Vivez vos rêves !
Quand je vis arriver les sardines grillées apportées par une grand-mère décédée depuis trente ans, je commençai à me poser des questions.
La vue d’insupportables cousins blondinets renforça mes doutes.
Je me posai la question : m’inscrire à ce stage « Vivez vos rêves », était-ce vraiment une bonne idée ?
La suite ne fut guère plus agréable, les cousins m’ignoraient, je sentais un mélange de mépris et d’indifférence.
Je commençais à rudoyer ma grand-mère : « Tes sardines sont à vomir et tu n’as rien à faire vivante ici, tu es morte depuis trente ans ! ».
Elle me jeta un regard triste et s’effaça rapidement.
Je me retrouvai dans un couloir blanc.
Il y avait des portes numérotées avec le numéro du rêve et un de mes haïkus.
Sur la porte du 12 je lus :
Où je dénonce une
intolérable atteinte à
la laïcité
Curieux j’ouvris la porte, c’était un rêve ancien, il n’avait aucun lien avec l’UNEF.
Tout était flou et vague. Un gardien avec une longue barbe me toisa :
— Que viens-tu faire ici ?
— Retrouver mon rêve, répondis-je hésitant.
— Si tu ne t’en rappelles pas, c’est qu’il faut l’oublier !
Je voulus répliquer, me défendre, mais je me retrouvai dans le couloir blanc.
C’est étrange, je connaissais ce visage !
Idiot, c’est toi-même, dit une voix dans ma tête.
Sur la porte du 13 je lus :
Un monde fasciste
délation surveillance
et italien
Le souvenir était plus clair, mais aussi plus inquiétant.
On me poursuivait, oui on me poursuivait de couloirs en couloirs.
Je n’obéissais pas aux ordres, on allait me sanctionner.
Et les gardiens en noir me poursuivaient, ils allaient me prendre, me torturer.
D’instinct, j’avais refermé la porte, en larmes, en sueur.
Je repris mon souffle dans le couloir blanchâtre et fis une troisième tentative.
Sur la porte du 3 je lus :
Quand notre monde est
conquis par des aliens
tous issus d'un monde
virtuel moi je m'échappe
en m'envolant dans les airs
Le tanka avait réveillé tous les souvenirs.
Les aliens avaient un visage verdâtre.
Je jouais et je devais les tuer, derrière un écran de jeu vidéo qui rappelait les années 80.
Mais plus rien ne fonctionnait, ils sortaient par dizaines, par milliers c’était la fin !
Alors je m’envolai.
Et j’atterris au milieu d’une immense forêt.
Un chêne me parlait doucement, je l’enlaçai et je me sentis bien, aérien, apaisé.
J’enlaçai son tronc et je fermai les yeux.
Quand je rouvris mes yeux, j’étais dans le couloir, sur le panneau était écrit :
Rêve d’arbre.
Je trouve le sens
de ma vie je fusionne
avec les doux arbres
Je parcourus le couloir dans tous les sens, je voulais trouver la sortie.
Après de longues heures d’errance, je trouvai le numéro un !
Le titre était en anglais :
Last night I had a dream
Plonger dans le temps
expérience vécue
dans un troublant rêve
J’ouvris la porte, oui c’était bien le premier rêve !
Il y avait un maelstrom d’horloges, vaguement steampunks, je savais qu’il me suffisait de plonger dans ce brouillard, pour revenir dans le monde réel.
Je n’hésitai pas une seconde, j’avançai vers la délivrance.
Soudain je vis se dresser devant moi un bureau.
Une superbe blonde me parla doucement :
— Oh Monsieur Lechat, vous voulez vraiment nous quitter ?
— Si cela ne vous dérange pas, répondis-je à voix basse.
— Dans le monde réel ,quelle est la fréquence de vos rapports sexuels ?
— Les bons mois, minauda la blonde sirène.
Alors, comme lors d’une vulgaire cérémonie des césars, la superbe créature se déshabilla intégralement, elle m’appela : « Viens, phil, viens ! ».
Je voulus la rejoindre, puis j’avisai que les horloges s’effaçaient lentement.
J’ignorai la divine tentatrice et m’avançai d’un pas !
Le gardien surgit et m’arrêta.
Je luis tins tête :
— Pousse-toi, tu n’es qu’une image de moi-même !
— Cela ne change rien, répondit le barbu en haussant les épaules.
— Et pourquoi donc ?
— Idiot, tu n’es pas le maître dans ta propre maison, ironisa le gardien !
Je voulus retourner vers la douce blonde, elle avait disparu.
Le barbu avait pris sa place , il me toisa :
— Elle ne reviendra pas, tu ne voulais pas de la carotte, tu auras le bâton !
— Dommage, maugréai-je !
— Non tu as fait le bon choix, elle est insatiable, tu serais mort d’épuisement, ironisa ce moi haïssable.
— Je n’aurais pas dû m’inscrire à ce stage « Vivez vos rêves » !
— Tu n’as pas été surpris par le prix ?
— C’était vraiment bon marché, dus-je avouer.
— Quelqu’un a payé pour toi, quelqu’un qui ne voulait pas te voir revenir, me répondit mon double barbu.
Une voix dans ma tête me dit : tu ne pourras jamais revenir.
Je répondis tristement : « Je sais, l’enfer c’est les rêves ! ».
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