La fanaison de Xinshui

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Amour véritable

Le mortel et la déesse

Passion consommée

Le grand voyage du Lotus Pourpre - Tsuchimikado Aiko

 Cela faisait deux semaines que le Lotus Pourpre et Yuhan avaient débarqué à Qindao. Le lendemain même de leur arrivée, le mariage impérial eut lieu. Xinshui ainsi que toutes les villes de la province célèbrèrent l'union de Shao Yin et de Tsuchimikado Aiko une journée durant. Le gardien eut la chance d'être présent parmi les invités lors de la cérémonie. Il avait même été juste derrière l'empereur pendant la parade. Il avait serré nombre de mains, on l'avait beaucoup félicitié pour son succès. Il avait souri mais sans grande conviction. Ses doutes persistaient.

 Dans une petite chapelle, derrière le palais impérial, Yuhan fut également uni à celle qu'il aimait. Lian Zhen accepta de l'épouser lors d'un mariage en très petit comité. L'assemblée réunissait sept personnes en comptant le couple, les parents de Zhen, un prêtre, l'empereur et l'impératrice. Les propres parents de Yuhan n'avaient pas daigné faire le déplacement, préférant croire leur fils mort plutôt que marié à une roturière. La cérémonie était la sobriété incarnée. Avec un salaire de soldat, Yuhan ne pouvait se permettre mieux de toute façon : sa famille ne lui verserait plus un sou à l'avenir. Il s'en moquait.

 Dans la soirée, Shao Yin invita les deux nouveaux époux à partager un repas avec lui. Le garde impérial ne put refuser l'invitation : l'empereur lui avait ordonné d'être présent. Il leur avait été réservé un dîner de premier ordre. On avait sorti la plus belle argenterie du palais. Les meilleurs cuisiniers avaient été convoqués pour l'occasion. Des musiciens avaient été engagés. En découvrant la salle du trône ainsi pourvue, Yuhan crut qu'on lui faisait une mauvaise plaisanterie.

 Au beau milieu de la soirée, des voix s'élevèrent à l'extérieur du palais. Si les deux couples ne s'en soucièrent pas dans un premier temps, ils finirent par s'inquiéter alors que les cris se rapprochaient. Un garde entra dans la salle du trône.

— J'avais expressément demandé à ce qu'on ne me dérange pas ce soir ! lança Shao Yin en se levant.

— Votre Majesté, une sentinelle vous porte un message de grande importance.

— Qu'il entre. Et qui fait autant de grabuge ?

— Vos ministres, votre Majesté.

 Le soldat fit entrer le messager, qui était suivi par une huitaine d'érudits en toge rouge et or. Ceux-ci parlaient fort de guerre, d'invasion et de massacre. L'empereur contourna la table pour les arrêter. Le messager se mit à genou juste devant lui, et Shao Yin fit signe à tous de faire silence, avant d'inciter le coursier à parler.

— Qindao et Jiangmen sont tombées, votre Majesté. 

***

 Prendre les deux premières villes sur ce territoire sans relief avait été un véritable jeu d'enfant pour l'armée de Kagenobu. Qindao était un vieux port très peu gardé et Jiangmen, une petite cité marchande sur la route de Xinshui, n'avait pas résisté plus d'une heure à ses assauts. Le seigneur japonais avait débarqué avec cent navires sur la côte orientale de l'empire de Shao Yin, et en l'espace de quelques heures seulement, il avait conquis deux villes. Ce n'était pas pour le plaisir de coloniser le territoire de l'ennemi que Kagenobu avait traversé la mer de Chine : il n'avait qu'un seul objectif, se rendre à Xinshui pour récupérer le Lotus Pourpre.

 Le général Uchimune chevaucha jusqu'à lui et s'arrêta à sa hauteur. Après l'avoir salué, il lui fit son rapport. L'homme était un ancien circonscrit qui avait montré de brillantes aptitudes à faire une guerre tactique. Bedonnant, il avait l'air encore plus rond avec son armure trop petite. Il portait une longue barbe grisonnante mal entretenue et des yeux ternis par l'alcool. Son épée, à son côté, n'avait probablement pas vu la lumière depuis des années, selon Kagenobu.

— Des fuyards nous ont échappé, mon seigneur. Les soldats qui les pourchassaient ont abandonné la traque en s'approchant de la capitale.

— Nous avons perdu l'effet de surprise, alors. Très bien. Envoyez un message aux commandants des troupes nord et ouest. Nous prendrons tous ensemble Xinshui en l'attaquant de tous les côtés. Allez, ne perdons plus un instant.

— Bien, mon seigneur.

 En laissant le général derrière lui, Kagenobu talonna son cheval pour rejoindre ses troupes. Les hommes étaient en train de nettoyer leurs armes ou de compter le peu de richesses qu'ils avaient réussi à piller. Ça et là, quelques femmes prisonnières se débattaient entre les mains de plusieurs combattants libidineux. À la vue de leur seigneur, les guerriers se mettaient tous au garde-à-vous.

— Nous n'en avons pas fini avec les voleurs ! Rhabillez-vous, nous marcherons cette nuit sur la capitale !

 Brandissant son épée vers le ciel, sa courte déclaration exhorta les troupes. Les soldats récupérèrent leurs armes et se remirent en marche, animés d'une énergie nouvelle.

***

 Yuhan attendit le général Peng devant la salle du trône. Deux soldats en gardaient à l'entrée, prêts à les annoncer. En voyant le vieil homme arriver, l'un d'eux entra dans la pièce en leur demandant de patienter.

— Les japonais sont venus la chercher elle, siffla Peng. Nous n'avons pas à nous battre, vous devez le convaincre de leur rendre le Lotus Pourpre. Elle nous...

— Je ne convaincrais l'empereur de rien, général, coupa Yuhan d'un ton sec. Vous protégerez la cité s'il en a décidé ainsi.

— Vous êtes le seul à avoir une influence sur Shao Yin ! implora t-il. Il vous écoutera !

 Les portes s'ouvrirent sur la voix plaintive du général. Yuhan ne l'avait jamais apprécié : Peng était un couard qui préférait construire des murs plutôt qu'entraîner des hommes. Il n'avait jamais compris comment il s'était retrouvé à ce poste.

 Peng entra en bousculant Yuhan, bien décidé à éviter un massacre. Sur son trône, l'empereur regardait droit devant lui, les yeux noirs, les sourcils froncés, évitant autant que possible d'écouter ses ministres qui lui hurlaient dans les oreilles. Sur le fauteuil d'à côté, Tsuchimikado regarda avancer son ancien protecteur avec une appréhension singulière.

 Shao Yin se leva, imposant le silence à toute l'assemblée. Le général Peng s'avança jusqu'à lui, s'inclina et se tourna vers la déesse de la beauté.

— Ils sont venus pour vous, votre Majesté. Les japonais sont en train de nous envahir pour vous ramener chez vous.

— Tsuchimikado Aiko est chez elle à Xinshui ! tonna l'empereur.

 Le général baissa la tête, craignant la fureur du monarque. Yuhan s'avança à son tour. Ce fut lui qui réouvrit la discussion.

— Combien sont-ils ?

— Peng ?

— Entre cinq et dix mille, votre Majesté. Nous ne comptons que trois mille soldats à la capitale. Nous devrions leur donner ce qu'ils veulent pour éviter un bain de sang inutile !

— Comment osez-vous vous tenir devant l'empereur et prétendre diriger la défense de son territoire ? s'offusqua Yuhan.

— Mieux vaut son sacrifice à elle plutôt que celui de la ville toute entière ! s'égosilla le vieillard en pointant Tsuchimikado du doigt.

— Ça suffit, pauvre fou ! Vous devriez avoir honte. Votre Majesté, permettez-moi de commander la défense. Je...

— J'ai une autre mission pour toi, Yuhan. Tu resteras ici, dans le palais. Tu auras quatre hommes avec toi et vous protégerez l'impératrice.

 L'empereur fit un signe de la main à un groupe de soldats qui se trouvaient dans un coin de la pièce. Puis il se tourna vers sa femme. Yuhan découvrit alors que l'empereur portait son épée à la ceinture. Alors qu'il allait protester, un messager entra dans la salle du trône. Le silence se fit pour que tous puissent l'entendre.

— Ils sont là.

***

 Lorsque Shao Yin quitta le palais, accompagné de vingt de ses meilleurs gardes, il éprouva un sentiment d'horreur en découvrant l'état de Xinshui. De nombreuses colonnes de fumée s'élevaient vers le ciel, et des feux, allumés aux quatre coins de la ville, le laissait voir comme en plein jour. La moitié de ses hommes s'éparpillèrent autour de lui, l'autre moitié se rendit à l'entrée de la place, flanqués d'arcs et de flèches.

 La population avait pu être évacuée en grande majorité. L'attaque surprise des japonais n'avait laissé aux militaires que peu de temps pour organiser la défense. Plusieurs groupes avaient été formés et répartis sur les différentes places, tours et autres points stratégiques, ralentissant considérablement l'avancée des envahisseurs. Mais Shao Yin n'était pas dupe : l'ennemi venait à dix milles quand Xinshui ne comptait que trois milles soldats pour la défendre. Une telle stratégie ne suffirait pas pour vaincre. Il fallait couper la tête du serpent en tuant le commandant ennemi et compter sur la déroute.

 Il s'écoula une bonne heure. Trois groupes ennemis avaient essayé de grimper les marches menant à l'enceinte du palais, mais les archers les avaient repoussé sans aucune difficulté. Shao Yin, sur la muraille, observait le champ de bataille avec un profond désespoir. Son grand-père avait bâti Xinshui pour l'amour d'une femme ; lui l'avait mené à sa chute pour la même raison.

 Un groupe de cavaliers se forma en bas des escaliers. L'un d'eux possédait une monture mieux protégée que les autres. Shao Yin inspira à pleins poumons.

— Il est temps.

 De longues minutes passèrent, avant que l'ennemi ne passe à l'attaque. Ils avaient rassemblé plus de cent hommes avant d'entamer l'ascension. L'empereur alla se placer devant l'entrée du palais et encouragea une dernière fois ses troupes. D'une main assurée, il dégaina son épée et se mit en position.

 Les archers commencèrent à tirer quand l'ennemi se rua sur le palais. Les cavaliers ne ralentirent pas, attirant les flèches sur eux. Derrière eux, des fantassins à pied se rapprochèrent suffisamment près pour pouvoir tirer eux aussi. Shao Yin vit ses premiers hommes tomber avant même que les chevaux n'atteignent la cour.

 L'affrontement était totalement déséquilibré. En l'espace de trente secondes, soixante cavaliers prirent possession des lieux, massacrant sans pitié la garde impériale. Sans bouger, Shao Yin assista impuissant à la scène. Le silence se fit dans sa tête, tel qu'il ne l'avait jamais entendu. Devenu sourd à tous les bruits de la bataille, l'empereur n'avait plus que ses yeux pour pleurer. Rapidement, il fut le dernier chinois encore debout.

 Devant lui, Kagenobu Kamei descendit de cheval. Son épée, trempée du sang de ses compatriotes, semblait animée d'une volonté propre. Il était loin, mais Shao Yin distinguait dans ses yeux une furie implacable. Cette rage dévorante consummait le japonais, et rien ni personne ne pouvait l'arrêter. En le voyant s'approcher, l'empereur soupira longuement. Il sut qu'il allait mourir. Le chinois plaça une jambe en arrière et prit sa plus belle posture défensive. L'envahisseur chargea enfin, tenant à bout de bras sa lame noire derrière lui.

 Poussant un cri de guerre, Shao Yin attaqua en premier. L'ennemi lui répondit en hurlant à son tour. Kagenobu, dans un mouvement rapide et précis, para d'un mouvement sec, pivota et se retrouva dans le dos de l'empereur. Puis, sans pitié, il lui trancha la tête. Shao Yin mourut l'instant d'après, une larme de sang perlant sur ses lèvres.

L'empire de Xinshui est légendaire

Mais non les dieux et les dragons

Inscription gravée sur une statuette, musée archéologique de Shanghaï - Auteur inconnu

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