* Chapitre 3 (1/4)
Il se réveilla sous une gerbe d'eau froide et salée, il souleva ses paupières en décollant le sang qui les scellaient. Ses oreilles carillonnaient, sa tête prise dans un étau lui martelait les tempes. Le monde flou se fit plus net, il frissonna. Le vent qui filtrait à travers les planches colla son vêtement mouillé sur son torse frigorifié.
Dans un pur réflexe, Astark se recroquevilla sur lui-même, emprisonnant la chaleur corporelle qu'il possédait encore. Ses dents claquaient dans un rythme irrégulier, il osa jeter un coup d’œil autour de lui. Un plancher, des barreaux, et le ballottement des flots. Il avait été mis aux fers, ses parents qui lui avait toujours refusé de monter sur un bateau, voilà que son frère avait exaucé son souhait, railla-t-il intérieurement. L'ironie qu'il trouvait à sa situation lui donna le courage de s'asseoir, le dos contre les barreaux.
Son corps suivait involontairement le mouvement du bateau. La mer était agitée, le vent soufflait fort et il pouvait entendre les voiles claquer plus haut. Une gerbe d'écume s'engouffra à travers les interstices de la coque, l'aspergeant une nouvelle fois. Dans une torpeur proche de l’inconscience, il apprécia son immobilité, son absence de réaction, tout était moins douloureux ainsi.
De grosses larmes rondes coulèrent, la mort aurait été préférable songea-t-il. Un frisson violent le secoua, il retomba sur le sol, anéantissant ses maigres efforts. Il eut un rire pour lui-même, l'étincelle du Lien était là, aussi inutile que forte. Délire de fièvre, ou réalité interprétée, il s'y glissa, au creux d'une couverture blanche, dans les bras de sa mère qui chantait doucement. Les calmes flots l'accueillirent, il n'avait plus froid, plus chaud, tout s'estompait. Le sourire qu'il fit à cet instant n'avait pas arqué ses lèvres depuis trop longtemps.
Les hurlements plus haut le sortirent de sa léthargie, son corps douloureux refusait de bouger, mais il refusait aussi d'abandonner. Par deux fois il avait accueillit la mort, par deux fois il se réveillait dans une chair meurtris, glacée et brisée. Les formes floues autour de sa cellule s'agitaient, des échanges qu'il ne parvint pas à déchiffrer alternaient entre cris et grognements. La porte s'ouvrit, un homme d'âge mur avec un ventre proéminent se saisit de lui comme d'un paquet, Astark se débattit en agitant faiblement les bras. Il voulu crier mais ne réussit qu’à tousser. Son convoyeur le cala solidement sur son épaule, Astark laissa retomber sa tête. L'homme écarta son visage avec un air de dégoût, il se hâta de peur d'attraper la gale ou ce que ce malheureux pouvait transporter. Il le lâcha sur l'unique ponton du port. Astark s'écrasa, son épaule émit un craquement, la douleur le fit basculer dans une semi-conscience. Il changea de bras, à nouveau, il fut soulevé sans ménagement, son porteur pesta, s'il devait charrier un cadavre, qu'on l'emmène de suite aux corbeaux. Astark observa l’île où ils avaient jeté l’ancre en dodelinant de la tête.
Un haut pic rocheux, où des arbres avaient réussi à pousser en formant des angles étranges, un maigre escalier taillé dans la roche où ils s’étaient engagé composait l’endroit. La prison du Gardien Corbeau, ce pic célèbre visible depuis la côte de Castel-Neuve servait à faire peur aux enfants. Disait-on que le gardien venait chercher ceux qui rechignaient à leur assiette et se montraient insolents.
Samie ne cessait de lui répéter, qu’un jour le gardien viendrait, qui aurait cru qu’il finirait vraiment ici, songea Astark dans un rire qui fit peur à son porteur. Chaque marche arrachait à ce dernier un râle d'effort, son bras passait vivement d'une attache à l'autre pour se hisser. Son souffle s'accélérait, il peinait dans la montée et s’arrêtait régulièrement haletant. Le vent frais de la mer soufflait plus fort, et celui-ci fit relever la tête au jeune homme qui inspira ce qu'il pouvait avant de tousser. Son porteur faillit le lâcher tant il redoutait ce que le petit pouvait transporter.
Les marches s'arrêtèrent enfin, Astark écouta le sinistre bruit d'une grille qui ne s'ouvre que trop rarement, et un pas mal assuré qui descendait de nouvelles marches. Il renifla l'odeur familière des torchères, une chaleur caverneuse et l'odeur nauséabonde de la crasse renfermée s'y mêlait. Le jeune homme se laissait faire, il avait décidé d'abandonner, toute forme de foi qui avait pu l'animer s'était éteinte. Il finirait ici, où ailleurs. Le grincement d'une lourde porte en bois, et le contact douloureux de la pierre froide interrompit ses questionnements. Ce serait ici.
Il était réveillé depuis quelques heures déjà. Ses yeux restaient obstinément fermés, niant la réalité qui était la sienne. Des pas rapides et légers perturbaient régulièrement le silence des geôles. D'autres pas, plus lourds, imputables à un homme bien bâti passaient parfois, on l'entendait faire grincer une porte et repartir. Les pleurs et les cris étaient le commun de l'étage où se trouvait Astark. Le guichet de sa cellule s'ouvrit, une main ridée déposa une grosse miche de pain sec et une timbale d'eau trouble. Pour la troisième fois, il laissa son repas où il était, mais interpela l'homme avant que la trappe ne se ferme.
— Monsieur..., supplia-il trop faible pour articuler davantage.
Le guichet se referma dans un claquement métallique. Astark retomba dans sa léthargie, son ventre grondait. Il s’en voulait d’avoir cédé à l’obtention d’une pitié vaine.
Sous les assauts de son ventre, de sa bouche salivante, il ouvrit les yeux pour la première fois. Ignorer l'appel de la vie est une chose , ignorer l'avertissement de la mort en est une autre. Même le plus discipliné des hommes ne peut résister à la douleur de la faim, à l'instinct qui aboie ses ordres auquel le corps s'empresse d'obéir. Il se jeta sur la miche de pain, se demandant lui-même pourquoi il y tenait tant, croquant à pleine dents, salivant ce qu'il lui restait d'eau. La miche était sèche, amère et salée, son délicat palais de noble n’avait pourtant jamais connu plus douce sensation que celle-ci. Celle du pain qui descend le gosier de l'homme affamé, de celui qui aurait volé, tué, pillé pour assouvir le vide qui aspirait son estomac. Il continua à mâcher, s'aidant de la cruche pour faire passer la pâte sèche. Il ne put finir son quignon et retomba sur les pavés du sol, pour la première fois depuis son départ, le sommeil le prit. Tourmenté par des cauchemars, il voyait son frère dague à la main, riant à gorge déployée, lui assenant un coup, puis un deuxième, au troisième il se réveilla en sursaut.
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