Chapitre 4 (2/?)

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 Les hautes herbes de la plaine ondulaient sous une brise d'été. Le caladrius, le bec fourré dans son plumage, retirait ses plumes pour laisser place aux nouvelles. Autour du linceul qui s'agitait se trouvaient quatre disciples, perplexes.

 — Le maître nous avait dit d'attendre le retour de Corvus, qu'il serait ici avec lui, dit l’un, nerveux devant la toile blanchâtre.

 — Akor aura été retenu, ou n'aura su sortir comme il s’en vantait. Nous l'avions tous mis en garde contre cette idée grotesque. Cette prison est un lieu maudit, tout ce qui en sort est un danger ; ce sac put la charogne et n’y fait pas exception, assena le deuxième, plus directif.

 — Peut-être, mais ce sac s'agite, précisa inutilement le troisième, qui regardait la scène d'un œil observateur.

 Astark qui retrouvait ses esprits, et étouffait dans le tissu se débattit plus encore. Il appela, sans y parvenir. Ses cordes vocales lui étaient étrangères, comme le reste de son corps. Elles produisirent une résonance étouffée qui n’eut que son corps pour public.

 — Tuons ce qui est dedans, ainsi nous serons fixés. Le maître nous a sûrement envoyé une créature maudite qu'il n'a pu tuer lui-même, renchérit le deuxième.

 La peur guidant leur réflexion, deux autres disciples approuvèrent d'un geste de la tête. Le dernier, qui n'avait encore prit la parole, restait pensif. Il manifesta ce qui manquait cruellement aux trois autres, la raison.

 — Je ne crois pas qu'Akor nous ai enseigné à tous, de distribuer la mort sur des suppositions. Ne sommes-nous pas un mage et trois sorciers ? Quelque créature que ce soit, elle semble incapable de se défaire d'une toile, est-il nécessaire d'appliquer tant de précautions ?

 Tous les regards se tournèrent vers lui. Talkir avait été nommé mage, par Akor, leur maître, juste avant son départ. La chaîne de commandement lui revenait donc ; ainsi que la jalousie de ses frères, qui, au prétexte de le conseiller, n'hésitaient pas à la laisser parler.

 — Tu es le plus sage d'entre-nous Talkir, ouvre le sac, si tu conviens que le danger est imaginaire, siffla le premier.

 Le mage posa un regard doux sur le disciple, un regard empreint d'une clairvoyance teintée par la menace que l’homme savant produit sur ses pairs. Son bâton vibra doucement, les fils du sac se défirent d'eux-mêmes, le nœud maladroitement noué ne rechigna pas. Les trois disciples reculèrent effrayés par son audace. Tous avaient sorti leurs baguettes, et observaient tour à tour Talkir et le sac, l’un avec un mélange d’admiration et de jalousie pour ce qu’il était, l’autre avec la peur de l’étrange, de l’inconnu.

 À peine les fils eurent laissé un peu d'espace que les maigres bras d'Astark écartèrent le reste du linceul, déchirant la frêle couture. Il inspira une grande bouffée d'air, sans se soucier des quatre personnes prêtes à le trucider au moindre faux mouvement.

 Ses cheveux longs et sales, sa peau blanchâtre, le duvet naissant sur son visage, et ses côtes saillantes firent frémir les disciples qui crièrent.

 — Je te l'avais dit Talkir ! C'est une créature monstrueuse que nous aurions dû tuer avant qu'elle nous envoie tous au tombeau ! s’écria l’un, sous l’assaut de sa propre peur.

 Sa baguette fendit l'air tandis qu'il murmurait un charabia. Le bâton du mage frappa le sol, interrompant l'incantation, brisant la chaîne des émotions qui entravaient le jugement de ses pairs.

 — Du calme messieurs, vous faites honte à votre statut. Il s'agit d'un enfant, ajouta-t-il en désignant Astark de la tête.

 Celui-ci s'était figé en voyant les baguettes pointées vers lui. Ses yeux affichaient la survie qui anime les animaux traqués. Seul les réflexes animaient le jeune homme, voilà trop longtemps qu’il n’avait pas eu de compagnie civilisée. Il se leva d'un bond pour s'enfuir, ses jambes prises dans le sac le firent s'écrouler un peu plus loin. Son corps fatigué était de toute façon incapable de supporter son propre poids. Il se retourna, son visage émacié affichait maintenant la terreur, toujours incapable de prononcer le moindre mot.

 — Allons, baisser vos baguettes, êtes-vous pleutre au point de terroriser un enfant ? dit Talkir, en haussant la voix, fatigué de voir ses frères s'agiter inutilement.

 — Comment oses-tu, dit l'un en levant sa baguette vers lui.

 Le caladrius releva la tête de son plumage, et jeta ses yeux noirs sur les disciples. Il approuvait Talkir, c'était la fin de la discussion.

 — Cette affaire relève entièrement de ta responsabilité ! Nous verrons bien ce que le conseil aura à dire sur ta conduite, dit le belligérant.

 Il se retourna sèchement, dans un demi-tour qui incita ses compères à faire de même. Talkir soupira, il déposa son bâton sur le sol et s'approcha de l'enfant, une main tendue.

 Astark, qui n'avait connu que la main du gardien ces dernières années, s'en défia et se contorsionna pour l'éviter du mieux qu'il put.

 — Je ne suis pas ton ennemi. As-tu vu un vieil homme, dans une robe identique à la mienne ? demanda-t-il d’une voix sereine, qui appela Astark à s’apaiser.

 Il parlait de l'ancien, ce dernier hocha la tête, et cessa de fuir. Les mots lui venaient, il n’essaya pas de les prononcer. Tout dans son corps lui était étranger, sa respiration, ses jambes, son regard.

 Talkir s'abaissa, il avait un visage rond et lisse, et une peau bronzée par le soleil des îles. Un sourire franc ourlait ses lèvres, Astark s'y laissa aller. La main du mage toucha la sienne, il crut pendant un instant que son monde s'effondrerait. Ce ne fut qu'une main aidante, sur laquelle il s'appuya pour se relever. Ses jambes tremblaient, incapables d'assurer son pas, comme le faon nouveau-né, il s'appuya sur le mage. Ce dernier tendit son autre main, ouvrant sa paume. Son bâton se souleva docilement et vint s'y loger sans bruit.

 Pour la première fois, Astark balaya la plaine du regard. L'herbe verdoyante ondulait sous les brises contraires de la mer. La terre, où se mêlaient le sable et les coquillages, renvoyait à ses pieds nus, la douce chaleur du soleil. De hautes montagnes s'imposaient devant eux, où quelques arbres s'étaient dressés à même la paroi dans un angle droit.

 Ils prirent un pas lent, qui convenait à Talkir, il posait sur la nature environnante un regard de contentement. Astark apprenait à connaître son corps, il lui sembla que plusieurs années s'étaient écoulées. Son dos était douloureux, chaque mouvement lui demandait une énergie qu'il n'avait pas.

 Un pas, puis un autre, cela réveillait en lui de veilles choses enfouies. Une sensation oubliée, qui s'emparait de son corps. S'invitant dans chaque muscle sous la forme d'un fourmillement, jusqu'à ses lèvres qui formèrent le sourire d'un homme désormais libre.

 Il suivit celui qui le soutenait jusqu'à de petites maisons. De gros blocs beiges nettement découpés formaient la maçonnerie. Les tuiles rouge vif et l'ossature des fenêtres bleus aguichaient son œil captivé par les couleurs. Il n'avait jamais connu que la pierre rustre, rongée par la mousse, et les tristes ardoises des contrées d'Arathor. Astark laissait son regard se perdre sur les arbres, d'où pendaient de merveilleux fruits.

 Il en vint à se demander s'il n'était pas mort pour de bon, tout cela avait le goût du paradis promis par les histoires de Samie. Talkir s'arrêta pour le laisser se reposer.

 — C'est un bel endroit, n'est-ce pas ? Dit le mage, observant lui-même les alentours avec l’œil de l'enfant.

 — C'est merveilleux, répondit Astark d'une voix rauque.

 Il sursauta, se surprenant lui-même d'avoir parlé. Instinctivement, il se racla la gorge, et frappa son torse de son poing, comme pour expulser une poule de poil.

 — Ne force pas les choses, tu as besoin de te reposer et de te soigner, dit Talkir en retenant sa main.

 Astark acquiesça, ils reprirent leur chemin, attirant à leur passage une foule de curieux, qui observaient le mage et son compagnon insolite traverser la place. Ils s'aventurèrent dans les ruelles, faites de pavé droit et plat. Talkir fit glisser une vieille clé dans la serrure d'une porte rouge, elle tourna en produisant un cliquetis.

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