Sous la tente du chaman
Parmi les griffes d’Ours (froncement de sourcil de Sor’a), les peaux de serpents et les branches de tout un tas de végétaux, les filles trouvèrent un endroit où se mettre à genoux.
-Veena, Yick est passé avant de partir en reconnaissance pour prévenir ma vieille amie (il haussa l’épaule sur laquelle sa corneille venait de se percher). As-tu expliqué à tes sœurs ce dont t’a fait part ton Lié de l’Eau ?
- Non chaman. Pas encore.
-Je vois. Imala dormait et tu as jugé inutile de te répéter pour obtenir les mêmes questions.
-Oui chaman.
« Ce qu’il te connait bien le vieux », émit insolemment Sor’a.
Un coup d’œil du chaman lui fit rentrer la tête dans les épaules. Celui-ci savait toujours quand les sœurs communiquaient. Par quel moyen ? Imala ne l’avait jamais découvert. Tentant de faire oublier sa petite sœur, demanda :
- Qu’a dit ton dauphin blanc, ma sœur ?
Veena expliqua que certains dauphins liés à des Dourouz ne sentait plus leurs Liés et que Yick était parti voir s’il trouvait quelque chose de bizarre sur les berges du fleuve.
- Ton faucon ne trouvera probablement rien, indiqua le chaman. J’ai été contacté par le chaman des Dourouz. Personne n’a disparu. Trois membres de Greywater semblent avoir perdus leurs Liens.
-Vous voulez dire leurs Liés ? demanda précipitamment Sor’a
-Connais-tu le mot patience Sor’a ? demanda le chaman.
Imala se renfrogna : elle n’aimait pas qu’on critique un tant soit peu ses sœurs. Elle se considérait en fait comme la seule en droit de le faire. Et Sor’a n’avait fait que dire à voix haute la réflexion la plus logique…
Veena apposa sa main brune sur la cuisse pâle d’Imala.
-Expliquez-nous s’il vous plait, chaman, dit Veena, car je sais que les Liés de l’Eau ne sont pas morts.
Le chaman se gratta le nez.
-Je ne sais pas beaucoup plus : les liens de cinq pêcheurs (et non trois) se sont dissous cette nuit. Cela ne s’était jamais reproduit.
-Parce que c’est déjà arrivé, comprit Imala. Racontez-nous s’il vous plait, dit-elle en baissant les yeux avec respect
-C’est l’un des mythes Yorubeks les plus anciens. Au début les hommes et les animaux étaient séparés. Et les hommes à force de rester entre eux comprenaient de moins en moins bien la Nature et la détruisait. Alors les maitres des éléments de l’époque : le Narval argenté, le Grand Cerf et la Buse Bleue demandèrent à la Terre de Liée les hommes au reste du monde vivant. La Terre accéda à leur requête. Cette histoire vous la connaissait.
Les filles hochèrent la tête en silence.
- Trois générations après les premiers liens, un incident similaire à celui décrit par le Chaman Bleu serait arrivé aux ancêtres des Dourouz. Un chasseur revint d’une longue absence complètement chamboulé : il avait perdu son furet. Ses comparses le crurent fou car le furet était perché sur son épaule. A l’époque, les peuples humains vivaient à peu de distance les uns des autres et un seul Grand Chaman faisait le lien entre les hommes, les maitres des éléments et les esprits. Oui Sor’a, le Chaman était aussi le Danseur autrefois (dit-il devant la mine effarée de la benjamine des sœurs).Ce chaman reconnut à l’attitude du furet et du chasseur que le lien mental entre eux était rompu. Il se prépara pour une enquête dans le monde des esprits. Après une transe d’une semaine, il sortit affaibli, se restaura et se mit en route avec trois élèves vers le responsable de cet acte odieux. Seul un élève revint de ce voyage. Il devint chaman et transmis à toutes les générations l’avertissement suivant :
« Prenez garde au mage rouge. Trois lames seront nécessaires pour le vaincre à son retour »
Imala, au travers de Marv’ à la mémoire antédiluvienne, avait presque pu vivre les paroles du chaman, l’empreinte des évènements dans la mémoire de la Terre. Elle hoqueta en revenant à elle :
-Il serait revenu ?
- Je le crains Imala, je le crains. Votre combat approche, mon élève.
Puis regardant, tour à tour, chacune des sœurs, il indiqua :
-Il est temps pour les Yorubeks de présenter leurs Trois Lames aux Dourouz.
Bien sûr, les Trois n’avaient que peu de souvenirs de leurs présentations aux Yorubeks. Cependant leur maitre véritable dans les enseignements de la Vie, le Grand Cerf les nommaient les Trois Griffes et le regard du chaman ne laissait aucun doute sur le parallèle entre griffe et lame. ‘Et lames et larmes’, pensa Veena en privé.
Elle sentait la tension guerrière de Sor’a et la distance d’Imala encore une fois perdue à la lisière des mondes.
« Imala, revient ! » lui transmit-elle
-Je n’étais pas loin ma sœur. J’ai juste eu l’impression que l’on essayait de me toucher
- Ne vous gênez surtout pas pour nous, interpella le chaman
-Excusez-moi, maitre, dit Imala en baissant les yeux. J’ai cru que quelqu’un me contactait
- Qui ? S’enquit le chaman, perplexe.
-Je ne sais.
-Vous partirez demain matin vers Greywater pour rencontrer leur chaman et les déliés. Veena, j’imagine que tu connais la route (hochement de tête). Si vous le pouvez, faites-vous accompagner de vos Liés de l’eau, vous en serez mieux accueillies…Rappelez-vous ce que je vous ai enseigné.
L’enseignement dispensé par le chaman de Voyemont à Imala, Veena et Sor’a alla au-delà de la base commune à tous les enfants Yorubeks.
Il leur parla bien sûr de la répartition des Terres et des peuples. Il leur expliqua également ce qui différencier les Yorubeks des autres hommes et de leurs manières de raisonner différentes.
D'après les légendes Yorubeks, les terres du Nord étaient vides et glaciales tandis ce que loin au sud, après les forêts et les steppes, le désert accablant de chaleur empêchait toute vie humaine.
Les Waara vivaient sur la frontière Est des Yorubeks, à huit jours de marche de Voyemont. Leurs tribus vivaient en moyenne et haute montagne et logiquement, leurs Liés étaient généralement de l'élément Air. Ils étaient durs au mal et très fiers de leur capacité à se débrouiller seuls.
Les Dourouz ne leur étaient pas inconnu : Voyemont était le dernier village Yorubek avant le Fleuve, début de leurs territoires qui s’étendaient à l’Ouest en suivant les bordures de la grande Eau. Pour le chaman de Voyemont, ce peuple vivait dans le passé, mettant en avant les Guerriers lors qu’aucune guerre n’avait eu lieu les dix dernières générations. Par ailleurs, ils étaient prompts au jugement et très strictes par rapport à leurs propres règles.
Les trois se levèrent pour sortir, quand la voix poursuivit :
- Veena, bien sûr, un grand dauphin blanc est particulièrement respecté par les Dourouz : je recommande que tu mènes les discussions officielles.
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