Allô ? »

— « C’est moi… Archie. »

Un léger silence s’installa, chaleureux pourtant, comme une couverture posée sur une blessure.

— « Pourquoi tu fais ça ? » demanda-t-il, la voix rauque d’émotion.

— « Parce que je veux changer la donne. Parce que… j’ai trop attendu. Et si tu veux bien… je veux devenir ton ami secret. »

Archie sourit faiblement, un sourire timide, fragile. « Un ami… » répéta-t-il en écho. Il n’en avait jamais eu. Pas depuis la maternelle. Pas vraiment.

Ils discutèrent longtemps. De tout. De rien. De souvenirs de cours, de musiques aimées, de rêves oubliés. Archie se sentit moins seul, comme si une fenêtre venait de s’ouvrir dans son univers trop étroit.

Mais alors qu’il allait monter dans sa chambre, sa mère, les bras croisés, l’attendait dans le couloir.

— « Tu crois que c’est normal ce que t’as fait cette nuit ?! On a cru devenir fous ! Tu fugues, et tu reviens comme ça ?! »

Archie baissa les yeux, la gorge nouée.

— « Je suis désolé… Vraiment… »

— « Tu n’auras plus ton téléphone pendant une semaine. Peut-être que ça te remettra les idées en place. »

Il ne dit rien. Il hocha juste la tête, tremblant, et monta dans sa chambre à pas lents. Une semaine sans téléphone. Une semaine sans soutien. Sans Kenny. Il referma la porte de sa chambre, se laissa glisser le long du mur, et fondit en larmes. Sa mère ne savait pas… elle ne savait rien.

Elle ignorait que, la veille, il avait failli mourir. Elle ignorait que c’était son bourreau, son premier harceleur, qui lui avait tendu la main et rattrapé son cœur en chute libre.

Sa mère entra dans sa chambre sans frapper. Elle avait toujours cette expression dure, celle qu’elle réservait aux moments où elle pensait "faire ce qu’il faut". Les bras croisés, les sourcils froncés, elle le regarda droit dans les yeux.

— « Demain, tu vas en cours, Archie. Il n’y a pas à discuter. »

Il déglutit difficilement. Le mot demain avait claqué dans l’air comme un couperet. Il n’avait pas répondu, il n’avait même pas osé bouger. Juste hoché la tête avec lenteur, le regard fuyant, comme un coupable pris en faute.

Dès qu’elle sortit, il sentit le sol se dérober sous lui. Il se laissa tomber sur son lit, incapable de retenir le tremblement qui agitait ses doigts. Son cœur battait trop vite, trop fort. Chaque respiration lui coûtait. Il tenta de se convaincre que ça allait aller, que ce n’était qu’une journée. Une. Seule. Journée. Mais il savait bien qu’au fond, le supplice ne faisait que reprendre.

Il avait peur. Une peur dévorante, brutale. Elle rampait dans sa poitrine, s’accrochait à sa gorge, l’étouffait de l’intérieur. Il se sentait minuscule, coincé, abandonné. Même son téléphone n’était plus là pour le rassurer, plus de messages de Kenny, plus de mots doux cachés derrière un écran.

Il s’en voulait presque de penser à lui. À Kenny. Ce garçon qui lui avait brisé la vie, arraché toute once de confiance, de lumière, de paix. Mais c’était aussi celui qui l’avait retenu au bord du toit. Celui qui avait murmuré qu’il allait changer les choses. Celui qui l’avait serré fort. Et dans cet océan de douleur, c’était la seule main qui lui avait été tendue. Alors… tant pis. Si c’était Kenny, ce serait Kenny. Il avait besoin de quelqu’un.

Il s’assit au bord du lit, la tête entre les mains, les coudes enfoncés dans ses genoux. L’air lui manquait, ses jambes étaient molles. Il ferma les yeux très fort pour ne pas pleurer, mais les larmes glissèrent sans permission. Il ne voulait pas retourner là-bas. Il voulait disparaître. Ne plus rien sentir. Juste… s’effacer.

La journée passa comme un fantôme. Il errait dans la maison sans vraiment savoir où aller. Sa mère évita de hausser le ton, tentant maladroitement de recoller les morceaux. En fin d’après-midi, elle toqua à la porte et s’assit dans l’encadrement.
— « Archie… tu veux m’en parler ? » demanda-t-elle d’une voix un peu plus douce.

Il se força à sourire. Un mensonge poli. Il raconta qu’il était juste fatigué. Qu’il avait eu une baisse de moral passagère. Qu’il allait mieux. Elle sembla croire à moitié. Mais au fond, il savait qu’elle voulait juste se rassurer. Se convaincre qu’il n’était pas en train de sombrer.

Après le repas, il monta directement dans sa chambre. Il referma la porte derrière lui, doucement, puis s’y adossa comme plus tôt. Le silence l’engloba. Il était seul à nouveau. Kenny était loin. Les mots de soutien étaient enfermés dans un écran qu’il n’avait plus. Et demain, demain… il allait devoir affronter tout ça à nouveau.

Seul.

Mais quelque part, tout au fond de lui, une minuscule braise refusait de s’éteindre. Peut-être que Kenny sera là. En secret. À sa façon. Et même si c’était absurde… même si c’était risqué… c’était tout ce qu’il avait pour tenir.

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