Chapitre 4 (1/?)

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 Des doigts bourrus, couverts de bandages, piquaient, puis tiraient à travers le tissu grossier un long fil de chanvre. Les mains de l'homme nouèrent maladroitement le fil, fermant le sac mortuaire. Il poussa un soupir, attendant que ses collègues débarrassent le cadavre.

 — Eh bien ? fit la voix traînante du Gardien Corbeau.

 L'intendant se releva péniblement, ses vieux os lui avaient épargné les rondes quotidiennes, mais pas les derniers offices. Il le salua en ôtant son képi qu'il replaça fermement sur son crâne dégarni.

 — Eh bien, comme vous le voyez monsieur, il est mort, répondit-il d'une voix habituée.

 — Mort ? J'ai rarement vu des morts ébranler des murs aussi épais, siffla-t-il en observant le sac inerte.

 L'homme jeta un regard sur le tisonnier à même le sol, le métal rougeoyait encore.

 — Et il n'a pas bronché, demanda le Gardien d'une voix mauvaise, se refusant à accepter la mort du prisonnier.

 — Pas le moins du monde monsieur, libre à vous d'essayer si vous souhaitez l'éprouver. Pour ma part, je me refuse à abîmer davantage la dépouille d'un gamin qui n'a que trop souffert, ajouta-t-il fermement.

 Le Gardien fit un imperceptible mouvement de l'épaule, contrarié de voir l'intendant lui répondre de la sorte. Ses lèvres fines comme le papier se soulevèrent, révélant des dents pointues et jaunies par le temps.

 — Jetez-le aux corbeaux, et je serai satisfait, finit-il par dire.

 — Aux corbeaux, monsieur ? N'est-ce pas le traitement réservé aux infâmes ? demanda-t-il pour s'assurer de sa volonté.

 — Aux corbeaux, confirma celui-ci, plongeant ses yeux noirs dans le regard de l'intendant.

 Le Gardien repartit de son pas traînant. L'intendant eut un soupir.

 — Pauvre gosse, au moins tu n'auras plus à souffrir là où tu vas.

 Dans un râle d'effort, il charria le linceul sur son épaule, et entama la montée des escaliers. Le cadavre cognait contre les torchères, les angles, et chaque fois, l'homme demandait pardon. La grille s'ouvrit, relançant la longue plainte des oubliés qui pourrissaient sous les pierres de la prison.

 L'air frais de la mer assaillit l'intendant, le vent porta avec lui les effluves de la mer, délaissant celles de la mort. Il suivit le chemin, manquant parfois de perdre l'équilibre. Les pavés avaient laissé place à une terre meuble, les vents puissants et le poids mort sur son épaule l'obligeaient à assurer son pas. De grands arbres morts cerclaient un petit lopin de terre sur laquelle reposaient des centaines d'ossements. L'intendant, de ses mains fatiguées, posa le linceul le plus délicatement qu'il put.

 — Puisses le Démêleur t'apporter le repos, dit-il en joignant ses mains.

 Il fit demi-tour vers la prison d'un pas chancelant, il refusait d'assister à cela. Des dizaines de corbeaux s'étaient rassemblés, perchés sur les branches mortes. Ils crossaient tant et si bien que le fracas des vagues s'était tut. Ils restèrent ainsi à attendre, lorgnant le sac de leurs yeux noirs.

 Le premier déploya ses ailes, il s'envola et décrivit un cercle autour du linceul. Le soleil couchant pointait à l'horizon, irradiant la mer de reflets orangés. La lumière filtrait à travers les branches nues, créant des ombres déformées par les oiseaux perchés. Un dernier faisceau couvrait le linceul de sa chaleur, il s'amenuisait à mesure que la ronde des corbeaux gonflait ses rangs.

 L'astre fut occulté par une tache sombre à l'horizon, s'approchant à toute vitesse. Un caladrius, roi des corvidés, filait comme une flèche à travers le ciel dégagé. Son bec acéré ouvrait une fissure à travers les vents, ses plumes parfaites laissaient filer l'air sans un bruit. Il bascula son poids et freina brusquement sa course en déployant ses ailes formidables. Les ossements du cimetière voltigèrent à travers les arbres et les quelques croix rongées par le temps plièrent. Les corbeaux s'écartèrent tous, stoppèrent leur cercle infernal et se dispersèrent à travers l'île qui les abritait. Délicatement, sa serre acérée s'empara de l'enfant, son autre patte le propulsa dans les cieux. Il poussa un cri plaintif à l'attention de son maître, resté dans les profondeurs des Enfers.

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