* Chapitre 3 (2/4)

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 La gorge moite, douloureuse et sèche, il s'empara de la timbale qu'il vida d'un trait avant de retomber. Il se dégoûtait lui-même, incapable d'utiliser le Lien, incapable de se laisser mourir. Il observa sa cellule, que pouvait-il faire d'autre ? Les lueurs timides des torchères s'infiltraient à travers l'ouverture barrée de la porte. Réalisée dans un assemblage grossier de chêne massif, elle n'en était pas moins solide et bien enfoncée entre les murs. Du reste, il n'y avait rien, une paillasse, et des pierres. Les pieds des prisonniers avaient polis les pavés au sol, qui reflétaient les lueurs changeantes des torches.

 Il retomba en essayant de se lever, son corps entier criait famine, il tâta son arcade douloureuse et gonflée avant de se tirer jusqu'à la paillasse. Il se laissa retomber, le corps a moitié soutenu par le foin. Ce dernier sentait le renfermé, mais aussi la mort, odeur indélébile qui frappait celui qui l'avait côtoyée.

 Des jours, des heures, peut-être des mois, il n’en savait rien. Tous les soirs, on lui tendait son repas, et il interpelait le gardien. Était-ce la discipline, où la monotonie de sa tâche qu’il effectuait chaque jour ? Il n’eût jamais de réponse, jusqu’à un soir, ou prit de pitié de voir un enfant dans pareil état, il déposa une grande cruche d’eau claire, du pain frais et un reste de fromage.

 — Pour ta bonne conduite, se justifia-t-il, pour ne pas dévoiler ses propres faiblesses.

 — Merci…, dit Astark d’une voix qu’il peina à maîtriser.

 Celle-ci se perdit dans des hoquets incontrôlés, c’était la première fois qu’il recevait une marque d’affection. Le gardien grogna pour toute réponse et referma le guichet. Astark observa la porte les yeux mouillés, il aurait fait n’importe quoi, serait devenu n’importe qui pour celui qui venait de lui apporter la preuve de son existence. Il dévora à pleine dent le pain frais, engloutis le fromage et vida la cruche d’eau plus vite qu’il n’aurait dû. Son quotidien s’améliora un tant soit peu, sa fièvre retombait, ses jambes tremblaient, mais le soutenait. Chaque fois que le guichet s’ouvrait, Astark observait le gardien à travers la fenêtre de sa cellule. Il était plus gros que grand, les rides avaient taillées dans son vieux visage la peine qui l’habitait.

 — Recule, grogna-t-il en voyant Astark aussi près de la porte.

 Il s’exécuta.

 — Monsieur par pitié, j’ai juste besoin de parler, d’entendre une voix, je n’ai rien fais, je vous supplie de me croire, se lamenta-t-il.

 — Personne n’arrive ici par hasard, jugea son interlocuteur d’une voix bourrue en déposant le plateau.

 — Vous avez raison, d’autres sont ici par pure trahison, répliqua Astark d’une voix empruntée à la Haine.

 Le geôlier se releva, Astark le vit hausser les épaules et repartir. Son propre gardien représentait désormais son seul répit, il attendait chaque jour le repas avec impatience. Dès que son pas lourd descendait les escaliers, il se précipitait au guichet et parvenait à lui arracher quelques paroles, lesquelles tournaient encore et encore jusqu’au lendemain.

 — Vous avez mauvaise mine, dit Astark en l’observant à travers les barreaux.

 — Je suis fatigué, voilà-tout. J’ai toujours meilleure mine que toi, fit-il remarquer.

 Astark secoua la tête.

 — Ce n’est pas ce que je voulais dire, renchérit-il dans l’espoir de déclencher quelque chose.

 L’homme grogna, il ressemblait aux vieux chiens de chasse qui dormaient dans l’écurie d’Arathor.

 — J’ai perdu mon fils il y a plusieurs mois, la seule chose que j’avais réussi de cette vie de gougnafier, fit-il en se relevant. Maintenant tais-toi et laisse moi en paix.

 Il referma la guichet et continua sa tournée du même pas lent. Astark eut du mal à compatir, sa propre situation le rendait parfaitement hermétique aux autres problèmes. Les repas passaient, il eut le droit à de nouvelles petites attentions. De la venaison séchée, du fromage frais, l’état du gardien allait de mal en pis. Son pas lent était devenu claudicant, la moitié de son visage était affaissée, inexpressive.

 — Prenez soin de vous, priait sincèrement Astark chaque fois qu’il refermait le guichet.

 — Tu as seulement peur que plus personne ne prenne soin de toi, répliqua celui-ci fatigué. Les mômes c’est comme les clébards, ça vous suit partout et un beau jour qu’il n’a rien à manger, ça vous chique le mollet sans prévenir.

 Astark ne répondit pas, ça n’était que trop vrai, s’il éprouvait de la gratitude envers son geôlier, elle était loin de surpasser l’aversion qu’il avait pour cet endroit. Ce gardien était une deuxième porte de chair, derrière les barreaux de fer.

 Vint le premier soir où il n’eut pas de repas, personne n’eût de repas. Ce n’est que le lendemain qu’un pas plus vif, neuf et remplit d’entrain s’aventura dans les couloirs sombres des geôles. Il eut une miche de pain sec, une timbale d’eau trouble, et le guichet se referma.

 — Monsieur, dit Astark d’une voix forte en se collant à la porte.

 Ce dernier s’éloigna sans se préoccuper de lui et continua sa tournée. Il n’eut pas de peine ni de tristesse pour celui qui lui avait apporté le réconfort. Seulement du chagrin à perdre ces quelques avantages durement gagnés. Ces conversations disparues, ses pensées revinrent le hanter. La tête calée sur sa paillasse, il restait à regarder le plafond. Chassant l'assaut sans répit de ses émotions tourmentées qui volaient autour de lui, attendant le moment opportun pour le briser une fois de plus. Les heures passaient, son esprit assaillit de toute part s'embrouillait, ses efforts pour rester clair ne faisait qu'ajouter du grain au moulin qui s'emballait.

 Il revoyait les jeunes seigneurs, arborant des rictus à peine dissimulés sur son passage. Marssif qui sifflait doucement, et s'arrêtait chaque fois qu'il le pouvait, pour constater son échec cuisant.

 Sa colère s'était transformée, ou elle avait tout simplement disparue, le vide qu'elle laissa n'était plus que ce qu'il était : du désespoir. De celui qui prends votre poitrine en étau et la serre si fort que tout semble vain ; de celui qui vous fait miroiter la mort comme seule échappatoire. Le désespoir est de ces émotions insidieuses qui vous dirige vers les coins les plus sombres, vous éloigne de la lumière, des petites joies. Il est de celui qui transforme une vie pleine au goût de miel, à une existence au goût de cendre et de peine. Il imagina Nassar, dans son lit, à la chasse, à sa table, hilare, et entouré de ses pantins animés par les fils de leur propre peur. Un être abject, en dessous de toute morale, de tout honneur, qui savait bouger ses pions en accord avec ce monde qui lui répondait aussitôt. Il se recroquevilla secoué de hoquets violent, les larmes qui venaient étaient sèches, rivières de sel louvoyant sur ses joues pâles.

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