I.
Les cloches de Carcanesse sonnaient huit heures quand Larissa débarqua aux écuries. Les joues rougies par l’effort et le froid, elle y surprit Merilda qui s’occupait d’étriller Augereau, son grand percheron noir de jais. La femme-louve ne se donna même pas la peine de lever les yeux de son ouvrage : elle avait su l’arrivée de sa cadette dès l’instant où elle avait senti son odeur.
— Merilda ! Merilda ! Il paraît que tu pars ! Où est-ce que tu vas ?
La seconde d’après, une enfant faisait à son tour son irruption dans la bâtisse, filant droit dans les jupons de Larissa – qui ne manqua pas de s’en énerver :
— Thélie ! Lâche-moi, bon sang ! Arrête de me coller !
— Que faites-vous ici à une heure pareille ? asséna Merilda.
La froideur dans sa voix déstabilisa quelque peu les deux apprenties.
— Je… J’étais curieuse, osa Larissa, et… Thélie m’a suivie, alors que je le lui avais interdit ! Mais lâche-moi, je te dis !
— Curieuse de quoi, au juste ?
— Eh bien, tu es Grande Garache, maintenant, expliqua-t-elle en pointant du doigt la bague dorée dans sa chevelure sombre. Alors… Tu es censée rester à la forteresse.
Non sans un effort, Merilda hissa la selle sur son cheval puis entreprit de sangler les lanières en cuir.
— Tu as raison, consentit la sentinelle. Mais Belgarde m’a permis de m’absenter quelques temps. J’ai reçu une lettre du roi de Séquagne, qui me réclame pour une affaire urgente.
Elle rajouta, en remarquant l’intérêt de sa cadette :
— Et confidentielle.
— Le roi en personne ? Pourquoi te demander toi ?
— Quand m’écouteras-tu quand je te parlerai ? s’agaça Merilda. Je ne peux rien te dire. Je suis une… ancienne amie de sire Otte-Guillaume, et il place son entière confiance en moi.
La ligne sévère de ses sourcils incita Larissa au silence.
— Je reviendrai dans un mois, peut-être.
— Un mois ? s’exclama l’apprentie. Mais Callinice… Elle va être imbuvable avec moi si tu n’es pas là !
— C’est ce que j’espère. Je lui ai délégué toutes mes responsabilités le temps de mon retour. Aussi, j’ai la conviction qu’elle saura t’imposer un minimum de rigueur et de discipline, jeune fille. Cela vaut aussi pour toi, Thélie.
Surprise, l’enfant se mordilla la lippe. Elle dissimula son poing derrière son dos, froissant la fleur qu’elle avait arrachée à la volée pour lui souhaiter un bon voyage.
— Oui, Merilda, bredouilla-t-elle.
— Les jeunes apprenties ne sont-elles pas attendues dans la bibliothèque, à cette heure-ci ?
— Si, Merilda.
— Alors que fais-tu ici ?
— Je…
— Cesse de suivre Larissa dans ses bêtises.
— Oui… Pardon, Merilda.
Lorsqu’Augereau fut fin prêt pour son futur périple, la femme-louve tira sur ses guides pour le sortir des écuries. Les deux cadettes suivirent le mouvement, tête basse.
— Soyez sage en mon absence, conclut la sentinelle en montant sur son puissant percheron.
Son élégante fluidité et l’assurance de sa posture écarquillèrent les yeux de Thélie, qui dût tordre le cou pour admirer son aînée juchée sur une si grande bête. Loin de relever l’éclat dans ses prunelles, Merilda lança son cheval dans la cour d’un claquement de langue, cavalcada sur le pavé, puis passa l’arche du premier rempart sans se retourner. Ce fut lorsqu’elle s’engagea dans la montagne qu’elle s’autorisa à lâcher un soupir.
Callinice, je compte sur toi pour prendre soin d’elles.
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