Chapitre 1 - (4/4)

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 À partir de cet instant, il fut interdit aux deux frères de quitter le château seuls. La récupération d’Astark se passait bien. Selon le guérisseur, il n’en garderait aucune trace visible, mais sa respiration en serait peut-être affectée dans le futur. Dispensé de ses leçons d’escrime et d’équitation, il passait ses journées à lire auprès de sa mère, ce qui avait le don de le contrarier. Il se surprit lui-même à montrer chaque jour la force de se présenter, de lire, réciter, et écrire tous ces poèmes et légendes. Sa mère lui fit relire la Geste de Sardin, le premier magicien du Lien. Pour la dixième fois, il la répétait, et cette fois-ci sans erreur.

“—A venir—”

 Aux derniers mots, sa mère consentit enfin à le laisser sortir, non sans une dernière leçon d’hygiène. Un baquet d’eau chaude parfumée fut porté, et chaque partie de son corps soigneusement récurée, sous l’œil attentif des servantes. Astark, dont la croissance n’était pas restée muette, protesta pour sa pudeur.

 — Une toilette léchée est le minimum exigée pour quelqu’un de ton rang. Dès demain, tu commenceras tes leçons avec maître Marssif. Il se déplace peu à cause de son grand âge. Tous les enfants des seigneurs de province convergent là où il se rend. Nous aurons table ouverte comme l’exige la coutume, et tu seras des nôtres au repas. Tâche de bien te conduire, et ne pas couvrir ton père de honte, commanda-t-elle sèchement.

 Astark hocha la tête, le ventre noué. La douleur qui l’avait saisit lors de sa première utilisation du Lien était gravé aussi nettement que les bêtes frappées au fer rouge. Celle-ci avait été fugace, mais si violente qu’il redoutait de devoir y faire appel de nouveau.

 C’est aux aurores qu’il dû se lever pour accueillir le vieux maître et la troupe des seigneurs provinciaux qui venaient profiter de son enseignement. Ses long cheveux avait été noué dans un chignon serré par l’épingle d’Arathor, symbole de sa haute naissance. Il avait été affublé d’un pourpoint rembourré aux épaules, bleu marin, aux couleurs de sa maisonnée. Une élégante ceinture en cuir venait le serrer, sur laquelle était enchâssé de gros topazes sur des montures d’or. Ses frères n’étaient pas en reste, Nassar profitait de chaque occasion pour sortir ses plus beau atours. Une frange blanche et fripée ornait son cou, un pourpoint bleu azure, qui tranchait avec la couleur d’Arathor, et une paire de botte d’une facture unique. Sa cape vert émeraude venait compléter sa tenue, qui, même Astark en convenait, était superbe. Le maître qu’on disait trop vieux pour voyager avait pourtant un pas vif et assuré lorsqu’il pénétra dans l’enceinte. Son visage était marqué par des rides sévères, ses yeux viraient au blanc et ne distinguaient plus grand chose. Son aura, cependant, pointait tout autre chose. Si l’âge avait affaiblit son corps, son esprit et son Lien étaient restés vigoureux, suffisamment pour qu’on distingue nettement le feu intérieur qui l’animait. La matinée protocolaire fatigua Astark qui se désintéressait de ces choses, il appliqua cependant à la lettre l’étiquette, et personne n’eût de reproche à lui faire. Sa mère lui fit même un regard approbateur, ce qui de sa part signifiait plus que n’importe quel compliment.

 Ainsi, dès le lendemain commencèrent ses premières leçons pour exploiter ce dont le commun rêvait secrètement. Il retrouva les jeunes seigneurs dans la cour, ainsi que ses frères. Ces derniers pratiquaient déjà, on pouvait voir et sentir la fournaise que devenait leur corps au maniement du Lien, Bachir s’arrêta en nage et reprit son souffle. Le maître les laissa et se dirigea vers les nouveaux-venus.

 — Mes seigneurs, c’est un plaisir pour moi de pouvoir enseigner à de jeunes talents tel que vous. Vous vous rendrez vite compte que le maniement du Lien est une discipline complexe à laquelle peu de gens peuvent prétendre, même lorsqu’il sont capable de le voir, et de le sentir. Néanmoins, j’ai l’assurance de faire de vous à minima des sorciers, peut-être même un mage se cache-t-il dans cette petite troupe, ajouta-t-il avec un rire de condescendance. Je n’y compterai pas trop à votre place, mais rien n’est impossible pour celui qui travail dur. Notre premier exercice est simple, mais peut s’avérer dangereux, vous devez trouver le Lien qui se cache dans votre corps, le ressentir, faire monter la cheminée en température. Ce n’est que lorsqu’elle sera bouillante que vous pourrez espérer manipuler un tant soit peu le monde autour de vous. Je passerai dans les rangs, et apposerait mes mains sur ceux qui dépasse un seuil dangereux, ne résistez pas à mon intrusion, je ne serai-là que pour vous aider à arrêter le feu qui sommeillait en vous jusqu’à maintenant.

 Son bâton de mage frappa la terre dans un son métallique et retentissant, tout le monde sut que l’introduction était terminé. Les élèves en introspection, le vieux maître entama une balade tranquille à travers les rangs. Certains montrèrent un talent inné, ou une expérience passé, puisqu’ils expirèrent un souffle chaud presque aussitôt. Le maître approuva de la tête, son regard se tourna vers Astark qui cherchait quelque chose sans pouvoir le trouver. Il avait beau se concentrer, il n’entrevoyait que son ventre, parfois un gargouillis qui lui rappelait l’interdiction de manger avant l’entraînement. Une douleur éphémère le prenait lorsqu’il respirait, il l’attribua à ses côtes récemment ressoudées. Il essayait de ne pas penser à la pointe qui l’avait prit lors de son premier Lien. D’autres commençaient à s’échauffer, il fit un effort pour se recentrer sur lui-même. Les minutes passaient, le soleil matinal brillait à présent sur la cour. La brume qu’il expirait ne l’aidait pas à imaginer ce concept brûlant, et voir les autres réussir comme s’ils récitaient un poème ne fit que renforcer sa propre incapacité. Au lieu de chercher dans son corps, son esprit travaillait à toute vitesse, la chaleur qui s’empara de son ventre n’avait rien à voir avec le Lien, et tout à voir avec la honte. La séance continua, le maître ne fit aucun commentaire, pas plus que ses étudiants. Cependant, quelques regards indiscrets, porteur de leur supériorité, s’étaient posé sur Astark à plusieurs reprises. Les séances suivantes ne furent en rien différentes pour lui, mais au combien plus douloureuses. Les regards inquisiteurs s’étaient transformé en rire discrets, et bientôt, il fut seul à s’appliquer sur la montée en température. Les derniers avaient commencés des applications plus concrètes, tandis qu’il continuait de buter sur l’étape la plus simple, selon Marssif, le vieux maître.

 Vint un moment où il accepta simplement l’idée de n’avoir jamais eu le Lien. Qu’il ne devait sa survie en forêt qu’à un coup du destin et qu’il pourrait parfaitement vivre sans. C’est à cet instant précis qu’il l’aperçut, une faible étincelle. Un tout petit rien auquel il s’accrocha de toute ses forces. Son corps s’enivra d’un soleil brûlant et rapidement une douleur aiguë le fit se plier en deux. Ce n’est qu’après avoir relâché ses efforts qu’il pu reprendre son souffle. Il hoqueta tout en tenant son ventre encore secoué de léger spasmes. Le maître avait regardé de loin, il s’approcha sans se presser, et s’accroupit en chuchotant.

 — Jeune homme, si tu ne peut supporter de t’échauffer ainsi, sache que tu ne pourras jamais exploiter ton Lien.

 Ses parole étaient brutales, encore plus pour un enfant à qui l’ont promet monts et merveilles depuis l’âge de sa mémoire. Il tirait un certain plaisir à montrer que lui seul était mage, et que le maniement du Don n’était réservé qu’à une élite dont il faisait partie.

 Astark se releva en forçant plus que d’habitude sur ses jambes. Il fixa le maître droit dans les yeux et reprit ses exercices. Une colère farouche s’était emprise de lui, il ne lui ferait pas le plaisir d’abdiquer. Leurs regards plantés l’un dans l’autre, Astark ne flancha pas. Son entêtement cependant acheva de faire disparaître l’étincelle qu’il avait entrevue, les rires devinrent des paroles discrètes tandis qu’on le suivait du regard. Le jeune Astark faisait tout pour ignorer cette déconfiture, et même si les larmes venaient, il tâchait de les retenir, et de se concentrer sur son entraînement. Son père lui répétait toujours que l’exercice ne faisait jamais défaut à un homme, que le travail acharné récompensait celui qui s’y dévouait. Son frère, Bachir, faisait taire les arrogants et les médisants quand il le pouvait, mais vint un jour où même lui se tu. Il posa sa main sur l’épaule d’Astark alors que de grosse larmes roulait sur les joues de ce dernier. Il essayait, il avait tout essayé, ressentir, réfléchir, forcer, accepter, expulser, se réchauffer, mais il n’y trouvait rien d’autre que sa propre défaillance. Les jeunes seigneurs ne se cachaient plus, le maître non plus.

 — Jeune maître, bien que ça soit inhabituel pour quelqu’un de votre rang, vous n’avez pas le Lien j’en ai peur. Vous voir forcer ainsi ne fait que renforcer la honte qu’éprouve vos parents. Pensez qu’en plus de vous loger et nourrir, il doivent gérer votre échec, est-il indispensable de continuer à leur infliger cela ? Dit le vieux maître d’un ton doucereux, presque menaçant.

 — Je ne crois pas qu’un tel affront puisse-être lavé, s’amusa une jeune fille, héritière de la comtesse de Carret.

 Le jeune garçon ne répondit pas, et s’il n’en montrait rien, sa confiance s’effondrait sur elle-même. Des pas sec et rapides qu’il reconnut instinctivement se répercutèrent dans le hall derrière lui.

 — Je vous conseil de rester à votre place Amélie de Carret, le Duc n’a jamais éprouvé de pitié pour quiconque médit d’Arathor, allié comme ennemis. Votre père profite de sa protection, pas l’inverse, et je vous conseil de ne pas l’oublier. J’irai le lui rappeler, en espérant qu’il puisse corriger votre conduite honteuse. Vous êtes ici invitée, nourrie, logée et vous vous permettez d’attaquer ouvertement les murs qui vous tiennent au chaud ?

 La mère d’Astark se tenait derrière lui, la femme de château qu’il connaissait avait disparue. Son passée de guerrière se dévoilait sans qu’aucun ne puisse en douter, sa stature haute et sa rigidité naturelle donnait la vue d’un gardien qui se dressait derrière son fils. Son Lien irradiait si fort que le vieux maître intervint auprès d’elle.

 — Ma Dame, je ne pensais qu’à votre rang et votre réputation, qui n’est plus à prouver. Tous savent votre valeur et votre dévouement, le clan de la Calmie n’aurait jamais été ce qu’il est sans vous.

 — Cessez vos babillages, je ne suis pas intéressé par vos pirouettes Marssif. Si vous n’étiez pas le seul maître de la région, nous nous passerions de vos services. Reprenez, vous n’êtes pas payé pour donner votre avis, mais pour enseigner.

 Sur ces mots, elle tourna le dos et retourna dans le château, laissant le vieux maître livide de colère. Amélie était pétrifiée, ses mains tremblaient, Astark ne sut dire si elle était furieuse de l’outrecuidance de sa mère, ou si elle redoutait la sanction de son propre père. Le bruit suffisant qu’elle fit en se retournant lui donna la réponse, elle était scandalisée et ne manquerait pas d’en parler à qui de droit. Le silence qui suivit donnait à penser qu’une tempête s’était engouffrée en traversant la cour avant de disparaître. Une bouffée de fierté pour sa mère envahit le jeune garçon, elle portait pour chacun de ses enfants un amour indéfectible, même si la preuve n’en était pas toujours évidente.

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