Chapitre 4 (3/?)

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 De nombreux verrous s'abaissèrent pour laisser la porte tourner sur ses gonds. Elle révéla une pièce unique, simple et lumineuse.

 — Tu es ici chez toi, en attendant de voir ce que le conseil décide à ton sujet. Je vais aller chercher Lassour, notre guérisseur, en attendant, allonge toi-ici, dit-il en désignant sa propre couche.

 Gêné, Astark n'osa pas s'y installer, et resta simplement le dos contre le mur. Talkir se retourna avant de fermer la porte.

 — Dans cette cruche, il y a de l’eau propre, et un baquet au fond de la pièce. Tu trouveras de quoi manger à côté des fourneaux, si tu t’en sens la force bien sûr, dit-il en désignant un tas de brique noircit.


 Celui-ci partit, Astark s'agrippa sur le rebord de la fenêtre pour se relever, et ouvrit le loquet. Il força sur la poignée, et les battants grippés s'ouvrirent d'un seul coup, si bien qu'il se retrouva projeté au sol. Il se hissa à nouveau jusqu'au rebord, avide de sentir l'air frais. Le vent caressa son visage, faisant frissonner sa peau. Il inspira profondément, ses longs cheveux noirs caressaient sa nuque, agglutinés par paquets. Ils n'avaient pas vu l'ombre d'une toilette depuis trop longtemps. Ses esprits étaient engourdis, il avait du mal à penser à autre chose que l’immédiat.

 Il observa la pièce autour de lui, et entreprit un voyage jusqu'à la cruche d'eau, s'appuyant d'abord sur le comptoir, puis sur une autre caisse où il dénicha un morceau de pain. Il dévora sa trouvaille, surpris par la tendresse de la miche. Il oscilla entre l'eau et le pain, avant de trouver de la viande séchée qu'il dévora au même titre que le reste.

 Du peu de manières qu'il lui restait, il évita la couche de son hôte, et s'allongea par terre. Tandis que son corps tirait un grand réconfort de tout ça, son ventre, habitué aux restrictions, lui faisait mal. Les pavés chauds de la pièce, le pain frais et la viande l'emmenèrent vers un sommeil profond et calme, d'où aucun murmure ne jaillit.

 Il ne se réveilla qu'à l'arrivée du guérisseur, et si Talkir n'avait pas été à ses côtés, il aurait prit ses jambes à son coup.

 — Ne t'inquiète pas, Lassour est notre guérisseur, il est très doué avec les plantes et les hommes. Je lui ai déjà confié ma vie plusieurs fois, dit le mage de cette voix harmonieuse qui lui convenait tant.

 Astark hocha la tête, sans prendre la peine d'essayer de parler. L'homme en question était vieux, la peau qui sous-tendait autrefois son visage était si fripée qu'on voyait à peine deux yeux noirs en sortir. Difficile d'ignorer cependant, la volonté qui animait encore ces yeux.

 D'un geste habitué, celui-ci posa sa main sur le torse d'Astark pour le forcer à s'allonger de nouveau. Il l'observa sous toutes ses coutures, souleva ses bras, ses jambes, observa attentivement derrière ses oreilles avant de soupirer.

 — En premier, une douche, en l'état je ne vois rien d'autre que de la crasse, fit-il en se levant.

 Il apporta le baquet, une brosse en crin de cheval, et un gros morceau de savon. Talkir s'empara de la cruche dans un râle d'effort, qu'il versa dans le baquet.

 — Je vais la remplir, je reviens, dit-il en quittant la pièce.

 Astark, qui vit le jeune homme s'éloigner, se releva, avant d’être cloué au sol de nouveau par le guérisseur. Ce dernier le déshabilla, sans respect pour la pudeur d'Astark, qui avait lui-même oublié ce que c'était durant son séjour en prison.

 C'est ainsi que Talkir retrouva le jeune homme nu comme un ver, sur le sol de sa maison.

 — Lassour ! Tu aurais pu me dire de prendre de quoi le vêtir ! s'indigna celui-ci.

 — Ce jeune homme à d'autres problèmes que sa pudeur, Talkir, répondit le vieil un homme d'une voix grave.

 Il désigna une blessure noire, cicatrice béante qui traversait le ventre d'Astark sur toute sa largeur. Elle émanait de petites particules noires qui stagnaient autour dans un vol presque statique.

 Talkir attrapa son bâton dans un mouvement maîtrisé.

 — Cesse, dit calmement le guérisseur. Akor a déjà cicatrisé cette blessure, tu ne feras pas mieux, elle pourrait t'atteindre. En l'état, elle ne touche plus que son hôte, attendons son retour, et cachons l'existence d'une telle chose surtout, arbitra-t-il en couvrant Astark d'un vêtement propre.

 Talkir reposa son arme, toujours sur le qui-vive, il observa Astark.

 — En es-tu certain ? Les vieilles vipères de l'école n'hésiteraient pas à nous pendre sur la place publique pour ça.

 Le guérisseur eut un rire déformé par la vieillesse.

 — Tuer le disciple d'Akor ? De celui qui a pour compagnon un caladrius ? Allons soit raisonnable, ton maître est un homme avisé, il ne t'aurait pas envoyé une menace directe. Quant à moi, je n'ai plus longtemps à vivre. Qui plus est, terroriser un vieillard, qui a mis au monde la moitié des enfants de l'̂ile, et sauvé de la maladie nombre d'entre eux, je suis sûr qu'ils y réfléchiraient à deux fois, ajouta-t-il dans le rire que seule l'expérience d'une vie peut formuler.

 Talkir reposa son bâton en expirant bruyamment.

 — Vous avez raison, comme toujours. C'est qu'une telle marque n'est pas sans conséquence, je me demande à quoi le maître pensait, répondit-il en secouant la tête.

 — À le former, sans aucun doute. Il aura vu un tel potentiel qu'il a joué sa propre vie pour cicatriser l'impossible, et faire sortir ce gamin de l'enfer où il était.

 Le regard de Talkir s'arrêta brusquement sur le guérisseur, ses traits s'étaient durcis.

 — Le former ? Cette école n'a jamais pris d'étranger, vous le savez bien. Du fait de sa condition et de sa naissance, il est voué à repartir d'ici. Le soigner, c'est tout ce que nous pouvons faire, ajouta-t-il fermement, en plantant ses yeux dans ceux du guérisseur.

 — Me regarder ainsi, et attendre ma réponse ne renforcera pas ta propre détermination Talkir. Tu sais aussi bien que moi ce qu'Akor souhaitait faire en l'envoyant ici, il t'a jugé suffisamment responsable pour prendre les décisions en son absence, je m'en remets à toi, comme tous ceux sur cette île.

 Talkir voulut répondre, et se ravisa, gardant la bouche ouverte. Il se mit à faire les cent pas.

 — Tu ne comprends pas, non seulement ils refuseront, mais en plus je perdrais le peu d'autorité que j'ai déjà sur eux, dit-il un peu plus fort qu'il ne l'aurait voulu

 — Tu es seul juge Talkir, fais ce qu'il te semble bon de faire. Tu connais mon avis, trancha Lassour pour mettre fin à la discussion.

 Pendant ce temps, il avait administré deux bols d'herbe pillée dans de l'eau, à Astark qui faisait la moue sous le goût amer de la mixture.

 — Repose-toi encore un peu, demain, ta voix sera revenue, je t'emmènerai avec moi découvrir les bois alentours. Tu m'aideras à attraper les fruits et les herbes, mon vieux dos m'en empêche. D'ici à ce qu'ils prennent une décision, tu seras mon aide, et tu ne seras pas de trop, lâcha-t-il un rire, interrompu par la toux qui le prit.

 Astark, dont l'esprit brouillé par sa récente sortie, et les moutures qu'on lui avait administrées ne se fit pas prier. Il tomba de sommeil, à même le sol. Lassour posa une couverture sur son corps maigre. Il se retourna vers Talkir.

 — Akor nous a envoyé un bien étrange cadeau. Cette blessure a été faite par le monarque, le maître doit voir ce qui nous échappe ici, jugea-t-il, les lèvres chevrotantes.

 Il s'empara de son bâton de marche, et franchit la porte.

 — Amène le chez-moi demain matin, je le présenterai aux habitants, je le formerai à notre médecine, n'en déplaise aux idiots qui peuplent cette académie décadente, dit-il, sa main balayant les craintes évoquées.

 Les cigales crissaient autour du village, quelques lucioles égarées zigzaguaient jusqu'aux petites maisons, avant de s'en retourner dans la fraîcheur du sous-bois. Talkir fut attristé par ses paroles, l’académie était celle qui l’avait élevé, celle qui prodiguait sciences et direction pour le village.

 — Ne parlez pas ainsi de l'académie, Lassour, elle est tout ce qui nous reste, déplora ce dernier.

 — Autrement dit, rien. Pourquoi les jeunes s'attachent-ils autant à des vieilleries ? Cesse de t'accrocher à une gloire passée, la Lumineuse est tombée, pas notre peuple. Ne le condamnez pas à vivre sur une petite île, dans une protection illusoire. Le monde est vaste, et si vous n’allez pas à sa rencontre, il le fera, ajouta-t-il en désignant Astark d’un mouvement de tête.

 Lassour avait dit tout cela tandis qu'il marchait, et Talkir, qui était sorti pour entendre ces mots, s'en retourna dans l'intérieur désormais sombre. Il jeta quelques bûches au feu, un Lien brilla l'espace d'un instant, et celui d'après, les flammes léchaient avidement le bois sec. Le sifflement de la bouilloire sur le feu ne réveilla pas Astark, Talkir veilla jusqu'à tard, observant depuis la fenêtre, les arbres et le vent qui secouait leurs longues feuilles.








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