Onze heures : Julie, repas du personnel de La Table de Bruno.
Onze heures.
C’est l’heure du repas des personnels.
Emma a dû me dire cent fois : « Julie, je suis tellement heureuse de te revoir ! »
On est dans la grande salle, mais on s’est mise à l’écart pour pouvoir médire en chuchotant : une mauvaise habitude que nous adorons, toutes les deux, partager.
Le repas est correct, sans plus : pour la patronne la comptabilité est plus importante que la gastronomie. Lasagne végan, c’est surtout moins cher, tout en étant « tendance ».
Je regarde Emma, elle a tout ce que je désire : les cheveux bouclés, la poitrine menue, une enfance aventureuse en pleine nature.
Je lui demande :
« Emma, raconte-moi la fois où la communauté…
— Julie, tu connais cette histoire par cœur, proteste la petite brunette.
— Oui, mais racontée avec l’accent c’est différent.
— Maman, après 68, s’était installée, avec la communauté dans une grande maison abandonnée.
— Dans les Cévennes ?
— Oui, confirme Emma. La patronne a bien voulu prendre le chèvre bio de maman, mais elle a tenu à l’appeler fromage du Larzac, alors que chez nous c’est la Lozère !
— Raconte ! Intérieurement je ris, car Emma ne perd jamais une occasion de vanter les mérites de son fromage.
— Bah, tu connais l’esprit de l’époque : ils sont une vingtaine à poil en train de se donner du bon temps.
— Et les gens du village viennent se rincer l’œil ? (Je connais l’histoire par cœur)
— Toujours, sauf que ce jour-là, la demoiselle respectable et pimbêche, la fille du pharmacien, n’en peut plus et demande à quelques gars du village de s’occuper d’elle, tout en profitant du spectacle !
— Et là ta mère arrive avec l’appareil photo ! »
On rit à en pleurer, la patronne nous fusille du regard.
Je suis curieuse :
« Du nouveau ?
— Tu sais Julie, ici rien ne change.
— Et Roméo ?
— Toujours pareil, il empeste l’alcool dès le matin et il essaye de me mettre la main aux fesses !
— Pourtant, tu n’as pas peur des garçons ( cela fait bien longtemps que j’ai perdu le compte de ses amants) !
— Tu sais Julie, je préférerais largement avoir du bon temps avec Carlos.
— Tu n’es pas la seule, Élodie aussi est folle de lui !
— Mais il ne voit personne, proteste Emma. Même toi qui est belle comme une déesse, il ne te voit pas !
— Et son dernier exploit ?
— Carlos a cassé dix assiettes et Madame Guerr ne lui a rien dit !
— Amour, quand tu nous tiens, dis-je en éclatant de rire ! »
Onze heures trente.
Les premiers clients arrivent.
C’est calme, très calme. Cela ne m’étonne guère : la patronne avait beau hurler contre mes jupes trop courtes et mes décolletés, elle savait bien que ces messieurs respectables ne venaient pas uniquement pour ses plats insipides.
Madame GRR ne s’est pas fait tirer l’oreille pour me reprendre : il y a 30 % de chiffre d’affaire à récupérer !
Allez, au boulot !
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