Chapitre 2 : Héros De Justice
Je veux hurler mon nom à la lune pour qu'elle le conserve à l'abri du temps et de l'Anonymat. Pourtant cela n'arrivera pas, car les soldats ne racontent pas leur propre histoire. S'ils savouraient leur gloire, alors leur héroïsme laisserait place à l'avarice, la vanité et la cruauté.
Toujours agenouillé face à mes ennemis, je me réfugie dans les méandres de mon esprit. Quand la douleur vous brise l'âme, c'est qu'il est temps de fuir. J'erre dans un monde embrumé, onirique, enfoui dans mon inconscient.
Ce monde brumeux se précise en vallées, montagnes et océans. De petites créatures félines gambadent dans les forêts et les champs. Le Soleil brille sur les tours florales en verre. Leur éclosion donne naissance à une constellation d'oisillons qui s'envolent. Je verse quelques larmes. Pourquoi je pleure ? Mon corps prend le dessus sur mon esprit. Peut-être pense-t-il que là devrait être sa place ? Peut-être croit-il être enfin de retour à la maison ? Stupide, je ne rentrerais jamais jamais à la maison. Jamais. Désormais, une vallée de coquelicots m'entoure. L'espace d'un instant, je suis seul en ce monde que j'ai bâti. J'inspire un grand coup. Ici, je suis libre, loin des ennemis, du sang et du dilemme.
Au loin, de la terre naît un être humain. Je ne le reconnais pas. Qui est-il ? A peine né, il s'approche de moi. Il ne reste que quelques secondes avant notre rencontre. Le vent balaye mes cheveux tandis que l'homme avance d'un pas assuré et lourd. Plus que quelques mètres. Il me paraît familier. Quelque chose me frappe. Non. Me caresse ? M'enlace ? M'embrasse ? L'homme est arrivé. Il n'est qu'à quelques centimètres de moi, je le distingue à peine. Il est… Mon Héros ! Son regard, je ne sais pourquoi, m'apaise. Tout peut bien brûler, je l'ai vu une dernière fois. Mon Héros paraît vieux, épuisé par ses combats, blessé par ses démons. Il recule un peu en titubant, quelques gouttes de son sang colorent le sol de ce monde, comme pour le baptiser. Le Héros blessé s'attelle à redessiner les vallées de mon monde onirique. Une fresque de la célérité, de la gloire, de la victoire… Une maestria des couleurs du paysage : rouge sang tantôt, bleu électrique soudain, rose bonbon parfois. Tandis qu'il bondit vers les étoiles, haut, très haut dans le ciel écarlate, il offre un éclat de sa lumière à l'Humanité. Cet Homme est mon berger, notre berger.
Je me rappelle lorsqu'il est venu me visiter quand je n'avais que douze ans. Quelques voyous présompteux m'avaient acculé contre un mur. « T'as not' p'tit cadeau, l'mioche ? Allez quoi, fais pas ta pute ! Ah ouais ? Si c'est comme ça ! » La ruelle s'assombrissait à chaque coup qu'ils me portaient. Chaque frappe faisait gronder le tonerre, chaque crachat submergeait mon corps frêle. Ils devaient se sentir comme des dieux jouant avec leur possession. D'un coup, brisant leurs vagues rageuses, esquivant habilement leur foudre mortelle, martelant les crânes des uns, cassant les jambes des autres, rugissant toute sa volonté de me sauver, mon Héros me délivra. Il les écarta loin de moi, eux se défendaient tant bien que mal, mais il n'abandonnait pas. « On va te crever, le vioc. T'as rien à foutre ici, t'es sourd ou quoi ? ». « Je n'ai pas le droit d'abandonner. Jamais. Vous m'entendez ? Jamais ! » leur scandait-il. Chacune de ses frappes séparaient le ciel en deux, et ses yeux menaçaient plus qu'une épée. Ainsi, ils finirent par détaler aussi sec, lorsqu'ils remarquèrent l'inutilité de leurs couteaux. Une fois le calme revenu, il s'asseya près de moi, et, sans aucune torsion de douleur, il épancha son sang. « Tout va bien, gamin. Tu as eu peur, hein ? La prochaine fois, tu leur fous une raclée, compris ? ». Je n'ai jamais vu son visage. Le boucan de la circulation m'empêchait de l'entendre clairement. Je ne me souviens que de sa phrase suivante. Son aura, écrasante, chaleureuse et singulière, m'entoura jusqu'à me faire ressentir une sorte de complétion. Je ne voulais rien, je ne souffrais de rien, ne m'inquiétais de rien, sinon de connaître le nom de mon Héros. Malgré cela, il ne me le dît point, et continua son discours, si bien que j'étais absorbé par son impeccable phrasé. Puis, avec la supprématie d'un empereur en son royaume, il me murmura : « Tu deviendras un Héros. »
Lui aussi, j'en suis sûr, a été sauvé lorsqu'il était plus jeune. Lui aussi a prononcé « Mon Héros ! » avec des yeux en forme d'étoiles. Les Héros sont des hommes mis en esclavage par leur sauveur. « Sauve ! Deviens un Héros ! Toi aussi, tu dois le faire ! N'était-ce pas grandiose lorsqu'il t'a protégé ? Ne te sens-tu pas redevable ? ».
Mon papa, lui, avait une autre définition de l'héroïsme. « Sans récompense, sans peur, sans gloire… Pourquoi y aurait-il des Héros ? ». C'est de cette manière qu'il pouvait rentrer du travail la tête haute. C'était un médecin. Un très renommé, qui ne touchait que les plus riches, les plus beaux et les plus connus. Bien sûr, il se fichait ouvertement du serment d'Hippocrate. « Puisque tous les autres font pareils, quel mal y a-t-il à vouloir gagner sa croûte, hein ? » Lorsqu'il m'avait dit cela, je me rappelle lui avoir fichu une sacrée baffe. « Je deviendrais un vrai Héros, tu peux me croire ! Pour que personne ne se perde dans le noir, pour inspirer à la grandeur et révéler à chacun leurs rêves les plus profonds, pour te montrer à quel point tu as tort, je deviendrais un Héros ! ».
Je n'ai pas le droit au doute, quoi qu'il arrive, peu importe la douleur, je dois me battre. Jusqu'au bout. Comment ai-je pu perdre de vue mon rêve pendant si longtemps ?
Contemplez son pouvoir ! Sans un mot, mon Héros fait irruption, blessé, dans mon esprit et me redonne la force du combat ! Il s'envole, et sans explication possible, mes poings sont investis d'une volonté soudaine. Comme les vagues qui se déchaînent sur les rochers, je m'abattrais sur les ennemis. Je briserais leurs piètres carcasses ! Mon univers onirique change d'un coup. Une pluie torrentielle brise les arbres, érode les montagnes et sculpte mon monde à l'image de ma rage fraîchement ressuscitée.
Je suis de retour dans le monde réel. La douleur, sans m'arrêter, me saisit à nouveau. Tant bien que mal, je me relève, la tête haute. Invaincu, fier, juste… Je pointe mon fusil vers un insectoïde ennemi, je n'ai que l'embarras du choix. Ses camarades hideux patientent. Ils savent qu'au moindre geste, je serais abattu. Depuis quelques minutes déjà, je suis leur attraction principale. Ils ne comptaient pas me garder en vie. Ils jouaient avec leur repas. Si j'échoue, je sombrerais dans l'Anonymat. L'honneur quittera à jamais mon épopée. Je serais « lâche », le « faible », de ceux qui donnent une mauvaise image de nous autres Résistants. Si je réussis cependant… Je deviendrais le Héros de Justice ! Si je ne change pas les choses, je vais mourir. Je dois les guider. Je le dois ! Je le dois ! Peu importe où je dois ramper… J'offre ma vie à l'Humanité !
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