Chapitre 1 - (2/4)

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 L’Enfant déambulait dans le château le rire aux lèvres, il échappait à ses serviteurs, tournoyait à travers les couloirs, effrayait les domestiques. Il dévala l’escalier en colimaçon jusqu’à se cogner contre son père qui le prit dans ses bras avant qu’il ne chute. Il le leva à hauteur d’épaule, comme s’il s’agissait d’une poupée. Le Duc avait le visage marqué par les batailles qu’il avait mené pour son roi. Une longue cicatrice courrait de son œil droit jusqu’à l’oreille, ses cheveux gris étaient revêches, même après avoir été coiffé pendant des heures. Il dégageait l’aura d’un homme accompli, et nul ne pouvait ignorer l’énergie que son Lien irradiait. Il sermonna son fils sur les dangers de courir dans les escaliers tout en le chatouillant sous les bras. Ce dernier se débattait entre les rires et les pleurs jusqu’à ce que son paternel se décide à le poser. Il eut ensuite le droit à un sermon des gens qui le poursuivaient.

 Nassar, un frère né dix ans plus tôt que lui regardait la situation d’un œil critique. Il n’avait jamais manifesté d’affection pour Astark, ni pour ses autres frères ou sa sœur. Son énergie et ses mouvements allaient en général s’exprimer du côté des femmes, et de sa garde-robe. Il n’y en avait pas de plus garnie dans le château, peut-être celle de sa mère, qui aimait à s’apprêter pour les réceptions. D’une voix soigneusement choisie, presque autoritaire sans oublier à qui elle s’adressait, il ramena son père aux sujets du gouvernement.

 — Père, ne devrions-nous pas nous concentrer sur les cartes de la région ? Les dernières nouvelles du phare d’Arathor ne sont guère bonnes.

 Son père se grattait la barbe, il était entré dans une vive discussion à propos de la prochaine chasse au loup qu’il donnerait. Il l’abandonna quelques instants, pour répondre à son fils, lui rappelant sa position dans le même temps.

 — Le devoir d’un homme ne se résume pas à son domaine, Nassar. S’occuper de sa famille, la nourrir et entretenir les liens sont les premiers devoir d’un père, ne l’oublie pas. Tu seras bientôt autorisé par le roi à faire ta cour, et j’aimerai que tu ne me couvres pas de honte à ce moment-là.

 On eut l’impression que celui-ci venait de recevoir un coup en pleine poitrine. Il recula de quelques pas, par rapport à son père, là où il aurait dû se trouver normalement.

 Si son éloquence et sa connaissance de la politique lui accordaient les faveurs du Duc, ce dernier était encore dans la force de l’âge, et il ne laissait personne prendre les décisions à sa place. Tout au mieux, on pouvait le conseiller dans les bons jours. L’enfant qui s’était ressaisit en profita pour s’extirper, se pressant entre la jambe d’une servante, et le bardage en bois du couloir. Il ne recevrait son nom qu’à son dixième anniversaire, pour l’instant, tous l’appelait Astark, “le marin” en patois d’Arathor. Il continua sa folle course pour finir dans les jupes de Samie qui l’attrapa d’un geste souple.

 — Te voilà petit chapardeur, c’est toi qui a renversé la confiture hein ? Le réprimanda-t-elle d’une voix faussement sévère.

 Astark fit non de la tête sans se départir du sourire qu’il arborait en toute circonstance. La commissure de ses lèvres pleine de myrtilles semblait dire le contraire.

 — Allez, tu viens avec moi, la duchesse souhaite te voir, mais pas dans cet état, commenta-t-elle en le regardant.

 Elle l’emmena jusqu’à sa chambre, où elle fit porter un baquet d’eau chaude. Elle le déshabilla puis frotta vigoureusement sa peau qui rougit sous le crin dur de la brosse. Elle en profita pour réajuster sa culotte, devenu trop petite pour lui. Le vêtement, volontairement trop grand, était bardé d’ourlet, aussi en défit-elle quelques-uns et s’appliqua à l’épingler de nouveau. Une fois habillé, elle dut batailler avec ses longs cheveux revêches qui n’avaient rien à envier au Duc. Elle jeta un dernier regard à l’enfant, puis lança une tape sur son épaule, comme pour dire que ce n’était pas parfait, mais que ça irait. Le tenant fermement par la main, elle le guida à travers les couloirs froids et sombres. Les torchères laissaient échapper une fumée noire et âcre qui emplissait les lieux d’une odeur de graisse brûlée. L’escalier qu’ils empruntèrent déboucha sur un parquet ciré, les murs étaient tapissés de tentures là où le bardage s’arrêtait. Sa mère l’attendait dans sa chambre, un tricot à la main.

 — Ah, merci Samie, pourrais-tu nous ramener de quoi goûter, ce petit ne fait que manger. Dieu merci je ne l’allaite plus, il ne me lâchait pas le sein, dit celle-ci d’une voix désinvolte.

 Ses yeux étaient toujours absorbés par son tricot, elle jeta un regard rapide à Astark qui fit une révérence maladroite, comme on le lui avait appris. La cuisinière, et Coursive, sa femme de chambre, fondirent à la vue de l’enfant. Sa mère resta de marbre, se leva et corrigea sa position avec un regard calculateur.

 — Bachir savait déjà faire une révérence parfaite, et manger correctement à ton âge Astark. Courir le long du port et après les mouettes n’est pas ce que ton père et moi souhaitons pour toi.

 Le front du garçon se plissa quelques instants, puis avec une intelligence surprenante, il répondit, butant sur quelques mots.

 — Je suis le cinquième enfant, je ne régnerai pas. C’est vous qui l’avez dit. Je dois vraiment apprendre tout ça quand même ?

 Il décrocha enfin un sourire à sa mère.

 — C’est vrai, mais tout cinquième enfant que tu sois, tu restes le fils du Duc d’Arathor, et à ce titre, tu dois savoir te tenir. Tu te marieras et régnera sur ton domaine un jour.

 — Avec un port et des bateaux ? Demanda celui-ci soudain plein d’entrain.

 Sa mère avait retrouvé sa froideur habituelle et lui lança un regard glacé. Samie arrivait et déposa le goûter sur une table au milieu de la chambre. Ils passèrent l’après-midi à lui enseigner, à grand renfort de remontrances et de taloches, comment manger proprement.

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