Chapitre 14

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La sonnerie venait de retentir et les couloirs vibraient déjà des rires, des cris, des pas pressés. Kenny marchait d’un pas lent, calculé, son sac glissant légèrement de son épaule. Il cherchait à repérer Archie, sans avoir l’air de le faire. C’était devenu un réflexe. Il le vit, là-bas, près des escaliers. Seul. Le regard fuyant, le dos voûté. Il allait vers sa prochaine classe.

Puis, comme une vague, les choses dégénérèrent.

Un groupe de garçons – deux de terminale, un de première – encercla Archie. Ça commença par des moqueries. Les mêmes refrains usés, des variations sur son apparence, son absence d’amis, son air toujours paumé. Puis les rires s’intensifièrent, des cris s’élevèrent :
« Eh, Kenny ! Viens voir ton copain ! Viens t’amuser un peu ! »

Kenny s’arrêta net. Son cœur cogna fort contre ses côtes. Il sentit chaque œil se poser sur lui. On le sifflait. On l’acclamait. Tous attendaient qu’il intervienne, comme à l’ancienne. Qu’il donne un coup, qu’il humilie. Qu’il redevienne celui qu’il était. Celui qui faisait rire. Il sentit ses jambes trembler légèrement. Son souffle se coupa.

Mais il n’avait pas envie.

Il ne pouvait plus.

Il avança quand même, poussé par le brouhaha. Il arriva face à Archie, au sol, accroupi, recroquevillé. Son regard croisait le sien, et Kenny vit. Il vit la détresse, la honte, la peur. Il vit les larmes prêtes à tomber. Il vit le mal. Le sien.

Alors il releva le menton, inspira, et dit d’un ton froid :
« Il mérite même pas votre attention, sérieux. Laissez tomber. »

Les rires fusèrent, les élèves grognèrent de déception. Mais Kenny avait déjà tourné les talons. Son cœur pesait une tonne. Il venait de sauver Archie. Mais à quel prix ? Il l’avait encore humilié. Encore une fois.

Plus tard, dans un couloir désert, il saisit Archie par le poignet et le tira discrètement dans une salle de cours vide. Le regard d’Archie était glacé, méfiant, presque vide. Kenny s’approcha et chuchota :
« Tout ce que je dis devant les autres… c’est pas ce que je pense. Tu comprends ? »
Il n’attendit pas de réponse. Il sortit.

À peine deux minutes après, Nathan l’attrapa par l’épaule avec un sourire carnassier.
« T’as une touche mec ! T’as vu Karmen ? Elle flashe sur toi à mort. »

Kenny força un sourire. Il la connaissait de loin, Karmen. Blonde vénitienne, yeux en amande, rire cristallin, populaire au point d’en être presque irréelle. Il accepta d’aller lui parler, comme dans un automatisme. Elle était belle. Elle le faisait rire. Elle lui demanda son numéro. Ils échangèrent quelques messages. Elle l’embrassa. Juste là, au milieu du couloir.

Tout le monde s’extasiait. Nathan riait, le serrait dans ses bras.
« T’as géré mon gars ! Une meuf comme ça ! »

Mais Kenny ne riait pas.

Il regardait Archie, juste un peu plus loin. Il avait tout vu. Il marchait, seul. Son regard s’était brièvement posé sur lui avant de fuir. Et Kenny sentit quelque chose se briser doucement à l’intérieur. Un battement raté. Une dissonance. Il ne savait pas ce qu’il ressentait. Il ne savait plus qui il était censé être.

Et le goût du baiser sur ses lèvres… il ne le sentait déjà plus.

Bien sûr, voici la suite du chapitre du point de vue de Kenny, comme tu l’as demandé :

Archie avait fui.
Un éclair dans les couloirs, son sac ballotant derrière lui, ses pas précipités frappant le sol comme un battement de cœur affolé. Kenny avait hésité une seconde, perdu dans le tumulte, puis il l’avait suivi. Il avait ignoré Nathan qui l’appelait, ignoré les rires, les murmures. Il courait.

Archie prenait les rues comme un fugitif, tournant à gauche, à droite, traversant sans regarder. Kenny le suivait sans réfléchir. Ce n’était pas juste de l’inquiétude. C’était plus viscéral. Il avait vu ses larmes, ce tremblement dans sa mâchoire, cette façon dont il le regardait… comme si le baiser de Karmen lui avait perforé le cœur.

Arrivés devant la maison d’Archie, il monta les marches à la hâte, avant qu’Archie ne claque la porte derrière lui.

« Archie, attends ! »
Silence.

Il frappa une première fois. Une deuxième.
« Ouvre-moi… Je veux juste te parler, putain. »
Il entendit un mouvement derrière la porte.

Puis une voix étranglée :
« Tu t’es bien amusé ? T’avais besoin de prouver quoi ? Que j’étais rien ? Que j’étais moins qu’elle ? »
La jalousie tranchait dans la voix d’Archie comme une lame émoussée, tremblante.

Kenny resta figé. Il n’avait pas de réponse toute faite. Pas cette fois.

« Elle t’a embrassé devant moi... Comme si j’étais... invisible. Et t’as rien dit, t’as rien fait. »

Kenny sentit ses jambes vaciller. Il n’avait pas voulu ça. Il n’avait pas réfléchi.
« J’ai pas su quoi faire, Archie... J’ai paniqué, j’ai... Je sais pas. Je suis paumé. Mais je suis venu ici, merde, parce que c’est pas elle qui compte, c’est— »

La porte s’ouvrit brusquement. Archie se tenait là, tremblant, les yeux rouges.
« Ferme-la, Kenny. »
Mais Kenny s’avança, posa ses mains sur ses épaules.
« Je suis désolé. Vraiment. »
Il tenta de l’attirer dans ses bras, mais Archie le repoussa brutalement.

« T’as aucune idée de ce que tu fais, hein ? »

Et là, sans prévenir, il attrapa Kenny par la nuque, le tira contre lui et posa ses lèvres contre les siennes. Ce fut court, confus, brûlant. Le cœur de Kenny manqua un battement. Puis Archie le repoussa de toutes ses forces et referma la porte sur lui, le souffle coupé.

Kenny resta là, pétrifié, une main encore posée sur sa nuque. Il frappa doucement à la porte.
« Archie... s’il te plaît. Parle-moi. Ouvre... Je suis désolé. »
Mais derrière, le silence lui répondit. Rien que le vent et son propre cœur qui battait trop fort.

Kenny s’adossa doucement à la porte, la main posée contre le bois froid. Sa voix sortit plus douce qu’il ne l’aurait cru :
« Archie… Est-ce que t’es amoureux de moi ? »
Aucune réponse. Rien qu’un silence dense, lourd comme une pierre au fond de l’estomac. De l’autre côté, Archie restait assis contre la porte, immobile.

Finalement, Archie se releva. Il essuya ses larmes du revers de la manche, le cœur battant la chamade. Il avait honte. Honte d’avoir laissé ses émotions prendre le dessus, honte d’avoir embrassé Kenny, honte d’être en colère contre lui alors qu’il n’avait aucun droit. Kenny sortait avec Karmen maintenant. C’était la réalité. Et lui ? Lui n’était qu’un garçon qui s’accrochait trop fort à quelque chose qu’il ne pouvait pas avoir.

Mais Kenny ne comptait pas le laisser s’échapper. Il frappa encore, doucement. « Ouvre, Archie. On doit parler. Je veux comprendre. Je… j’ai besoin de comprendre. »
Après quelques secondes de lutte intérieure, la porte s’ouvrit lentement. Kenny entra sans bruit, posa un doigt sur ses lèvres, comme pour lui dire de ne pas parler tout de suite. Son regard était flou, mais sincère. « Quand tu m’as embrassé… j’ai ressenti un truc, Archie. C’était pas comme avec Karmen. J’ai eu des frissons. Des vrais. » Il soupira. « Et je crois que si j’ai passé autant de temps à te haïr… c’est aussi parce que t’as cette façon de tenir bon, cette façon d’exister malgré tout, qui me faisait peur. Et maintenant… je suis paumé. »

Il n’y avait plus rien de cruel dans ses yeux. Juste un gamin qui cherchait des repères. Un gamin qui ne savait plus très bien qui il était, ni ce qu’il voulait… mais qui, à cet instant, avait simplement envie de rester là, face à celui qu’il avait trop longtemps rejeté.

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