Fuite
Après vingt bonnes minutes de vol, Vaati se résigna enfin à atterrir. Ses mains le brûlaient. Il était épuisé. Et, pire que tout, un large morceau de verre s’était fiché en dessous de sa pommette gauche.
Les magnifiques vitraux du sanctuaire.
Vaati les adorait.
Et il en avait brisé un. Délibérément. Il était tellement furieux.
Pourquoi Exelo ne lui avait-il jamais avoué ?
Ces histoires de famille ne l’intéressaient pas vraiment. Son père ? Il n’était même pas sûr qu’il soit en vie. Il ne savait pas qui il était. Keyoko avait emporté le secret dans sa tombe.
Et Vaati s’en fichait.
Il s’assit sur le chapeau d’un gros champignon et grignota quelques-unes des graines qu’il avait amenées.
— Je dois rentrer au village, mais…
Vaati n’était pas sûr d’en avoir envie.
Il serra les dents et arracha d’un coup sec le morceau de vitrail.
— Ouch !
Le sang ruissela sur sa joue et trempa ses doigts. L’éclat était plus large que ce à quoi Vaati s’attendait, et la plaie, plus profonde. Il se lécha consciencieusement la patte jusqu’à voir disparaître toutes les taches rouges et la passa sur la blessure.
Un bruit bizarre fit sursauter Vaati.
— Ohé !
Il baissa la tête et aperçut un Minish au pied du champignon.
Le Minish avait la fourrure crème, les cheveux châtains et de grands yeux noirs expressifs. Il n’était vêtu que d’une tunique de lin élimée, comme en portaient les paysans, et tenait à la main un drôle d’outil qui servait sans doute à travailler la terre.
— Eh ben, p’tiot, t’es blessé ? demanda-t-il avec un sourire un peu railleur.
— Oui…
— C’est quoi ton nom ?
— Va… Vaati.
— Vaati… c’est pas commun, ça.
— Non...
— T’es tout seul ?
— Oui…
Le Minish sembla légèrement s’agacer. Sans doute aurait-il préféré une réponse plus développée.
— Et qu’est-ce que tu dirais d’un bol de soupe ?
— Avec plaisir, dit Vaati. Je serais prêt à tuer pour un repas chaud.
Ce n’était qu’une façon de parler, mais le visage ensanglanté du jeune Minish lui donnait l’air bien plus sérieux.
— Je vois, viens avec moi.
Depuis toujours, les enfants Hyliens apprennent à se méfier des inconnus. Mais les Minish étaient des êtres de magie, des êtres purs, et Vaati ne s’inquiéta pas. Il suivit le paysan sans hésiter jusqu’à sa petite chaumière, en bordure d’un village qu’il ne reconnut pas.
Le jeune magicien et son compagnon furent accueillis par une grande et grosse Minish chargée d’une soupière.
— Eh ben, tu nous as ramené de la compagnie… marmonna la femme du paysan.
— D’où il sort ? demanda un gamin d’une huitaine d’années, en surgissant de la pièce voisine. Pourquoi il a les yeux rouges ?
— Si, euh…
— Vaati.
— Si Vaati a les yeux rouges, c’est parce qu’il est né comme ça, voilà tout.
Le petit acquiesça.
— Bon, à table ! lança la femme. La soupe va refroidir.
Vaati avala avec plaisir le velouté de citrouille que lui servit la grosse Minish. Dehors, la nuit tombait.
— Eh bé alors, comment t’es arrivé là ? questionna le paysan. Tu t’es perdu ?
— Non. Je me suis enfui.
— Enfui ? répéta la femme, interloquée. Mais pourquoi ?
Vaati se rembrunit.
— Parce que Maître Exelo ne voulait pas me laisser étudier en paix.
— Maître Exelo ? Tu apprends la magie ?!
— Beuh… oui, et ?
— Rien, rien ! le rassura la paysanne.
La vérité, c’est que les gens qui travaillaient la terre avaient toujours été habitués à la compagnie de sorciers pompeux et imbus d’eux-mêmes, qui les regardaient de haut. Mais ce garçon perdu n’était ni désagréable ni vaniteux.
— Bon, j’vais contacter Maître Exelo. Est-ce que des fois t’aurais besoin de te reposer ? On a pas de lit, mais y’a le canapé…
Vaati accepta avec joie. Sitôt le repas terminé, il s’allongea sur le divan, tira la couverture et s’endormit.
Exelo arriva plus tard dans la nuit. Il poussa la porte, adressa un signe de tête reconnaissait au paysan et à sa femme, puis gagna le salon.
Vaati ronflait légèrement. Une de ses pattes dépassait de sous la couverture. Dans la lumière de l’unique bougie posée sur un petit guéridon de bois clair, il aperçut la large tache de sang qui maculait le visage de son apprenti.
— Debout, Vaati, chuchota-t-il. Nous avons de la route qui nous attend.
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