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Autour d’Howard, il n’est rien d’autre que le silence. Le silence, et une pénombre qui le laisse entrevoir les pires horreurs. Du coin de l’œil, il croit apercevoir une silhouette difforme qui s’évanouit sitôt son regard posé sur elle. Fugitive, innommable. Il cherche l’interrupteur du salon à coups de tâtonnements fébriles. Chaque seconde le séparant de la lumière bienfaitrice lui fait l’effet d’une torture. Sa main rencontre enfin le bouton salvateur, et l’appartement redevient ce qu’il a toujours été. Personne. Pas même Frances. Avec des gestes peu assurés, il retire son imperméable élimé qu’il jette sur le canapé. Sans réfléchir, il s’allume une cigarette de ses mains tremblantes avant de s’accorder un regard sur l’immense horloge du salon. 21 h. Sa compagne devrait déjà être rentrée depuis un certain temps.
Howard se rend compte qu’il tire sur un mégot depuis longtemps éteint. Du bout de ses doigts jaunis, il fouille dans son paquet, le fait tomber, puis ramasse une des cancerettes répandues sur le sol. La flamme de son briquet est immense et manque de lui brûler les sourcils. Il le jette sur la table d’un geste surpris et rageur. Et voilà sa cigarette entièrement consumée. Il n’a même pas fumé dessus.
- Bordel ! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! se met-il à hurler, les nerfs à fleur de peau.
La flamme du briquet brûle toujours. Elle laisse une trace noire sur la table de pin massif, qui dégage une atroce puanteur. Howard n’a jamais senti cette odeur, mais il l’associe à celle de la chair carbonisée. Ça n’est pas la table qui brûle, c’est le corps à l’intérieur. Il en est persuadé, il ne peut pas le voir mais dans le pin massif se trouve un cadavre en feu dont les effluves nauséabonds l’étouffent. Il se lève d’un bond, sa chaise râcle le sol dans un bruit strident. Avec des grognements de rage, de confusion et de peur mêlées, il soulève et retourne la table. Celle-ci frappe le parquet dans un son lourd et mat qui résonne, puis rebondit contre les murs sans jamais s’arrêter. Howard a l’impression qu’il s’agit des battements de son propre cœur ; il tente de jaillir de sa poitrine en se frayant un chemin à travers sa cage thoracique comme s’il s’agissait d’un corps étranger.
- Arrête ! Ça suffit, laisse-moi ! Laissez-moi ! Au secours ! Pitié, au secours…
Les peurs sont trop nombreuses, ses sensations exacerbées l’étouffent et le paralysent. Howard est si horrifié qu’il ne semble plus rien percevoir. Autour de lui, le monde se transforme en un univers confus mais ô combien hideux, un monde régit par l’absurde seul. Et l’absurde est horreur, il est étrangeté et inconnue. Il est ce qui subsiste dans les terres désertées par la vie. Je suis vivant. Je suis vivant, se répète Howard intérieurement. Ses lèvres se tordent, s’apprêtent à prononcer les phonèmes, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche. Tout se mélange, devient effroi et douleur sans qu’il en comprenne la raison. Le peintre ne peut plus réfléchir. Ce sont les pensées qui l’assaillent et non l’inverse, les pensées et les sensations, bien trop nombreuses pour que son conscient puisse y avoir accès et les comprendre en même temps. Des corps brûlent, d’autres naissent ; il pense à la peinture et à la pluie, au sang qui coule de son moignon ; les créatures tapies dans le sol tentent d’arracher ses entrailles ; il se répète en boucle qu’il est vivant ; son cœur rebondit contre le mur et y laisse des traces de peinture sale. Et au loin, par-dessus l’horreur confuse de son esprit, l’horreur confuse du monde, une sensation de chaleur, des claquements secs. Et la confusion semble s’estomper. Elle disparaît peu à peu comme des braises qui refroidissent et le laisse dans un état tout aussi confus. Ses sens sont à nouveau les siens.
- HOWARD ! HOWARD BON DIEU DE MERDE !
Son visage est trempé, de même que sa chemise. Quelque part au-dessus, quelqu’un crie. Sa panique est palpable, elle lui parvient avant même que les traits de l’appartement s’esquissent devant lui.
- REVEILLE-TOI !
Ses yeux s’ouvrent. Ou peut-être ne les avait-il jamais fermés. La réalité reprend forme et consistance, l’effroi s’évapore sans disparaître complètement, juste assez pour lui permettre de penser à nouveau. Penchée au-dessus de lui, Frances. Son visage est tordu de terreur, elle a un verre vide dans la main autour duquel ses doigts se crispent jusqu’à lui blanchir les phalanges. Les joues du peintre le brûlent. Il n’arrive pas à articuler le moindre mot et se contente de hocher la tête lorsque sa compagne lui demande s’il l’entend. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’il se rend compte que ses mâchoires le font souffrir à force d’être crispées. Ses dents aussi lui font mal, elles grincent les unes contre les autres.
Howard est en train de sourire. Un sourire immonde et terrifiant, un sourire comme il ne s’en croyait pas capable d’en faire, immense, qui lui ronge la totalité du visage et déforme ses traits encore transis d’horreur.
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