Chapitre 2 - (3/3)
L'homme posa ses mains sur ses cuisses pour s'aider à se relever. Il poussa un soupir de douleur avant de s'étirer en regardant Astark.
— En route, laisse tes vêtements ici, laisse ton identité ici. Le jeune fils du Duc d'Arathor est mort, retrouvé égorgé le long des berges où il aimait se promener. Nous allons rejoindre ta famille d'adoption, tu es le fils d'une cousine éloignée décédée il y a peu, et ces gens t'accueillent de bonté de coeur. Tu devras taire à jamais celui que tu as été, puisqu'il n'est plus, conclua-t-il en accentuant les derniers mots.
Astark hocha la tête, n'était-ce pas précisémment ce qu'il avait désiré quelques heures plus tôt ? Faisant mine de ne pas comprendre ce qu'un jeune homme dépossédé de son identité pouvait ressentir, l'assassin continua.
— Tu t'appelles Robin, fils de Mme Poitvin qui gérait les vignes du domaine d'Avassir, un vin réputé et vendu jusqu'à la table du roi. Ses deux fils, redevables au Duc ont accepté sa proposition, ils t'offrent une éducation, le gîte, le couvert. Après tes treize ans, tu seras libre de faire ce que tu veux.
L'assassin baissa la tête avec un sourire qui s'apparantait à une grimace. C'était la fin des explications, Astark avait l'habitude de pressentir ces choses. Il récupéra une cape de voyage sur l'instruction de l'homme, même si son grondement en référait plutôt à l'ordre.
— Vous ne m'avez toujours pas dit qui vous êtes, dit Astark en se baissant pour récupérer son vêtement.
— Et qu'est-ce qu'un gamin vigneron ferait de mon identité ? En plus d'être une menace pour le roi, tu en deviendrait une pour moi aussi. Ne pose pas de questions dont la réponse ne t'apporterait rien, ton père a dû te l'apprendre.
— Il m'a aussi apprit à me présenter lorsque je discute avec quelqu'un, et ce peu importe ce qu'il est, pêcheur, agriculteur ou porteur, répliqua Astark piqué au vif.
Il reçut une claque bien sentie sur la joue pour son impertinence. Le bruit amplifié par le tunnel se répercuta encore quelques secondes. Il y eut un silence pendant lequel Astark planta ses yeux dans ceux de l'assassin, qu'avait-il encore à perdre, pensa-t-il farouchement.
— Le jeune fils du Duc est mort, tu n'es rien d'autre qu'un paysan, alors conduis-toi comme tel. En avant, fit-il avec un geste de la tête.
Astark prit la tête pendant que son accompagnant se saisissait d'une torchère. Ils continuèrent leur chemin dans un tunnel plus travaillé, des étais en bois soutenaient l'excavation, des sillons creusés par les charrettes formaient une longue ligne. Même s'ils avançaient tête baissée, leur périple était bien plus supportable. Au premier croisement, l'homme qui avait enlevé son capuchon prit sur la droite et s'arrêta, barrant le passage à Astark.
— Nous allons sortir, souviens-toi de ce que je t'ai dis. Tu es un paysan, tu ne sais ni lire, ni écrire. Tu ne connais des poèmes que leur nom, et des ville que les tavernes.
Toujours rancunier pour l'affront qu'il avait subi quelques secondes plus tôt, Astark ne répondit pas. Son visage figé fit soupirer l'homme qui reprit sa route. La terre sèche laissait place à un sol humide, la pluie s'était infiltrée jusqu'ici. Leurs pas produisaient un bruit de succion, arrachant presque les bottes d'Astark, trop grandes pour lui. La lumière pointait à une centaine de mètres, l'homme éteignit sa torche qu'il laissa dans le tunnel.
— Reste ici, je vais sortir le premier, je sifflerai si tu peux venir, lança-t-il.
À nouveau, Astark ne répondit pas, mais obéis, la douleur et l’humiliation encore présentes. C'était inutile, puisque son compagnon avait avancé sans attendre de réponse. Le jeune homme s'appuya contre un linteau de bois mangé par les insectes. Il attendit patiemment que la silhouette disparaisse, puis attendis encore ce qui lui sembla être de longues minutes. Enfin, un sifflement porta jusqu'à lui, se répétant dans l'étroitesse du couloir vide. Avec la nonchalance de celui qui se plie aux ordres sans en avoir l'envie, il reprit son chemin. De nombreuses empreintes de bottes tapissaient l'entrée, il dut se couvrir les yeux en sortant tant le soleil éblouissait la prairie encore trempée par la pluie nocturne.
La flaque de sang qui tapissait l'herbe tachait le paysage pourtant idyllique. Paysage qu'Astark venait souvent contempler ; les hautes herbes qui se pliaient aux vents contraires de la côte ondulaient comme à leur habitude. C'était la troisième fois en deux jours qu'il voyait les yeux d'un homme agonisant. Le vent qui menait un assaut constant lui rappela sa propre présence. Il n'était pas sûr d'avoir peur, encore moins d'être horrifié. Pas qu'il était heureux de voir un homme se débattre face aux serres de la mort, mais il ne débordait pas d'affection pour celui qui, quelques minutes plus tôt, l’avait giflé. C'est le rire nasillard qui ne cessait pas, qui acheva de former l'émotion qui devait exploser dans le vortex où toutes tournoyaient depuis si longtemps.
Nassar, dans son pourpoint bleu azur affichait un rictus désagréable, son rire était détestable. Il était faux, ce n'était qu'un autre moyen qu'il avait trouvé pour quérir l'attention des autres. Son beau visage juvénile avait vu apparaître sa première barbe quelques mois plus tôt. Il l'arborait fièrement, ses nouvelles épaulettes lui conféraient une carrure emprunté.
— Achève le, Brandir, cet homme m'a toujours été détestable, dit Nassir en regardant ses ongles, l'air ennuyé.
Sans répondre, le susnommé, planta son épée dans le cœur de l'assassin qui eut un dernier soubresaut avant de retomber mollement. Astark aurait dû être terrifié, fuir, tenter sa chance, tout abandonner, mais la fureur qui coulait dans ses veines réprimait tout instinct. Le meurtrier était une penderie à lui seul, nul besoin d'artifice pour gonfler sa carrure. Son visage inexpressif s'anima alors qu'il retirait l'épée du corps en la faisant dodeliner, comme s'il ne pouvait la retirer d'un coup.
Son frère porta finalement son attention sur Astark avec un regard de dégoût.
— Le Magirien, un incapable doublé d'un idiot que père tente de sauver en nous condamnant tous. Tu aurais dû être exécuté et jeté dans un fossé dès la première journée du maître Marssif. Tu as forcé mère à s'humilier, notre père à lancer des actions désespérées susceptibles de tous nous faire tuer pour ta misérable vie.
Astark ne bougeait pas, ni n'écoutait, ses tempes battaient, il ne voyait rien d'autre que Nassar, qui babillait ce que Dieu pouvait lui souffler. Le sinistre brasier qui s'était emparé de son âme n'était pas Lien, c'était une colère pure, débridée, le caprice d'un enfant qui savait manier une épée. Il s'élança sans écouter davantage, se ruant sur le molosse. Il agrippa fermement la poigne de l'épée au fourreau et tira de toute ses forces. Rien ne vint, ses pieds décolèrent du sol, l'armoire l'avait attrapé par le col et le soulevait comme un chiot.
Un rire nasillard plus franc, vrai celui-ci, éclata derrière-lui.
— Tu pensais sincèrement pouvoir me toucher ? s'exclama-t-il hilare.
Il se ravisa presque aussitôt.
— Misérable rat, ragea-t-il en écrasant son poing sur la maigre tête d'Astark.
Un filet de sang s'écoula depuis l'arcade de celui-ci, ce n'était pas la première fois qu'il prenait une correction aussi violente. Il planta ses yeux dans ceux de Nassar en signe de défi. Il prit un autre coup, un deuxième, puis un troisième, Nassar passait une rage qui l’habitait depuis longtemps. Il assena un dernier coup, essoufflé. De sa main propre, il sortit un mouchoir et le passa pour nettoyer le sang qui l’avait éclaboussé. Il jeta le linge au sol, et passa sa main dans ses cheveux, pour leur redonner forme. Il expira avec le calme d’un homme qui sort de la chasse, celui qui a accompli son devoir et peut faire face aux siens.
— Ne t'inquiète pas, petit-frère, tu ne vas pas mourir ici. Père ne me pardonnerait pas, il saurait avec ce stupide Lien si jamais tu devais perdre la vie ainsi.
Il se triturait les mains, comme s'il faisait ce genre de choses pour la première fois et qu'il était tiraillé entre l'excitation et la dangerosité de ce qu'il entreprenait.
— Non, je vais te faire disparaître, et ainsi tu ne seras jamais une menace pour notre famille. Dans un lieu où personne n'ira te chercher, personne n'écoutera tes stupidités et où jamais plus je n'aurais à revoir ta tête ! Je fais ça pour notre famille tu sais, je sais que tu dois m’en vouloir, et accomplir ce devoir me peine, mais il doit en être ainsi.
Il justifiait ce qu’il entreprenait, comme s’il craignait que la morale ne vienne s’abattre sur lui. Ses derniers mots l’avaient rendu extatique, il accomplissait un grand dessein, il en était persuadé. Il approuva cette pensée d'un geste de la tête et fit signe à son homme de main, qui mis un coup sec sur la tête d’Astark. C’était inutile, l’enfant avait perdu conscience dès les premières minutes. Il fut ballotté comme un linge sale à travers la campagne.
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