AAAAAAAAAH !!!

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L’Irlandaise, surnommée X-FLR 6 à cause de sa face criblée de taches de rousseur, attendait à la porte avec la minuscule Soazig et Fatoumata, une grande slaque[1] de Sénégalaise à la peau plus claire que celle de la Pondichérienne.

« Salut, les filles ! Alors, Isabel, t’as la cassette ? Je brûle d’impatience, moi !

— Ah, tu vas pas être déçue. Tu vas t’en lécher les quatre doigts et le pouce.

— Qu’est-ce qui est meilleur que Phil Collins ? renchérit Fatou. Trois Phil Collins !

Isabel commença alors :

« I need love, lo-ove
Oh, ease my mind,
And I need fine time,
Someone to call mine.
My momma said…
»

Et le trio entama une imitation des Supremes à faire détaler un carcajou enragé, tandis que Rajshri hochait la tête en cadence, sourire aux lèvres. Isabel faisait la voix principale et les deux autres les choristes :

« …“You can’t hurry love. [Ooouuu!]
No, you just have to wait.”
She said: “Love don’t come easy,
But it’s a game of give and take.
You can’t hurry love. [Ooouuu!]
No, you just have to wait.
Just trust in a good time,
No matter how long it takes.
” »

Martin mobilisa sa volonté pour avancer le buste à l’intérieur :

« Coudonc, Raj, faut que j’y aille. Je le mets où, ton sac ? »

Les Diana Ross de music-hall se turent d’un coup, les yeux grands comme des ronds de poêle.

« Oh oui, pardon. Tu peux le mettre ici » dit Rajshri, tapotant le plateau de son bureau.

— On se revoit quand ? J’ai en tabarouette le goût de me rattraper après notre séance du diable.

— Je te le répète, Martin, te mets pas martel en tête pour ça. Faut que je surmonte ce blocage que je fais sur la géo, et de toute façon, c’est plus agréable avec toi qu’avec un vieux crouton prétentieux et vulgaire qui passe son temps à insulter ceux qui sont pas ses chouchous.

— Ha ha ha ! M. Peyraneyre se la joue tellement prof parfait qu’il tomberait par terre, tout catatonique, s’il t’entendait. Enweille, j’y vais.

— Salut, Martin ! dit la belle Tamile, agitant la main à son adresse. Oh, et n’oublie pas d’acheter des piles pour ton valkman, ça fait une semaine que j’attends de l’écouter, ton fameux Balavoine ! »

À peine eut-il fait trois pas hors de la classe que, par la porte :

« AAAAAAAAAAAAAAH ! »

C’étaient les amies de Rajshri qui venaient de pousser ce piaillement de minettes au premier rang d’un concert de Michael Jackson. Martin laissa traîner ses oreilles, invisible derrière le battant.

« Ben qu’est-ce qui vous prend ? interrogea Rajshri.

— Alors toi, t’es une super-héroïne ! Trois mois à peine que le nouveau canon du lycée est arrivé et tu te le mets dans la poche à la première occase ! T’aurais pas un lasso magique planqué quelque part, princesse amazone ?

— Non mais tu te goures, X-FLR 6. T’as pas entendu ou quoi ? Comme on est voisins de palier, il m’aide en géographie et je l’aide en physique-ch…

— ÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂAH !

— Arrêtez !!! Tout le monde nous regarde ! Ccī ! Vous nous avez déjà vu nous bécoter et nous câliner façon Yassine et Najia ?

— Aaaah ! Vous avez vu comment que c’est qu’elle noie le poisson !?

— Mais je noie rien du tout, Fatou. Je te dis, je vous dis, qu’on est pas ensemble ! Vous feriez des détectives super nulles, vous, à déduire des montagnes à partir de rien du tout !

— Rien du tout ? Ha ha ha ! T’as osé dire rien du tout ! Un mec qui porte ton sac !!!

— Ben il est lourd aujourd’hui parce que je te rapporte tous les Princes d’Ambre que tu m’as prêtés, alors il m’a filé un coup de main, c’est tout !

— Et quel coup de main, hi hi hi ! Y a combien de chez toi à ici ? Un bon kilomètre, non ?

— Il a bien le droit de pas être un blaireau comme les excités du papayou de cette classe !

— Ah, c’est vrai que toi, tu reconnais la qualité quand tu la vois, hein ? Quand c’est qu’il te sortira le grand jeu, à ton avis ?

— Mais puisque je vous dis qu’y a rien de ce genre entre nous, sacré bon sang de bon sort !

— Ah, j’ai compris, les filles ! Et ça nous crevait les yeux, pourtant ! Toutes avec moi :

« “You can’t hurry love. No…” »

Les autres entonnèrent à l’unisson :

« …“you just have to wait.”
She said: “Love don’t come easy,
But it’s a game of give and take…”
»

— Aaaah ! cria Fatou. Regardez-la rougir sous le beau noir de son teint !

…You can’t hurry love. [Ooouuu!]
No, you just have to wait.
Just trust in a good time,
No matter how long it takes.
” »

Pauvre Raj, pensa Martin. Et pauvre de lui aussi. Maintenant, tous ces niaisages allaient faire jaser comme quoi il chantait la pomme[2] à une fille de quatrième. Tout ça à cause de trois gougounes qui s’excitaient les poils des jambes dès qu’elles voyaient un gars faire preuve de serviabilité en tout bien tout honneur.

La Tamile surdouée à la carnation de caramel brûlé, aux yeux de jais étoilé et à la chevelure en cascade d’ébène, sa blonde[3]… Quel niaisage…

Mauzusse ! Le voilà en retard !

Il fila à toutes jambes pour le cours de physique-chimie.


[1] Une grande perche.

[2] Il faisait la cour.

[3] Petite amie.

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