Chapitre 1 - (3/4)
Les années passant, Astark approchait des neuf ans et maniait habilement son épée contre son maître d’arme, Bachir Bienportant, l’aîné de la famille. Ils se trouvaient dans la cour du château, à droite des écuries. Les gardes de la porte s’amusaient à voir le petit, et parfois l’un d’eux laissait échapper une remarque avant de se reprendre sous l’œil dur de l’aîné. Les graviers crissaient sous leurs pieds, un soleil de printemps timide commençait à éclairer le domaine. Les petites mains d’Astark peinaient à tenir son épée, et son frère était intransigeant, Astark devait apprendre à la manier d’une main. Alors ce dernier esquivait et laissait glisser les coups violents sur la lame plutôt que de les bloquer. Il se fit désarmer une troisième fois, et tomba à la renverse à même la caillasse saillante et humide. Il se retourna sur le dos, et observa un instant les oiseaux dans le ciel, avant d’être éblouie par le soleil. Les soldats qui patrouillaient sur la ronde des hautes murailles jetaient leur ombre déformées sur le sol. Ceci signa la fin de l’entraînement, non sans qu’il ne prenne un coup de l’épée en bois que son frère tenait.
— Plus souple le poignet ! Tu es trop raide, c’est pour ça que je peux t’ôter ton arme si facilement, assena-t-il pour la dixième fois ce matin.
Astark maugréa dans sa barbe et se contenta d’hocher la tête, il avait pris suffisamment de correction pour apprendre à ne pas être insolent envers ses aînés. Alors qu’il s’apprêtait à filer vers le bourg, le cadet l’attrapa.
— Viens ici toi, sinon c’est encore moi qui vais me faire rosser parce que tu me files entre les doigts, dit-il d’une voix lasse.
Au contraire de l’aîné, qui était l’incarnation de la noblesse et de tout ce qui peut représenter la fierté et la virilité, Charles était un garçon tranquille et réservé. Il aimait à s’occuper des chevaux, des oiseaux de proie et lire lorsque l’envie lui prenait. C’est tout naturellement qu’on lui confia l’éducation de son petit-frère sur la monte d’un cheval, et les soins de ce dernier. Astark, dont la taille ne permettait pas de caresser le museau de la bête, passait sa brosse sur son encolure.
— Vérifie bien la taille des étrons et leur couleur, c’est un excellent indicateur de la santé du cheval, ou des bêtes en général. Viens ici, dit-il alors qu’il s’agenouillait auprès de Drue, un cheval de chasse.
Astark abandonna sa brosse pour rejoindre son frère, fatigué des passes avec son aîné, il traînait des pieds, charriant le foin qui parsemait le sol.
— Tiens, prends-ça, commanda-t-il en lui tendant un pot en terre cuite d’onguent. Tu vas l’appliquer sur sa patte arrière gauche, regarde sa blessure ici.
Il l’observa un instant avant de l’arrêter.
— Non pas comme ça, arrête. Tu vas te prendre un coup d’arrière-train, regarde.
Il se plaça derrière la bête, et coinça la jambe de ce dernier entre les siennes, une fois calé, il appliqua le baume. L’animal remua sans faire d’esbroufe et s’ébroua lorsque Charles reposa sa patte.
— Allez, va chercher Maurier, on va faire un tour.
Les yeux d’Astark se mirent à briller, il n’aimait que trop partir en balade à cheval. Il hocha simplement la tête et se dépêcha d’aller lever le loquet du box. Charles l’aida à harnacher la bête, posant la selle et les rennes. Il prit son jeune frère par la taille malgré ses protestations et l’aida à se mettre sur la selle.
— Je peux monter tout seul maintenant, s’écria celui-ci piqué au vif.
— Tu es resté presque vingt minutes à essayer de monter la dernière fois, rétorqua simplement son frère, d’une voix monocorde.
Astark prit une inspiration et se retint de répondre, il estimait préférable d’être en tort que de se retrouver enfermé avec sa mère pour apprendre de nouveaux poèmes. Ces derniers temps, son aversion pour celle-ci n’avait fait qu’empirer. Elle ne l’appelait que pour lui faire copier des lignes, apprendre des textes ou réciter les villes du continent de Lancet.
Charles mit un pied à l’étrier, et d’un coup sec, se hissa sur la selle. Il mit Astark devant lui et éperonna doucement sa monture qui se mit au pas. Les gardes les observèrent soupçonneux.
— Nous nous rendons au bourg et serons de retour avant la nuit, inutile de nous accompagner, déclara Charles, et comme si c’était l’évidence même, il se mit en route sans attendre leur réponse.
Les sabots ferrés claquaient sur les pavés au sol, Charles expliquait à son frère le pas, le trot, le galop et lui donna les rennes. Ils descendirent une pente légère, bordé de chênes plantés ici à la construction du château. Des marchands, gens du château, et autres badauds montaient ou descendaient avec eux. Les carrioles remplis attirèrent les yeux d’Astark, parchemins, encres, viande séchées, bois de cerf. Des simples étaient séchées et attachées en bouquet, il reconnut l’achillée millefeuille, des lys, de la consoude, il n’eût pas le temps de tout regarder et dut se résoudre à reporter son regard sur la route.
— Tu te débrouilles bien, tourne à gauche ici, j’ai besoin de mycellanium pour le faucon de père qui a une serre infectée.
Astark, ravit par le compliment, et de pouvoir garder les rennes s’appliqua à la tâche. Ils s’arrêtèrent au devant d’un étal, et la femme qui le tenait reconnu les deux garçons aussitôt.
— Mes jeunes seigneurs ! Pourquoi ne pas avoir envoyé un message ? Je serai venu au château si vous désiriez quelque chose, s’exclama-t-elle de la voix chevrotante que les grands-mères ont, celles qui ont vu dix tempêtes sans jamais choir.
Charles mit pied à terre, et fit descendre Astark.
— Inutile Sophie, j’apprends à monter au petit dernier. — Il s’enquit de l’étalage en jetant des œillades maîtrisées. — J’en profite pour faire un détour, j’ai besoin de mycellanium, ajoutez-moi aussi les trompes de la mort que vous avez ici, demanda-t-il poliment.
Elle leur remit un panier que Charles promit de lui faire revenir dès que possible. Ils remontèrent, et ce dernier reprit les rennes, les mains d’Astark étant occupées par le panier. Celui-ci observait son contenu d’un œil curieux.
— Ca sert à quoi les trompettes de la mort ? Demanda-t-il après avoir soigneusement observé le champignon sous toutes ses coutures.
— Rien que je ne sache, j’aime juste quand Samie les fait griller avec du gras de bœuf, répondit celui-ci, le sourire aux lèvres.
Ils firent le chemin inverse, la pluie s’était invitée et elle faisait glisser les sabots ferrés du cheval sur les pavés. Ils firent un détour en empruntant la forêt, plus confortable pour chevaucher par ces temps-là. Ils quittèrent la route, passèrent à travers les grands chênes et s’enfoncèrent dans les hautes herbes. Astark se faisait secouer tandis que l’animal avançait au pas.
— Ton assiette Astark, suit le balancier du cheval, travail ton centre de gravité, c’est là que tout se passe, lui conseilla-t-il en voyant son frère bouger pour trouver une position confortable.
— J’essaye mais à deux sur une selle, c’est pas évident, fit-il remarquer, agacé par ces conseils qu’il connaissait déjà.
Les herbes bougeaient à leur droite, et un petit museau fit son apparition, reniflant les voyageurs.
— Un marcassin, nota Charles d’une voix peu rassurée.
Astark hocha la tête, et ne répondit pas, tout deux savait ce que cela signifiait. La laie, leur mère, n’était pas loin, et avec les petits si proche elle se montrerait agressive. Ils continuèrent au pas, tâchant de ne montrer ni peur, ni agressivité. Loin au devant, ils virent le sanglier allongé au sol allaitant trois de ses petits. Elle se redressa brusquement à la vue du cheval. Ses yeux porcins fixèrent les deux frères avec une intensité dans laquelle on lisait sa fureur. Son corps massif se mouva avec souplesse, elle se mit à charger, ses sabots martelèrent le sol à une vitesse vertigineuse. Sur le point de s’écraser contre le cheval, celui-ci fit une cabriole, projetant Astark au sol. Il dégringola dans la terre en pente, et roula sur quelques mètres, se protégeant le corps et le visage du mieux qu’il put. La laie reprit sa charge folle vers le cheval qui fit une nouvelle cabriole pour l’éviter, avant de détaler, emmenant avec lui son frère qui regardait la scène impuissant.
Astark se releva, mais ses jambes refusèrent de bouger, il était comme paralysé et vit la laie charger vers lui de toute sa puissance. S’il l’encaissait, aucune herbe ne le ramènerai, pas même le plus puissant des mages. Il plongea vers la droite, évitant le martellement des sabots, le museau de la bête vint se plonger dans son estomac sur un vif revirement. Plié en deux, il eut à peine le temps de voir la bête frapper le sol qu’elle revenait déjà à la charge. Le souffle coupé, Astark ne put que regarder l’animal en furie et mit ses deux bras autour de sa tête en se préparant à l’impact. Son ventre fut empreint d’une chaleur soudaine qui gagna son corps à la vitesse d’un cheval au galop. Il crut un instant que le coup avait touché et qu’il en ressentait la douleur. Il entrevit tout autre chose. Il tissa son premier Lien, vers la bête qui chargeait et qui s’arrêta subitement au milieu de sa course. Des sensations qui n’étaient pas les siennes l’envahirent, la peur du sanglier, sa colère, l’instinct maternel. Un filament dorée flottait, comme suspendu entre eux, fantomatique apparition qui ondulait dans un rythme régulier. Et puis, une douleur saugrenue le força à se plier de nouveau, il échappa un cri déchirant, la pointe qui lui perçait le ventre et qui s’insinuait dans ses os le prostra dans une position grotesque. Elle s’atténua aussi vite qu’elle était apparue pour laisser place à un souffle haletant. La laie, qui avait vécu cette interaction par le biais du Lien, était tombé à la renverse, inanimée.
Il n’eut pas à attendre longtemps avant que la garde n’arrive, le Duc à sa tête. Charles était blême, ses épaules retombèrent lorsqu’il vit son frère vivant, son teint ne s’améliora pas cependant. C’était comme s’il avait joué sa propre vie. Barthélémy, Duc D’Arathor, n’était plus le souverain mais un père désespéré à l’idée d’avoir perdu un fils. Il descendit si vite de sa monture qu’il s’agrippa un pied dans l’étrier, le faisait chuter grossièrement. Il n’en eût cure et se rua sur Astark qui reprenait toujours son souffle, le teint blafard. Il le serra si fort dans ses bras que son fils toussa en manquant de s’étouffer. Il relâcha aussitôt son étreinte et l’observa sous toutes les coutures, son torse violacé dévoilait une ou deux côté cassées. En dehors de ça, des écorchures, de la terre et des bleus. Le Duc expira tout l’air du monde de ses poumons, ce dernier était chaud, presque brûlant. Il sentis la présence de son père plus proche qu’il ne l’avait déjà été, comme si leurs propres consciences se côtoyaient. Il y trouva quelque chose de rassurant, il se laissa aller à la douce et insistante proposition qu’il lui faisait, et sombra dans un sommeil imposé.
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